L'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'Otan serait "un tournant majeur, pour ces pays comme pour l'organisation"
Ces deux pays ont exprimé la volonté d'adhérer à l'organisation de coopération militaire. Un revirement qui s'explique par la politique agressive de la Russie, et qui aurait de grandes conséquences stratégiques, selon Amélie Zima, chercheuse et spécialiste de l'Otan.
La nouvelle a fait bondir le Kremlin. L'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) pourrait bientôt accueillir deux nouveaux membres, la Finlande et la Suède, qui sont en passe d'annoncer leur candidature. "Etre membre de l'Otan renforcerait la sécurité de la Finlande", a déclaré jeudi l'exécutif finlandais, qui avait assuré la veille que cette candidature "ne serait contre personne". Malgré cela, la Russie a renouvelé ses mises en garde, qualifiant cette possible adhésion à l'Otan de menace "assurée".
>> Retrouvez les derniers développements de la guerre en Ukraine dans notre direct
Après des décennies de neutralité, comment interpréter ces annonces de la Finlande et de la Suède ? Franceinfo a posé la question à Amélie Zima, chercheuse associée à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem), spécialiste de l'Otan.
Franceinfo : l'invasion de l'Ukraine par la Russie est-elle l'élément déclencheur de ces projets d'adhésion à l'Otan ?
Amélie Zima : Il faut rappeler que la Finlande et la Suède sont déjà des partenaires de l'Otan, avec qui elles ont fortement renforcé leur coopération après l'annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014. On peut donc parler d'un rapprochement dans le temps long, qui s'est accentué récemment. Cela se retrouve dans la politique d'achat de matériel militaire, par exemple. La Finlande s'est positionnée pour acheter des avions de combat F-35 américains, tout ça dans l'objectif de rendre ses armées compatibles avec celles des autres pays de l'Otan.
La perception d'une menace posée par la Russie n'est toutefois pas la même dans les deux pays. La Suède n'a pas de frontière avec la Russie alors que la Finlande oui, sur environ 1 300 km. Ce qui explique quelque part pourquoi la Finlande se dit prête à être candidate, alors qu'en Suède, les débats continuent.
Ces deux pays sont longtemps restés loin de l'Otan, y a-t-il eu un changement des opinions nationales à ce sujet ?
Les deux pays sont effectivement neutres, mais ils ont une conception différente de la neutralité. Côté suédois, c'est un choix politique, un choix idéologique, et ce, depuis près de 200 ans. Alors que pour la Finlande, c'est un choix qui a été imposé au début de la guerre froide, dans un contexte de partition de l'Europe entre le bloc soviétique et le bloc occidental. Les Finlandais avaient par exemple été contraints de refuser le plan d'assistance américain, le plan Marshall, après la Seconde Guerre mondiale.
On a vu, lors des derniers débats au Parlement finlandais, une majorité de partis se dire favorables à l'adhésion du pays à l'Otan. Et en ce qui concerne les populations, les sondages en Finlande sont passés, entre janvier et mars, de 20% à plus de 60% d'opinions favorables à ce sujet. C'est d'ailleurs une tendance que l'on retrouve en Suède, de façon plus mesurée, avec une explication en grande partie conjoncturelle : l'invasion de l'Ukraine, soit le pire conflit en Europe depuis le début du XXIe siècle.
Que gagneraient la Finlande et la Suède à rejoindre l'Otan ?
En cas d'adhésion, ces deux pays seraient couverts par une garantie de sécurité commune, prévue par l'article 5 du traité. Ce dernier précise que toute attaque contre un membre peut être considérée comme une attaque contre l'ensemble des pays membres. Dans un tel scénario, ils pourraient alors demander assistance aux pays membres de l'Otan. En pratique, la Finlande et la Suède bénéficieraient d'un parapluie nucléaire, car on retrouve trois puissances nucléaires dans l'Otan : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France.
La Finlande partage une longue frontière avec la Russie, cela représente-t-il un facteur de risque pour l'Otan ?
Toute la question serait de savoir si l'on positionnerait des troupes des pays de l'Otan en Finlande, comme cela a été fait dans les Etats baltes. Mais aussi de la façon dont Vladimir Poutine réagirait à l'entrée de ces deux pays dans l'Otan. On a déjà vu beaucoup de menaces, mais ces menaces sont contre-productives (pour la Russie) car elles rendent l'Otan toujours plus attractive pour ces deux pays neutres. Par ailleurs, la Finlande peut faire preuve d'une grande résilience en cas d'attaque de la Russie. Elle a certes une armée modeste, d'environ 20 000 soldats, mais il y a 900 000 réservistes, pour une population de 5,5 millions d'habitants, qui pourraient apporter une force de défense non négligeable à l'Otan.
Je pense surtout qu'il faut regarder la situation à l'échelle régionale. L'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Otan ferait de la mer Baltique une sorte de "lac Otan", car elle ne serait bordée que par des pays membres, à l'exception de la Russie. Ce serait un tournant majeur pour ces deux pays, mais aussi pour l'organisation, qui deviendrait plus à même de défendre les pays baltes, par exemple. C'est pourquoi l'adhésion d'un seul pays n'a pas de sens pour la Finlande et la Suède. Elles estiment qu'il faut que l'adhésion se fasse de concert pour être stratégiquement et politiquement intéressante.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.