: Interview Guerre en Ukraine : l'autorisation d'utiliser les missiles longue portée n'est pas un "tournant militaire" mais "extrêmement symbolique", selon un spécialiste
Ce n'est pas un "tournant d'un point de vue militaire, en revanche, d'un point de vue politique, c'est extrêmement symbolique", explique lundi 18 novembre sur franceinfo Ulrich Bounat, géopolitologue, spécialiste de l'Europe centrale et de l'est alors que le président des États-Unis, Joe Biden, autorise l'Ukraine à utiliser des missiles à longue portée en Russie.
"Il est probable que les Russes y soient préparés depuis des mois. Ça n'aura pas l'effet stratégique que ça aurait pu avoir il y a quelques mois", relativise le spécialiste. Il s'agit d'un changement stratégique crucial de la part des États-Unis à quelques semaines de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump. "Cette décision vise à aider un peu l'Ukraine à être en position pas trop délicate si des négociations doivent s'ouvrir", explique Ulrich Bounat.
franceinfo : qu'est-ce que l'utilisation des missiles à longue portée va concrètement changer dans ce conflit ?
Ulrich Bounat : Il est probable que les Russes y soient préparés depuis des mois. On a vu qu'une partie des bases aériennes russes situées à portée de ces missiles, 300 kilomètres, ont été vidées de leurs principaux bombardiers stratégiques qui ont été déplacés plus loin. Ça va permettre de frapper des dépôts de munitions, des regroupements de troupes. Mais effectivement, ça n'aura pas l'effet stratégique que ça aurait pu avoir il y a quelques mois. Je ne pense pas qu'on puisse parler de tournant d'un point de vue militaire. En revanche, d'un point de vue politique, c'est extrêmement symbolique. En fait, c'était l'une des dernières lignes rouges qui avait été fixée par la Maison Blanche.
Quelle est la position de Donald Trump sur l'utilisation des missiles à longue portée par Kiev ?
L'équipe de Donald Trump est relativement pour avoir une paix le plus rapidement possible, ce qui signifie tordre le bras finalement à l'Ukraine pour la forcer à accepter des concessions territoriales. Dans ce cadre, cette décision vise à aider un peu l'Ukraine à être en position pas trop délicate si des négociations doivent s'ouvrir. Au niveau rhétorique, les Russes vont probablement faire des déclarations tonitruantes, accuser l'Otan d'être belligérante une nouvelle fois. Mais il faut toujours faire une différence entre le déclaratoire et le terrain.
"Sur le terrain, ça fait des semaines et des mois qu'on voit la Russie se préparer à ça. Je pense même qu'il attendait cette décision plus tôt."
Ulrich Bounatà franceinfo
Au-delà de l'escalade rhétorique. Il ne faut pas non plus s'attendre à ce que la Russie prenne des représailles directes contre les pays de l'Otan. Sur le terrain en Ukraine, les Russes sont déjà au maximum de ce qu'ils peuvent faire.
Est-ce que la France est susceptible d'autoriser à son tour des frappes sur le territoire russe ?
Très clairement. Ce n'est pas que les Américains s'attendent à ce que les Français et les Anglais leur emboîtent le pas, c'est plutôt que les Français et les Anglais voulaient le faire, mais qu'il y avait un véto américain puisqu'il y a des composants américains dans les missiles Scalp et Storm Shadow. Par voie de conséquence, si les Américains autorisent leur utilisation sur le territoire russe, les Anglais et les Français vont le faire immédiatement.
Est-ce qu'il est envisageable que ce type de missile soit utilisé contre des objectifs civils?
C'est fort probable qu'il y aura des limitations sur le ciblage. Sur le pont du détroit de Kertch en Crimée, c'est effectivement symbolique. Je ne sais pas s'il fera partie des cibles autorisées. En revanche, on peut s'attendre à ce que tout ce qui est raffineries soit exclu de l'utilisation de ce genre de matériel. Les Américains ont toujours refusé et ont toujours été réticents à ce que les Ukrainiens frappent tout ce qui touche au domaine pétrolier en Russie. Effectivement, le pont de Kertch, c'est une cible de choix, c'est une cible extrêmement symbolique. Reste à voir effectivement si les Américains donneront une autorisation ou pas. Quand bien même, ce n’est pas non plus un blanc-seing de la part des Américains. Il est probable qu'il y aura une validation du type de cible qui pourrait être frappé par les Ukrainiens.
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