Reportage "Les gars méritent d’avoir une bonne prothèse" : à Berlin, un centre soigne des soldats ukrainiens "amputés à la chaîne" sur le front

Une ONG allemande offre à certains soldats ukrainiens amputés dans de mauvaises conditions des prothèses sur mesure. Elles leur permettront de "pourvoir mener la vie la plus normale possible".
Article rédigé par Sébastien Baer
Radio France
Publié Mis à jour
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Les soldats ukrainiens ont souvent été amputés à la hâte, non loin de la ligne de front. (JORG CARSTENSEN / DPA)

À Berlin, Life Bridge Ukraine, une ONG allemande vient en aide aux mutilés de guerre ukrainiens. Depuis le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, entre 30 000 et 50 000 soldats ukrainiens ont dû être amputés. Mais ces opérations sont souvent réalisées près de la ligne de front, trop rapidement et dans des conditions difficiles. Pour aider ces soldats amputés, Life Bridge Ukraine les transporte jusqu’à la capitale allemande pour leur offrir des prothèses sur mesure.

Parmi eux, Sasha a fait le trajet Kiev-Berlin en bus. Le jeune homme de 28 ans a été blessé en février dans un combat rapproché à Avdiivka, dans l’est de l’Ukraine. Une balle lui a perforé l’artère fémorale et il a dû être amputé de la jambe droite, juste sous la hanche. "Mon cas est compliqué. J’ai été amputé trop haut et il n’y a pas assez d’os pour poser pour une prothèse", explique-t-il. Il va donc devoir subir "une opération risquée, impossible à réaliser en Ukraine" avant de recevoir "une bonne prothèse pour pouvoir mener la vie la plus normale possible", espère-t-il.

Oleh, 47 ans, a sauté sur une mine fin 2022 (à gauche) et Sasha, 28 ans, blessé en février derniers dans un combat rapproché à Avdiivka, dans l’Est de l’Ukraine. (SEBASTIEN BAER / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Près de 60% des soldats ont besoin d'une deuxième opération

Les amputés de guerre ukrainiens, logés dans un centre d’hébergement de la Croix-Rouge, passent en moyenne trois à quatre mois à Berlin. "Dans l’est de l’Ukraine, on ampute à la chaîne. Les chirurgiens coupent des membres toutes les 20 minutes", détaille Janine von Wolfersdorff, la fondatrice de l’ONG Life Bridge Ukraine. Janine von Wolfersdorff et ses équipes constatent que de "nombreuses opérations ne sont pas optimales", car les amputations "ne sont pas réalisées dans la perspective, ensuite, de pouvoir poser une prothèse". Ainsi, "au moins 60% des soldats ont besoin d’une nouvelle opération", détaille-t-elle.

Au sud de Berlin, les techniciens du centre Seeger fabriquent une centaine de prothèses chaque année, y compris pour les soldats ukrainiens. "C’est toujours du sur-mesure, ça veut dire que la prothèse convient uniquement à la personne pour qui elle a été fabriquée", explique Michael Köhler, l’un des orthoprothésistes du centre. Les techniciens réalisent d’abord un moulage en plâtre du moignon, qui sert ensuite à concevoir la prothèse. Michael Köhler ajoute que "tout est fait à la main et avec une grande précision". Ensuite, s’il y a des "points de pression inconfortables", "nous les éliminons, pour que la personne puisse vraiment marcher sans difficulté et sans douleur".

Quarante blessés de guerre pris en charge depuis avril

Après avoir sauté sur une mine il y a deux ans, Oleh, 47 ans, doit recevoir une prothèse définitive, qu’il a déjà testée à plusieurs reprises. Il se dit "très heureux" de sa "très bonne prothèse". "J’avais déjà une prothèse en Ukraine, mais elle n’était pas très adaptée. Quand j’étais dans les tranchées ou quand je marchais, parfois ma prothèse se bloquait ou posait problème", raconte le soldat. Comme les 75% des soldats soignés à Berlin, il souhaite retourner au combat, car "il y a beaucoup de travail et trop peu de personnes qualifiées", s'inquiète-t-il.

L'ONG a pris en charge 40 amputés depuis le mois d'avril. (JOERG CARSTENSEN / DPA)

Depuis le mois d’avril, l’ONG a évacué et pris en charge 40 blessés de guerre. En parallèle, la structure accueille aussi à Berlin six Ukrainiens en formation. Anastasiia Tkach, 23 ans, est en apprentissage au côté des orthoprothésistes allemands et espère que ce sera son futur travail, à Kiev. "On a un besoin énorme de personnel bien formé, parce que tous les jours il y a de nouvelles amputations. Mais il n’y a pas assez de personnes capables de fabriquer des prothèses de bonne qualité et les soldats doivent parfois attendre six mois avant de recevoir leur prothèse", relate la jeune femme.

Après ses neuf mois de formation, Anastasiia rentrera en Ukraine en janvier pour travailler avec les autres apprentis formés à Berlin, dans un tout nouveau centre de prothèses. La structure doit prochainement être inaugurée, dans le sous-sol d’un hôpital de la capitale ukrainienne. "Les gars méritent d’avoir une bonne prothèse, ils nous protègent donc on se doit de leur fournir de bons appareillages", conclut-elle.

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