: Reportage Guerre en Ukraine : à Kharkiv, des écoliers font leur rentrée dans le métro pour échapper aux bombes russes
Certains enfants doivent encore prendre leurs marques. Ils sont quelques-uns à trébucher devant les lourdes portes en métal. Pour leur rentrée scolaire, lundi 4 septembre, des écoliers de Kharkiv ont découvert leurs nouvelles salles de classe, aménagées dans le métro, à l'abri des bombardements. Une première dans le pays en guerre, alors que la ville du Nord-Est, située à 40 kilomètres de la frontière russe, vit toujours au rythme des frappes, presque quotidiennes. "Vous savez, il y a toujours des larmes le premier jour de la rentrée, mais pas ce matin", observe, surprise, Ekterina Tkatchova, l'une des directrices. Vêtu de la traditionnelle chemise brodée, la vychyvanka, Georgiy, rayonne. "Je me suis déjà fait deux copains, un plus âgé et un plus jeune, s'enthousiasme le garçon de 6 ans. Je ne me rappelle pas de tout ce matin… mais j'ai adoré la décoration de la classe."
>> Retrouvez les dernières informations sur la guerre en Ukraine dans notre direct
Trois matinées par semaine, Georgiy descendra les escaliers de la station Universytet sans passer par les tourniquets. Celle-ci peut désormais accueillir jusqu'à 300 élèves chaque jour. Les équipes techniques de la ville n'ont eu que dix jours pour transformer le balcon qui surplombe le quai. Sept pièces, qui abritent d'ordinaire des locaux de service, ont été aménagées. Il a fallu installer une isolation phonique, adapter le système de ventilation et revoir l'éclairage. Des dessins recouvrent presque entièrement le marbre lisse des murs. Des consignes de sécurité ont aussi été accrochées. Sur les pupitres en bois, figure le nom de chaque élève.
Depuis le début de la guerre, les établissements scolaires de la région sont fermés et les élèves suivent leurs cours à distance, sur des écrans d'ordinateur. "Je suis stressée, mais heureuse qu'il retrouve pour de vrai des copains et une institutrice, confie la mère de Georgiy, Tanya Shishko. C'est vraiment important qu'il retrouve des liens sociaux." Venue seule, elle consacre sa journée à cet événement si spécial. "Mon mari, le papa de Georgiy, a été fait prisonnier de guerre", lâche-t-elle, en sanglots.
Un symbole, mais une exception
Deux employées se frayent un chemin pour apporter aux écoliers des collations servies dans de petites boîtes. Au fond de la classe, attentive aux réactions des élèves, une psychologue noircit des pages entières d'un carnet. "Ces enfants sont à un âge important pour leur adaptation sociale. A distance, il est assez difficile pour eux de communiquer, fait remarquer Tatiana Andreeieva. Le fait de tenir école dans cette station de métro est certes inhabituel. Mais une équipe est justement sur place pour réduire l'éventuel impact psychologique." Un peu à l'écart, un petit garçon sort de la pièce avec une accompagnatrice. "C'est mon papa qui arrive ?", demande-t-il, visiblement désorienté par le contexte. "Non, non… C'est le métro", lui répond-elle, tout près des fenêtres scellées du couloir.
L'ouverture de ces classes souterraines relève avant tout du symbole, car elle ne concerne qu'un petit nombre d'élèves. Début juillet, les autorités militaires ukrainiennes et la Rada, le Parlement d'Ukraine, avaient annoncé la possibilité de rouvrir en présentiel les écoles. A une condition : que les établissements soient équipés d'abris robustes. Comme tant d'autres, l'école numéro 97 de Kharkiv a mis les bouchées doubles pendant l'été. Dans le sous-sol du bâtiment, des conduits d'aération ont été posés. Plusieurs pièces sont éclairées par une lumière artificielle, avec là encore des dessins d'enfants pour égayer le tout. La dernière, au bout du couloir, accueille une fontaine à eau de 300 litres et des toilettes rudimentaires, masquées par un rideau. Au total, 245 écoliers et professeurs pourraient y patienter durant les alertes aériennes, assure Tatiana Tkatchenko, l'une des enseignantes.
Tous ces efforts, toutefois, n'ont pas suffi. "Début juillet, nous avons appris que nous ne pourrions pas rouvrir, regrette la professeure. Nous, nous étions prêts, mais les familles étaient assez divisées. La moitié voulait que leurs enfants puissent retourner à l'école, mais l'autre trouvait cela trop dangereux."
