Cet article date de plus de deux ans.

Infographies Visualisez la baisse des livraisons de gaz russe à l'Europe à travers les principaux gazoducs

La compagnie Gazprom a notamment baissé ses exportations de plus de 55% en juin.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La station de Lubmin, le 21 juin 2022 près de Greifswald (Allemagne), où arrive le gaz russe transporté sur le gazoduc Nord Stream 1. (STEFAN SAUER / DPA / AFP)

L'an passé, la Russie a fourni 40% du gaz européen. C'était avant l'invasion de l'Ukraine, les sanctions économiques et le bras de fer diplomatique qui ont plongé l'Europe dans des calculs d'apothicaire. Comment donc se défaire de cette énergie qui alimente en devises le Kremlin et fait le poison de l'Ukraine ? En attendant de trouver la réponse, l'UE scrute avec fébrilité les volumes qui transitent chaque jour à travers les gazoducs venus de l'Est.

Et c'est désormais au tour de Nord Stream de susciter des inquiétudes. Le motif, pourtant, est tout à fait anodin : ces deux tuyaux, reliés directement à l'Allemagne, ont été mis à l'arrêt pendant dix jours pour une maintenance annuelle. Il faut dire que ces dernières semaines, Moscou avait déjà réduit de 60% les livraisons de gaz via ce gazoduc, arguant d'un problème technique nécessitant l'envoi de turbines au Canada pour des réparations.

 

Les conséquences, d'ailleurs, ont été immédiates sur les approvisionnements de l'autrichien OMV (baisse de 70% des volumes au terminal de Baumgarten), de l'italien Eni (en anglais), en Allemagne et en France. Dans ce contexte, le ministre de l'Economie français, Bruno Le Maire, a même lancé un appel pour "se mettre rapidement en ordre de bataille", afin de parer l'éventualité d'une coupure prolongée.

Une baisse sensible des exportations de Gazprom

Afin de mesurer les enjeux liés à ces importations de gaz russe, franceinfo s'est intéressé aux principaux gazoducs reliant la Russie à l'UE (Nord Stream, Yamal, réseau ukrainien et TurkStream), ce qui permet de visualiser la baisse des livraisons.

Quelques stations d'entrée en Europe ont été sélectionnées, afin d'observer l'évolution des volumes distribués depuis le début de l'année. Les données (exprimées en kWh/jour) font apparaître des situations contrastées, de l'arrêt pur et simple au maintien des approvisionnements.

Nord Stream concentre les inquiétudes, car 60% des importations européennes de gaz russe y transitent. Mais en avril et en mai, la Russie avait déjà mis fin à des contrats avec des compagnies bulgare, danoises, bulgare, grecques, néerlandaise et polonaises. En conséquence, les exportations de Gazprom en Europe ont plafonné à 4,7 milliards de mètres cubes en juin, selon les calculs de Thierry Bros, chercheur à Sciences Po et consultant spécialisé dans le secteur énergétique.

Ce niveau pourrait encore diminuer en juillet, à 4 milliards de mètres cubes. Un niveau historiquement bas, qui place l'Europe face à un risque de panne généralisée.

Des situations contrastées selon les gazoducs

Voici un état des lieux des principaux gazoducs acheminant l'énergie russe en Europe :

Nord Stream. Il y a débat sur les intentions de Moscou. Certes, la coupure de dix jours (du 11 au 21 juillet) est prévue chaque année pour un entretien technique. Mais la décision de réduire d'environ 60% les flux est en revanche "politique", explique à franceinfo l'analyste Ben McWilliams, du think tank Bruegel, car "la Russie a choisi de ne pas rediriger les flux de gaz via l'Ukraine pour compenser la baisse des volumes", due à l'envoi de turbines au Canada pour maintenance. De nombreux experts insistent sur le caractère technique de ces opérations, sans préciser si un report des volumes sur d'autres gazoducs pouvait être envisagé.

TurkStream. Ce gazoduc fonctionne comme d'habitude. La baisse observée correspond à l'opération de maintenance annuelle (du 21 au 26 juin) et les flux sont repartis à la hausse après la fin des travaux. Il est possible, voire probable, que le Nord Stream reproduise ce modèle après les dix jours de coupure.

Réseau ukrainien. La guerre chamboule les livraisons via le territoire ukrainien. "Les flux sont faibles depuis le début de l'année, et presque toujours inférieurs aux valeurs minimales historiques", commente Ben McWilliams. Et la guerre a parfois des conséquences très concrètes. Ainsi, l'Ukraine refuse les flux dans la station de Soudzha, car il lui est désormais impossible de contrôler la station de compression de gaz de Novopskov, dans la région de Louhansk passée sous contrôle russe. Kiev a proposé de divertir les flux concernés sur la station de Sokhranovka, mais Gazprom refuse cette alternative.

Yamal (via la Biélorussie). Le cas de Yamal, lui, est bien tranché. La Russie a tout bonnement coupé le robinet après sa décision de ne plus livrer de gaz à la Pologne. En conséquence, les flux sont au point mort depuis le mois de mai, ce qui force l'Allemagne à alimenter son voisin depuis ses propres stations.

Le rebond observé dès le début de la guerre s'explique aisément. Sentant le vent tourner, les Etats européens ont cherché en urgence à anticiper la future crise de l'énergie, afin d'assurer leurs arrières. Les compagnies aériennes émettaient alors des "nominations", c'est-à-dire des demandes d'importation journalières. "Il existe une flexibilité dans les contrats permettant aux compagnies de le faire", explique Ben McWilliams. La tendance est aujourd'hui différente : depuis fin avril, la compagnie Gazprom a pris la décision de couper ou de réduire les livraisons, notamment aux compagnies refusant d'honorer en roubles leurs contrats.

Une course contre la montre pour constituer les stocks

L'Union européenne tente désormais d'augmenter ses importations depuis la Norvège et l'Algérie. Les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) sont également en augmentation, mais elles se heurtent au nombre limité de terminaux capables de les réceptionner. "Le remplacement du gaz russe par le GNL a largement atteint sa limite", souligne Bruegel (en anglais). Pour compenser un arrêt complet des importations russes par gazoducs, il faudrait donc réduire la demande de l'UE d'environ 15% par rapport à la demande moyenne de 2019-2021.

"Arrêter tous les flux de gaz équivaut à faire usage de l'arme atomique de l'énergie : on ne peut le faire qu'une fois", estime toutefois Thierry Bros, qui ne croit pas au scénario d'un arrêt massif des flux. "Il est plus intéressant pour le Kremlin de conserver cette arme les prochains mois", au gré des rapports de force.

En attendant, ces difficultés d'approvisionnement pénalisent les efforts des pays européens pour constituer leurs stocks de gaz avant le prochain hiver. Dans ces conditions, il sera difficile d'atteindre l'objectif des 80% de remplissage au 1er novembre, fixé aux Etats membres par de récentes règles européennes (en anglais)"En février dernier, j'avais calculé qu'il faudrait environ 4 milliards de mètres cubes par mois pour que la Russie maintienne l'Europe à flot tout en l'empêchant de faire des stocks", explique Thierry Bros. "Nous en sommes désormais à 3,8 milliards."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.