Guerre en Ukraine : Olena Zelenska, une Première dame discrète devenue ambassadrice de "l'effort de guerre"
Elle a été son amie, sa scénariste, puis son épouse. Elle est désormais sa diplomate de choc. Face à l'invasion de son pays par la Russie, Olena Zelenska s'est taillé un rôle sur-mesure pour épauler son mari, le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Presque invisible aux premières heures de la guerre, la Première dame âgée de 44 ans est passée de l'isolement aux rencontres officielles. Dossiers sous le bras, elle arpente à présent aéroports, salons et conférences du monde entier, pendant que le président reste au plus près du front. Dernier déplacement en date : Paris, où sont organisées mardi 13 décembre les conférences pour la reconstruction de l'Ukraine à l'initiative d'Emmanuel Macron.
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Sans statut ni mandat politique, Olena Zelenska a enchaîné ces derniers mois les entretiens avec des chefs d'Etat, donné plusieurs discours devant des parlementaires étrangers, tout en apparaissant régulièrement lors de conférences et de remises de prix. Le tout retransmis presque en direct sur les réseaux sociaux, où elle compte plusieurs millions d'abonnés. Alors que le conflit s'enlise à l'approche de l'hiver, l'objectif de la "First Lady of Ukraine" (son pseudonyme sur la messagerie Telegram) est plus clair que jamais : sécuriser à tout prix l'aide internationale pour son pays, qu'elle soit humanitaire ou militaire.
La "cible n° 2 de l'armée russe"
Avant l'invasion russe de l'Ukraine le 24 février, elle restait volontiers dans l'ombre de son mari. Un partage des rôles qui remonte à l'époque où Volodymyr Zelensky, comédien de métier, pouvait compter sur sa compagne pour écrire et coproduire ses sketchs et séries télévisées. "Elle a été mise sur le devant de la scène malgré elle", explique à franceinfo Valentyna Dymytrova, maîtresse de conférences en Sciences de l'information et de la communication à l'université Lyon 3. "Au début du mandat de Zelensky [élu en 2019], elle ne communiquait pas beaucoup et cela lui avait été reproché." Mais la guerre a bouleversé la vie publique d'Olena Zelenska.
Dès les premiers bombardements russes, elle quitte le palais présidentiel à la hâte. "Personne ne partageait les secrets militaires avec moi, je pensais que la guerre n'allait pas éclater. Je n'avais même pas mon passeport", a-t-elle raconté au Guardian (en anglais). Malgré les invitations de pays voisins, la famille Zelensky reste au pays, mais séparée. La Première dame est transférée de planque en planque avec son fils Kyrylo, 9 ans, et sa fille Oleksandra, 18 ans. Désignée "cible n°2 de l'armée russe", selon Kiev, elle ne donne presque aucun signe de vie pendant dix semaines.
"Ce silence n'a pas été très bien perçu par les Ukrainiens. Des rumeurs disait que le président avait fait évacuer sa famille à l'étranger", rappelle Valentyna Dymytrova. Début mai, Olena Zelenska signe un retour "surprenant" sur la scène publique, au côté de Jill Biden, la First Lady américaine, en visite en Ukraine. Le "personnage diplomatique" d'Olena Zelenska se construit, fruit d'une"stratégie élaborée, réfléchie, et dont on perçoit des traces même avant l'invasion".
L'épouse du président Zelensky n'a pas réellement attendu le conflit pour dépoussiérer son rôle. L'année précédente, en août 2021, elle avait lancé à Kiev son "sommet des Premières dames et messieurs", lors duquel elle avait donné deux conférences sur le soft power et la capacité des époux de chefs d'Etat à influer sur les affaires du monde. L'occasion aussi de défendre l'idée d'une représentation officielle avec un bureau formel et organisé, comme celui de la Première dame aux Etats-Unis. Première dame qu'elle a d'ailleurs rencontrée le 5 mai 2021, en la personne de Jill Biden, lors d'une visite en Ukraine.
Mai 2022 a aussi vu la percée d'Olena Zelenska dans la sphère numérique. Sur Instagram, elle est suivie par 3,1 millions de personnes, ce qui la place devant le président Emmanuel Macron (3 millions d'abonnés). Plus de 50 000 personnes suivent ses faits et gestes sur son canal Telegram, ouvert quelques jours après l'invasion russe et décrit comme un "quartier général d'information de la résistance".
