Guerre en Ukraine : on vous explique pourquoi il y a de l'eau dans le gaz entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky
En quatre mois de guerre, le chef de l'Etat français a déçu à plusieurs reprises les attentes de son homologue ukrainien. Franceinfo liste les sujets qui fâchent.
Qu'il est loin le temps où, au début de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron prenait des nouvelles quotidiennes de Volodymyr Zelensky. Les échanges téléphoniques entre le président français et son homologue ukrainien en tenue kaki se sont espacés.
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Il faut dire qu'entre Paris et Kiev, les sujets de désaccord se sont multipliés et que, plusieurs fois, le Français a déçu les attentes de l'Ukrainien. Sur l'adhésion à l'Union européenne, sur la manière de traiter avec Vladimir Poutine… Résultat : après quatre mois de conflit, la cote de popularité du premier auprès du second est tombée bien bas. Alors que le locataire de l'Elysée s'est rendu en Ukraine pour la première fois depuis le début du conflit, jeudi 16 juin, franceinfo vous raconte comment les relations entre les deux dirigeants se sont refroidies.
Une proposition de "communauté politique européenne" qui a déplu
Lors de son discours devant le Parlement européen à Strasbourg le 9 mai, Emmanuel Macron, qui occupe jusqu'au 30 juin la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, surprend tout le monde en annonçant la création d'une nouvelle structure institutionnelle : la "communauté politique européenne". Plutôt qu'une adhésion pure et simple à l'Union européenne, le président français propose aux pays désireux de rejoindre l'UE une autre forme de coopération
. Concrètement, cette organisation "permettrait aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération", explique dans la foulée le chef de l'Etat français.
Pour rassembler notre Europe dans la vérité de sa géographie, sur l'assise de ses valeurs démocratiques, l'Union européenne ne peut pas être la seule réponse. Pour structurer politiquement notre continent, je souhaite engager une réflexion sur une Communauté politique européenne.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 9, 2022
Sans surprise, l'Ukraine, encore plus désireuse d'intégrer l'UE depuis que la Russie a envahi son territoire national, a pris ce message pour elle. Le jour même, Volodymyr Zelensky profite d'une rencontre à distance avec des étudiants français pour dire ce qu'il en pense. "On ne peut pas rester dans cette incertitude de manière constante. C'est comme une table où toute la famille est réunie, tu es invité, mais on ne t'a pas mis de chaise. C'est injuste, répète-t-il, en visioconférence. L'Ukraine respecte l'Union européenne, et nous voulons bénéficier du même respect."
Le 17 mai, Emmanuel Macron tente de dissiper le malentendu. Il décroche son téléphone et appelle Volodymyr Zelensky pour lui confirmer que la demande d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne serait bel et bien étudiée lors du Conseil européen de juin "sur la base de l'avis qu'aura rendu la Commission européenne".
Las, le mal est fait. "Le discours de M. Macron a été perçu par certains en Ukraine comme une sorte de refus de l'élargissement de l'UE, déclare l'ambassadeur d'Ukraine à Paris, Vadym Omelchenko, contacté par Le Monde le 19 mai. Il est important de préciser que nous ne voulons parler que du statut de candidat à ce stade. Ce serait un geste d'espoir. Nous savons que l'élargissement est un long chemin que nous sommes prêts à faire."
Un désaccord sur le fait de ne pas "humilier" la Russie
Ce n'est pas l'unique passage du discours du 9 mai du président français à avoir contrarié Kiev. Le même jour, Emmanuel Macron invite aussi à "ne jamais céder à la tentation ni de l'humiliation, ni de l'esprit de revanche". Comprendre : à l'égard de la Russie. Rebelote un mois plus tard, le 3 juin, cette fois dans une interview accordée par Emmanuel Macron à la presse quotidienne régionale. "Il ne faut pas humilier la Russie pour que, le jour où les combats cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiques", redit le chef de l'Etat.
"Les appels à éviter d'humilier la Russie ne peuvent qu'humilier la France ou tout autre pays. Car c'est la Russie qui s'humilie. Nous ferions tous mieux de nous concentrer sur la façon de remettre la Russie à sa place. Cela apportera la paix et sauvera des vies", rétorque le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba dans un tweet.