"L'école peut être bombardée n'importe quand"
Quelques jours avant la rentrée, avec l'accord de leurs parents, une poignée d'enfants se sont retrouvés dans la cour pour rompre leur isolement. L'occasion pour eux de filmer une chorégraphie à l'attention de leurs camarades réfugiés à l'étranger. Plus du tiers des élèves de la ville ne se trouve plus en Ukraine, a déclaré l'adjointe à l'Education de la mairie de Kharkiv, Olga Demenko, lors d'une conférence de presse.
Les enfants sont partagés entre envie de retrouver leurs camarades à l'école et crainte des bombardements. "L'école me manque. Sur l'ordinateur, je ne peux pas parler avec mes copains", confie Tania, 9 ans, d'une voix timide. Mais "l'école peut être bombardée n'importe quand", ajoute Justin, 12 ans. Sa camarade Olga n'est pas nécessairement plus rassurée chez elle : "Un missile peut aussi frapper ma maison."
Ces abris, de toute manière, ne répondent pas aux exigences militaires face au risque de frappe directe. "Pour encaisser de tels chocs, il faudrait construire des murs de quatre à cinq mètres d'épaisseur de béton armé, explique l'architecte français Martin Duplantier, qui a enseigné à l'école d'architecture de Kharkiv jusqu'au début de la guerre. C'est ce dont la ville aurait besoin, mais ce n'est pas possible financièrement. On parle ici de centaines de milliers d'euros pour un simple abri de 50 mètres carrés pouvant accueillir 50 élèves."
Le maire de Kharkiv, Ihor Terekhov, vient, lui, de dévoiler un projet d'abri anti-aérien conforme aux normes, qui doit permettre d'abriter 450 élèves dans le quartier Industrialnyi. "Nos ingénieurs pensent y parvenir en trois mois", assure l'édile, qui reconnaît le coût important d'un tel chantier : autour de 56 millions de hryvnias, soit 1,4 million d'euros.
Les habitants de Kharkiv ont de bonnes raisons de craindre pour leurs écoles. Depuis le début de la guerre, l'armée russe cible les établissements d'enseignement de la ville. A ce jour, la moitié des écoles a été endommagée, a souligné en juillet le gouverneur de la région, selon le journal Slobidskyi Kray. Dans le district de Saltivka, dans le nord-est de Kharkiv, une partie de l'école numéro 165 a été détruite, lors des frappes nourries du mois de mars 2022. Juste à côté, la maternelle a été ravagée. Quelques jeux d'enfant sommeillent encore dans les ruines.
"Non, ce n'est pas un échec"
Yehven Zubatov, un habitant du quartier, y a passé toute sa scolarité. Conscient des risques pour son enfant, il voit plutôt d'un bon œil l'ouverture des classes dans le métro. "Mon fils Daniïl, 8 ans, n'a plus beaucoup de vie sociale depuis un an et demi, confie-t-il. Avec les cours à distance, les professeurs ne peuvent pas venir aider les élèves. S'il ne sait pas encore très bien à quoi ressemblera cette école souterraine, il est persuadé que "ce sera plus sûr". "Je suis persuadé que les Russes vont recommencer à bombarder les écoles à la rentrée, pour le symbole."
L'ouverture des classes dans le métro est un petit événement. Le ministre de l'Intérieur ukrainien, Ihor Klymenko, a fait le voyage depuis Kiev. Entouré de ses gardes du corps, il passe de classe en classe saluer les enfants. A ses côtés, le maire de Kharkiv et son adjointe à l'Education. En prenant la pause avec trois fillettes, Olga Demenko est, elle aussi, enthousiaste. "Cette rentrée dans le métro, ce n'est pas ce qui nous avions imaginé, concède-t-elle. Mais on n'avait pas d'autre choix quand on voit la proximité des soldats russes par rapport à notre ville. Non, ce n'est pas un échec de ne pas pouvoir rouvrir les écoles comme prévu."
Les infrastructures souterraines viennent une nouvelle fois au secours des habitants de Kharkiv. C'est déjà ici, en sous-sol, que des milliers de personnes s'étaient réfugiés, aux premières heures de la guerre. Un instinct de survie transmis aux nouvelles générations. Il y a quelques jours, une psychologue a demandé au petit Georgiy Shishko quelle profession il voudrait exercer. "Plus tard, ce que je veux faire, c'est président", a répondu le garçon. Sa mère Tanya reste encore scotchée par sa réponse. La réalité rattrape cependant bien vite les rêves d'enfants. En ressortant du métro, le hurlement de l'alerte retentit de nouveau.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.