Guerre en Ukraine : la destruction du barrage de Kakhovka marque le début d'une "grande catastrophe écologique", analyse un hydrologue de Kherson
Des évacuations massives, en raison d'une inondation causée par l'homme. La destruction du barrage de Kakhovka, en Ukraine, a entraîné une montée des eaux dans le cours inférieur du fleuve Dnipro, mardi 6 juin. De nombreuses localités affrontent les éléments, et le niveau de l'eau s'est élevé par exemple de 3,50 mètres dans le quartier Korableny de Kherson, la capitale régionale. Le chercheur Yevhen Korzhov, hydrologue et biologiste à l'université d'Etat de Kherson, met en garde contre une pollution des nappes phréatiques et un bouleversement de l'écosystème.
Franceinfo : Quelle est la situation et quelle est la vitesse de montée des eaux, après la destruction du barrage de Kakhovka ?
Yevhen Korzhov : Après la destruction de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, la section du Dnipro inférieur a commencé à être inondée de manière importante par les eaux de la rivière provenant du réservoir de Kakhovka. Après la rupture du barrage, les localités les plus proches de la centrale ont été les plus inondées, à savoir : Nova Kakhovka, Mykolaïvka, Krynyk, Kozachi Lageri, Burgunka, Tyaginka, Oleshki, Gola Prystan, Kherson et d'autres villes et villages côtiers.
Quelles sont vos projections sur les prochaines heures et les prochains jours ?
L'eau atteindra son niveau maximal dans le lit du Dnipro pendant une journée environ. Ensuite, le niveau diminuera progressivement et les zones côtières du cours inférieur du fleuve s'assécheront peu à peu. Actuellement [dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juin], nous observons le pic de l'inondation du territoire. Selon nos données, l'élévation des niveaux d'eau sur le territoire devrait durer 10 à 14 jours.
Quelle sera l'ampleur des inondations dans la capitale régionale, Kherson ?
Les services de secours et les groupes de volontaires travaillent activement dans la ville pour aider et évacuer la population locale. D'après les dernières informations, les quartiers de Ostriv, Naftogavan et Hydropark sont les plus touchés par cette inondation d'origine humaine, ainsi que d'autres zones de basse altitude, proches du fleuve. En aval de Kherson, l'inondation des territoires n'est pas aussi forte, car l'eau se diffuse à travers les branches du delta du fleuve.
Actuellement, les grandes zones humides du sud de l'Ukraine restent inondées, dont le delta du fleuve, qui est protégé par la Convention de Ramsar sur les zones humides d'importance internationale. Un nombre important d'oiseaux rares et d'animaux typiques trouvent refuge dans les zones non inondées, y compris dans des zones d'habitation, malgré la peur des hommes.
Dans les jours à venir, nous prévoyons une baisse du niveau de l'eau dans la ville de Kherson, à des niveaux sûrs pour les habitants. Au cours de la semaine prochaine, l'inondation devrait être complètement résorbée dans la ville et la plupart des territoires du cours inférieur du Dnipro.
Le niveau de l'eau devrait-il prochainement diminuer ? A quelle échéance ?
A Nova Kakhovka, toujours sous occupation russe, les premiers retours suggèrent que la montée des eaux s'est arrêtée [mardi] vers 18 heures. Cela laisse supposer que l'eau va bientôt cesser de monter dans d'autres zones côtières situées en aval du Dnipro. Mais l'eau est toujours très haute dans la ville : sur les réseaux sociaux, les habitants postent des photos et des vidéos des fondations de leurs maisons inondées, ou des bâtiments de la ville.
Dès demain, [ce mercredi], l'eau devrait baisser dans la plupart des secteurs touchés, selon nos calculs. L'inondation devrait durer encore 10 à 15 jours, puis le niveau de l'eau devrait baisser de manière significative dans le réseau de canaux et de plaines de la partie inférieure du fleuve. En effet, l'eau du fleuve va cesser de s'écouler depuis le réservoir de Kakhovka, quand il sera presque entièrement drainé.
Quelles sont les conséquences pour l'approvisionnement en eau potable ?
La situation est surtout critique pour les villes de la région de Kherson, qui s'approvisionnent en eau à partir de puits et du Dnipro. A l'heure actuelle, l'utilisation de l'eau de la rivière est strictement déconseillée à la population. La vitesse du courant est élevée dans le lit du fleuve, et les eaux de crue ont charrié le limon accumulé pendant de nombreuses années. Cette eau polluée pénètre facilement dans les canalisations d'eau et les puits des habitants. L'eau potable de Kherson, en revanche, provient principalement des puits profonds de la compagnie des eaux. A ce stade, les habitants de la ville ne sont pas exposés à ce type de pollution.
Quelles sont les conséquences à plus long terme ?
A long terme, les eaux polluées vont s'écouler en continu vers la partie inférieure du Dnipro, depuis le réservoir de Kakhovka asséché. La pollution et les micro-organismes pathogènes qu'elles contiennent peuvent pénétrer dans les nappes phréatiques. Plus largement, l'état sanitaire et épidémiologique des eaux de surface et souterraines va se dégrader au cours des prochains mois. Les services compétents se tiennent déjà prêts à fournir une assistance aux victimes potentielles d'une eau contaminée. Le plus dangereux, à nos yeux, est la dégradation potentielle de la qualité des eaux de surface naturelles sur une vaste zone qui s'étend, selon nos calculs préliminaires, sur environ 3 600 kilomètres carrés.
Ensuite, le déficit d'eau, dans la partie inférieure du Dnipro, sera compensé par un afflux d'eau salée au fil du temps. Inévitablement, cela détruira la plupart des espèces indigènes de la flore et de la faune d'eau douce. Cette inondation temporaire, à laquelle nous assistons, est le point de départ d'une grande catastrophe écologique, qui ne s'est encore jamais produite sur le territoire de l'Europe au cours du siècle.
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