Contacté par franceinfo, Alexander Query, journaliste français basé à Kiev, membre de la rédaction du journal ukrainien Kviv Independent, évoque lui aussi "un discours absolument inaudible, aujourd'hui en Ukraine", "tout simplement parce qu'au vu des cortèges d'atrocités et d'horreurs que les soldats russes infligent aujourd'hui aux Ukrainiennes et aux Ukrainiens, ne pas humilier la Russie est un discours qui est absolument incompréhensible pour les Ukrainiens."
La phrase, jugée plus que malheureuse par beaucoup, y compris au sein de la diplomatie européenne, rappelle qu'Emmanuel Macron avait déjà froissé les Ukrainiens mi-avril en refusant d'employer le mot "génocide" pour qualifier l'invasion russe, comme venait de le faire le président américain Joe Biden. "Il faut être prudent avec les termes aujourd'hui parce que ce sont des peuples frères", s'était à l'époque justifié le locataire de l'Elysée.
Mercredi 15 juin, c'est depuis le tarmac de la base de l'Otan en Roumanie, à Constanta, qu'Emmanuel Macron s'explique de nouveau en rappelant "la clarté" de la position française de soutien à l'Ukraine, "sans aucune complaisance" à l'égard de Moscou.
"Dès le premier jour, la France a été claire pour dire que la Russie était l'agresseur et qu'elle menait une guerre contre l'Ukraine et son peuple et ne respectait ni l'intégrité territoriale ni la souveraineté de l'Ukraine. Nous l'avons condamnée avec beaucoup de fermeté dans toutes les instances internationales."
Emmanuel Macronlors d'une visite officielle en Roumanie, le 15 juin 2022
Des appels à répétition avec Vladimir Poutine qui passent mal
Les appels téléphoniques d'Emmanuel Macron à Vladimir Poutine, et la mise en scène qui va parfois avec (les photos avec l'air grave, la barbe de trois jours, en sweat plutôt qu'en costume-cravate...) ont le don d'agacer une partie des Ukrainiens. A commencer par le premier d'entre eux : Volodymyr Zelensky.
Dans une interview accordée le 12 mai à la chaîne de télévision italienne Rai 1, le président ukrainien s'offusque des tentatives de dialogue du président français avec son homologue russe. "Macron n'a pas besoin de faire de concessions diplomatiques, a-t-il regretté. Il ne faut pas chercher une porte de sortie pour la Russie, et Macron le fait en vain. (...) Je sais qu'il voulait obtenir des résultats dans la médiation entre la Russie et l'Ukraine, mais il n'en a pas eu."
C'est ainsi que le président français a depuis hérité d'un néologisme : "macroner" ("macronete" en ukrainien). Traduction : "Faire semblant d'être très inquiet à propos d'une certaine situation, le montrer à tout le monde, mais ne rien faire en substance", lit-on ici et là dans la presse ukrainienne (en ukrainien).
Une visite en Ukraine qui a tardé à arriver
Après quatre mois de guerre, la liste des dirigeants déjà venus physiquement apporter leur soutien à l'Ukraine est longue. Les Premiers ministres britannique, canadien, portugais, le chef de la diplomatie américaine, le président polonais et ceux des pays baltes, le président du Conseil européen, la présidente de la Commission européenne... Et Emmanuel Macron ? Alors que le président français assure la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne depuis début janvier, il a tardé à se rendre à Kiev.
Ce n'est pourtant pas les appels du pied qui ont manqué. Fin mai, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kouleba, lui rappelait une énième fois qu'il était "le bienvenu, peu importe quand." Et d'ajouter : "Il serait bon qu'Emmanuel Macron vienne pendant la présidence française de l'UE" qui s'arrête le 30 juin.
Jusqu'ici, le chef de l'Etat français avait toujours répondu : "En temps utile, dans les conditions utiles, je ferai ce déplacement". Après des visites mardi et mercredi en Roumanie et en Moldavie, durant lesquelles il avait laissé planer le doute sur une visite en Ukraine, Emmanuel Macron a embarqué à bord d'un train spécial à destination de Kiev, dans la nuit du mercredi 15 au jeudi 16 juin.
Il est arrivé dans la capitale ukrainienne dans la matinée, en compagnie du chancelier allemand, Olaf Scholz, et du chef du gouvernement italien, Mario Draghi. "Nous portons un message d'unité" et "de soutien" au peuple ukrainien, a déclaré Emmanuel Macron à son arrivée à la gare. Il doit notamment s'entretenir avec Volodymyr Zelensky et se rendre "sur un site de guerre où des massacres ont été commis".
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