Une First Lady tournée vers l'étranger
Si le président Zelensky n'a pas quitté le territoire ukrainien depuis l'attaque de la Russie, son épouse a, elle, effectué une dizaine de déplacements officiels en Europe et aux Etats-Unis notamment. En juillet, elle est reçue à Washington par le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, qui lui promet un renforcement de l'aide humanitaire au peuple ukrainien. Avec un intérêt particulier pour la santé mentale, la grande cause défendue par Olena Zelenska. Sa tournée internationale se poursuit avec des apparitions marquantes. A Strasbourg, elle est ovationnée par le Parlement européen le 14 septembre. A New York, on la voit à droite du ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, lors de l'Assemblée générale de l'ONU, le 21 septembre. Suivent des voyages en Allemagne, en Pologne, en Turquie, au Portugal ou encore au Royaume-Uni. A chaque fois, elle rencontre des Premières dames, souvent, elle s'entretient avec des chefs d'Etat.
"En parallèle, elle donne énormément d'interviews à des médias occidentaux, fait remarquer Valentyna Dymytrova. Beaucoup plus qu'à des médias ukrainiens d'ailleurs." Elle s'affiche en une du magazine américain Time en juillet, puis dans Vogue en octobre. Dans le célèbre encadré rouge, elle arbore un air résolu. Dans le titre de mode, on la voit assise dans un escalier, les coudes appuyés sur les genoux, la mine fatiguée mais décidée. Les deux couvertures lui valent un torrent de critiques, tant sur une supposée "glamourisation" de la guerre que pour une posture jugée trop "masculine". Sur les réseaux sociaux, des centaines de personnes prennent sa défense en arborant une pose similaire sous le hashtag #SitLikeAGirl ("assieds-toi comme une fille"). Dans les entretiens qui suivent ces premières pages, Olena Zelenska assure se concentrer sur ses combats personnels : la cause des femmes en temps de guerre, le soutien moral et psychologique aux Ukrainiens. Quand son mari s'occupe, lui, des affaires politiques et militaires.
Pourtant, cette ligne tracée au sein du couple Zelensky s'estompe parfois. Le 20 juillet, face au Congrès américain, Olena Zelenska délaisse le registre humanitaire pour "demander des armes" et plus particulièrement des "systèmes de défense anti-aérienne". Plus tard, en Turquie, elle obtient l'envoi de matériel médical, mais inaugure aussi un navire militaire destiné à la Marine ukrainienne, relate l'agence de presse turque DHA (en turc). Puis, en novembre, elle exhorte les parlementaires britanniques à soutenir la création d'un tribunal spécial pour les crimes de guerre en Ukraine. Un mélange des genres qu'Olena Zelenska assume, et qui semble lui réussir. "Son message politique se fait mieux entendre, car il sort de la bouche d'une Première dame et on n'est pas habitués à cela", analyse Valentyna Dymytrova.
Une "partition écrite pour elle"
Olena Zelenska touche un large public et s'affranchit de certaines règles. "Elle n'est pas une diplomate au sens strict du terme, mais elle joue tout de même un rôle diplomatique très important", souligne Loé Lagrange, ex-Première secrétaire de l'ambassade de France en Ukraine. "Ces derniers mois, sa présence est systématique et il semble qu'une partition a été écrite pour elle, en complément des ministres ukrainiens. C'est assez exceptionnel."
Pour la diplomate française, pas de concurrence, donc, entre la Première dame et le gouvernement ukrainien, mais une répartition "bien calculée" des tâches. "Le ministre Kuleba apparaît dans des réunions très formelles avec ses homologues, là où Olena Zelenska continue à travailler sur ses sujets de prédilection d'avant-guerre, qu'elle a adaptés au contexte actuel", explique Loé Lagrange.
"En ajoutant un nouveau visage à la diplomatie ukrainienne, on évite la lassitude, l'essoufflement des médias et des partenaires internationaux de l'Ukraine."
Loé Lagrange, diplomate françaiseà franceinfo
"Il ne faut pas oublier que le couple Zelensky est expert en termes de médias et de communication, rappelle la diplomate. Cette guerre se prolonge et l'enjeu du maintien de l'aide est crucial, notamment pour le soutien militaire." Ces derniers mois, "pour agir plus efficacement" assure-t-elle, Olena Zelenska a créé sa propre fondation humanitaire. Mais il ne faudrait "pas voir là un abandon des autres combats", prévient Loé Lagrange. "Ce qui est intéressant, c'est qu'elle ne se cantonne ni à l'humanitaire, ni à son apparence, ni à un rôle genré", note la spécialiste. Comme "les femmes qui aident les hommes au front" Olena Zelenska "agit au niveau diplomatique et fait partie de cette société ukrainienne qui est entièrement impliquée dans l'effort de guerre".
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