Pourquoi l'Ukraine se déchire
Alors que le Premier ministre ukrainien dénonce un "coup d'Etat" en cours à Kiev et présente des "excuses" pour la répression des manifestations, francetv info revient sur les raisons de cette profonde division.
L'Ukraine est toujours secouée par des manifestations massives. Après plus d'une semaine d'intense mobilisation, la plus importante depuis la Révolution orange de 2004, les pro-européens ne comptent pas quitter la rue. Ils étaient plusieurs milliers à occuper les abords du Parlement, dans le centre de Kiev, la capitale, mardi 3 décembre.
Le Premier ministre ukrainien, Mykola Azarov, a dénoncé, lundi, un "coup d'Etat". Mais Paris nuance. Les manifestations ne constituent "pas un coup d'Etat", a déclaré mardi le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius. Alors que ce dernier a préconisé le "dialogue" et que le gouvernement ukrainien a présenté ses excuses pour la violente répression, francetv info revient sur les raisons de cette crise profonde.
Kiev a annulé un accord avec Bruxelles
Les manifestations ont été déclenchées après un compromis avorté. L'Ukraine a mis fin à la préparation d'un accord de libre-échange et de coopération avec l'Union européenne (UE). Le texte, dans les tuyaux depuis cinq ans, devait être signé lors d'un sommet à Vilnius (Lituanie), fin novembre. Kiev a évoqué des raisons "purement économiques", et non stratégiques.
L'UE a aussitôt dénoncé des pressions de Moscou. Ce que l'Ukraine a d'abord nié avant de changer de version. Le président russe, Vladimir Poutine, est alors monté au créneau. Il a estimé que la signature de l'accord aurait été une "trahison majeure" envers l'économie russe : "Aurions-nous dû consentir à étrangler des pans entiers de notre économie pour leur plaire ?" s'est-il interrogé alors qu'un quart des exportations ukrainiennes part en Russie.
L'opposition, qui ne faiblit pas, accuse le Premier ministre et son gouvernement d'avoir "vendu l'Ukraine à la Russie".
Le pays est (toujours) tiraillé entre l'Europe et la Russie
Cet épisode a réveillé la division latente entre pro-européens et pro-russes. Ce problème n'est pas récent dans cette ex-République soviétique, qui compte toujours lors des élections un parti tourné vers Bruxelles et un autre vers le Kremlin.
"Les dernières élections du Parlement ukrainien en octobre 2012 ont montré, encore une fois, un pays partagé entre une partie orientale proche de la Russie et une partie occidentale tendant vers un mode de vie plus européen", a expliqué Arte. Selon France Inter, la frange pro-Moscou "n'est pas seulement l'Ukraine orientale, mais celle des vieilles industries et de la paysannerie qui se disent, non sans raisons, que leurs débouchés sont à l'est et qu'elles seraient les premières victimes d'une mise aux normes européennes". La seconde est "celle de la jeunesse et des classes moyennes des grandes villes".
Le clivage est surtout nord-ouest/sud-est, explique à L'Express Alexandra Goujon, maître de conférences à l'université de Bourgogne et spécialiste de l'Ukraine. Il est particulièrement visible dans le bastion du président Viktor Ianoukovitch, dans la région du Donbass, dans le sud-est de l'Ukraine, frontalière de la Russie. Là-bas, les habitants "en veulent toujours au reste du pays, à ces intellectuels ou à ces politiques 'beaux parleurs de Kiev'", rapportait Le Figaro, en 2010. Ils estiment être traités "'comme des citoyens de seconde catégorie', bien qu'ils représentent 25% du PIB de l'Ukraine", ajoutait le journal.
Reste qu'il est difficile de clairement cloisonner chaque bord. On peut être pro-russe sans être anti-européen, et sans non plus vouloir être totalement assujetti à Moscou. "Il faut se souvenir qu'en 1991, 90% des Ukrainiens ont voté pour l'indépendance", insiste Alexandra Goujon. Et l'on peut être pro-européen tout en étant ultranationaliste. Le parti d'extrême droite Svoboda ("Liberté") fait partie des groupes politiques engagés dans la contestation, comme l'indique Le Monde. Géopolis rappelle que cette formation "s'inscrit dans l'histoire noire de l'Ukraine" et qu'elle s'appelait, jusqu'en 2004, Parti national-socialiste d'Ukraine.
La Révolution orange n'a pas porté ses fruits
Ce mouvement est né en 2004 après l'élection présidentielle qui opposait, au deuxième tour, Viktor Iouchtchenko, pro-européen, et Viktor Ianoukovitch, pro-russe. La révolte s'était levée pour contester la victoire de ce dernier, soupçonné de trucage. Face à la mobilisation et à la confirmation de fraude électorale, de nouvelles élections avaient été organisées. Soutenu par Vladimir Poutine, Viktor Ianoukovitch avait été battu de justesse.
Mais la Révolution orange a tourné court. Dès 2006, le parti pro-Moscou devient le premier groupe parlementaire. Incapable de former une coalition stable, Ioulia Timochenko, Première ministre pro-européenne, est limogée. Viktor Ianoukovitch devient Premier ministre, sous les ordres de son rival désormais président : Viktor Iouchtchenko. Avant d'être élu à la tête du pays en février 2010.
Les espoirs de démocratie portés par ce mouvement de révolte sont tombés à l'eau. "La 'chasse aux brigands', promise sur les estrades de campagne [de la Révolution orange], n'a pas vraiment eu lieu. Ceux qui s'étaient enrichis de manière illicite lors des privatisations qui ont suivi l'indépendance en 1991 sont toujours aux commandes de l'économie", écrivait Le Monde, en 2006. Le mouvement a rendu son dernier souffle en 2013. Le parti Notre Ukraine de Viktor Iouchtchenko, leader de la révolte, s'est autodissous en mars, rapporte RFI. Il a récolté à peine 1% des voix aux élections d'octobre 2012.
Mais l'élan de la Révolution orange ne s'est pas complètement éteint. Il a changé de forme. Ioulia Shukan, spécialiste de l'Ukraine à l'université Paris-Ouest, explique à France Info que les manifestations en cours à Kiev sont "une mobilisation autour d'une idée [voir l'Ukraine faire partie de l'Europe] et non pas autour d'un leader".
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