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Kiev ou Kyiv, pourquoi cette appellation est jugée capitale par les Ukrainiens

La capitale de l’Ukraine apparaît sous le terme de Kiev dans la majeure partie des médias francophones. Mais les Ukrainiens rejettent cette version en raison de son origine russe.

Article rédigé par franceinfo - Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des sacs de sable renforcent les fenêtres de l'hôtel de ville dans la capitale ukrainienne, le 1er mars 2022. Photo d'illustration. (ZURAB KURTSIKIDZE / EPA)

Quelle est l’orthographe de la capitale ukrainienne ? Derrière cette question anodine peut se cacher un choix politique qui prend de l’importance avec l’invasion russe dans le pays. Chez les francophones, l’utilisation de "Kiev" est la plus courante mais de nombreux Ukrainiens dénoncent ce toponyme venu du russe. Sur les réseaux sociaux, certains ont alerté sur la prononciation de la capitale ukrainienne.

"Kiev", prononcée "Kief", remonte à l’époque soviétique quand l’Ukraine était rattachée à l’URSS et où la langue russe et non l'ukrainien était la langue officielle. Une graphie et une prononcitation liées à la translittération depuis l'alphabet cyrillique du russe "Киев" vers l'alphabet latin utilisé en français. Cette appellation, très répandue chez les francophones explique l'Obs, est donc issue d’un passé soviétique et associée aujourd’hui par certains à la russification du pays. Un héritage que des Ukrainiens souhaitent mettre à distance depuis plusieurs années et l’indépendance du pays en 1991.

Une campagne officielle

Le terme de "Kyiv", prononcé "Ki-ïve", a la préférence des Ukrainiens. Cette appellation n’est pas si nouvelle et a été officiellement adoptée par le gouvernement ukrainien en 1995, via une "résolution officielle concernant l'usage des formes étrangères pour désigner la capitale". Pour l’alphabet latin, la forme ukrainienne de Kyiv (en cyrillique: Київ) est proposée, conformément aux recommandations de la Commission ukrainienne pour la terminologie légale, sur la base de l'analyse d’experts de l'Institut de la langue ukrainienne de l'Académie nationale des sciences de l'Ukraine, parce qu'elle correspond mieux "aux particularités phonétiques et écrites du toponyme en ukrainien".

Cette résolution est prise quatre ans après l’indépendance du pays, proclamée à la chute de l’URSS en 1991. "Kyiv" (en ukrainien) plutôt que "Kiev" (en russe) s’imposera de plus en plus chez les Ukrainiens notamment à la suite de la révolution de Maïdan en 2014 qui chasse du pouvoir le président prorusse Viktor Ianoukovytch, et après l'annexion de la Crimée par la Russie. Le ministère des Affaires étrangères de l'Ukraine tente en 2018 de faire oublier l’appellation issue du monde soviétique et lance une campagne officielle baptisée "Kyiv not Kiev" pour inviter les instances et médias internationaux à écrire "Kyiv", le nom officiel adopté en 1995.

Dans les médias francophones ou chez les élus français, c’est "Kiev" qui reste largement utilisé. Contrairement à plusieurs médias internationaux qui ont choisi d’utiliser "Kyiv" notamment la BBC, The Wall Street Journal, The New York Times et The Guardian ainsi que l’agence de presse américaine Associated Press (AP). Le gouvernement urkrainien demande aussi que plusieurs autres villes, soient prononcées avec leur nom ukrainien. C’est le cas notamment pour "Lvov", "Lougansk" et "Kharkov". Mais dans ces cas-là, rappelle l'ancien journaliste André Racicot dans son blog "Au cœur du français", les médias français ont déjà effectué le changement et utilisent le plus souvent "Lviv", "Louhansk" et "Kharkiv".

La langue au centre de la guerre

L’usage de la langue en Ukraine n’est pas anodin. La langue ukrainienne, pourtant seule langue officielle, subit la prépondérance du russe. Le journal Le Monde (article pour les abonnés) rapporte qu’entre 1992 et 2018, le nombre d’habitants parlant plus souvent ukrainien que russe dans la vie courante n’a augmenté que de 9%, selon un centre de recherche réputé en Ukraine. En 2019, le parlement du pays a voté une loi pour renforcer l’ukrainien. Elle instaure son usage de dans tous les domaines de la vie publique et renforce son statut comme unique langue officielle. L'article 41 de cette "loi sur la langue" prévoit que "les noms géographiques, ainsi que les noms de places, de boulevards, de rues, de ruelles, de trottoirs, de passages, d'entrées, d'avenues, d'allées, de remblais, de ponts et autres objets de toponymie des établissements doivent être dans la langue officielle", et donc en ukrainien.

De son côté, Moscou se pose en défenseur des "Russes" d’Ukraine et n’hésite pas à jouer la confusion entre les russophones et les nationaux russes. Le Kremlin exploite la question de la langue pour justifier l’annexion de la Crimée et sa mainmise sur le Donbass. Dans cette région majoritairement russophone, des passeports russes ont été distribués aux habitants. Une façon de justifier ensuite une intervention militaire contre ce que la Russie qualifie de "génocide".

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