: Reportage En Ukraine, la délicate réparation des gueules cassées : "Les blessures de guerre, on n'est pas formés pour ça"
Ils sont défigurés à vie, par des éclats d’obus, des balles ou des mines. Ils sont des centaines de gueules cassées en ce moment en Ukraine. La plupart de ces soldats ne bénéficient pas de soins à la hauteur de leurs blessures, par manque de temps et de moyens : les hôpitaux militaires, spécialisés dans la reconstruction de ces visages mutilés par la guerre, n’arrivent pas à faire face à un tel afflux de patients. Les hôpitaux civils prennent alors le relais, avec les moyens du bord.
Les militaires sont nombreux dans les couloirs de l'hôpital civil de Kiev. Denys entre dans le bureau du docteur Pavlovsky. Cet Ukrainien de 25 ans porte une large balafre sur la face gauche, de la pommette au menton en passant par la commissure des lèvres. Il s’assoit près de son chirurgien et raconte son histoire d’une traite. "Tout s’est passé très vite", dit-il avec des difficultés à articuler : cette forêt dans la région de Louhansk, il y a un mois, les Russes à quelques mètres, les tirs d’artillerie surpuissants, ses camarades morts partout dans la tranchée... "À un moment, j’ai voulu regarder la situation. Je me suis relevé et quand j’ai tourné la tête, j’ai reçu une balle de sniper. Elle est entrée en dessous de mon oreille droite et elle est ressortie à travers ma joue gauche. Je me suis dit : c’est fini… J’ai mis un torchon dans ma blessure et puis un bandage."
Denys essaie alors de se replier. Il court, il tombe, il rampe alors qu'un avion russe passe au-dessus de sa tête. Et puis une main amie le relève. L’ambulance est là. Denys perd conscience. Il se réveille dans un lit d’hôpital de la ville de Dnipro. "Je ne pouvais plus parler, j’entendais mal… Je me suis levé, j’étais nu. Je me suis approché du miroir, j’ai reçu un choc : j’étais complétement anéanti." Denys a une partie du visage arrachée.
"Je me suis dit que dans cet état plus personne n’allait vouloir de moi… Je ne serai plus utile à rien. J’ai eu vraiment peur."
Denys, 25 ans, soldat ukrainien défiguré
Quelques jours plus tard, Denys atterrit à l’hôpital civil numéro 12 de Kiev. Il subit une série d’opérations et retrouve en partie son visage grâce au travail du docteur Pavlovsky. Le chirurgien est débordé en ce moment, les hôpitaux militaires sont pleins, mais il faut bien prendre sa part de cet afflux de patients : "Nous, nous faisons de la médecine civile. Normalement, on ne traite pas les blessures de guerre, qui réclament des opérations reconstructrices très lourdes. Nous ne sommes pas formés pour cela. Mais la situation nous oblige à y faire face. Et puis moi, en tant que médecin, je ne vois pas le soutien financier de l’État concernant ces blessures lourdes alors qu’on a besoin d’équipements de base : des plaques, des vis, mais aussi des prothèses très élaborées en titane."
"Pour s'en sortir, on finance nous-mêmes ou alors on se tourne vers nos partenaires. S’ils n’étaient pas là, ce serait très difficile pour nous."
Docteur Pavlovsky, chirurgien à l'hôpital civil de Kiev
La fondation Étoile de l'Est fait partie des partenaires qu'évoque le chirurgien. Sa directrice adjointe, Natalia Lutikova, a pour mission de trouver de l’argent afin de financer des prothèses. Elle met également en relation des chirurgiens bénévoles avec des soldats blessés. "On s’est engagés spécifiquement pour ces gars qui étaient désœuvrés. Soit parce qu’ils n’avaient pas d’argent pour payer les implants, qui sont assez chers, soit parce qu’ils n’avaient aucune information sur de possibles soins. Certains rentraient chez eux dans leur petit village avec juste des plaques temporaires aux mâchoires. Ils ne pouvaient ni manger ni parler. Notre objectif est d’aller chercher tous ces patients.
"Dans les moments de crise, l’État ne réussit pas à relever ces défis. Alors pendant un certain temps, les bénévoles, qui sont plus agiles, prennent le relais pour trouver des solutions à transmettre ensuite à l’État." Sur les six derniers mois, Natalia et son équipe ont permis à 41 patients de pouvoir à nouveau se regarder dans le miroir.
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