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Ukraine : une attaque russe "est tout à fait possible", explique un expert en conflits internationaux

La Russie a déjà annexé la Crimée en 2014, relève Julien Theron. Toutefois l'enseignant doute que la Russie puisse "tenir" un pays de 44 millions d'habitants avec quelque 130 000 soldats.

Article rédigé par franceinfo
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Le président russe, Vladimir Poutine, le 15 septembre 2021. (ALEXEI DRUZHININ / SPUTNIK / AFP)

Le Kremlin a exhorté jeudi 3 février les États-Unis à "cesser" d'aggraver la crise russo-occidentale autour de l'Ukraine, au lendemain de la décision américaine d'envoyer 3 000 soldats supplémentaires en Europe de l'Est. Julien Théron, enseignant en conflits et sécurité internationale à Science Po Paris, estime jeudi 3 février sur franceinfo que le scénario d'une attaque de la Russie en Ukraine est "tout à fait possible". Seulement, "vous ne tenez pas un territoire de 44 millions d'habitants qui a une très grande conscience de sa souveraineté avec 130 000 hommes", relativise-t-il. Selon lui, Vladimir Poutine hésite. Les échanges diplomatiques s’accentuent ces derniers jours pour donner une chance au dialogue alors que la menace russe ne faiblit pas.

De nombreux chefs d'État et de gouvernement se rendent en Ukraine dans les prochains jours pour soutenir le président ukrainien Volodymyr Zelensky, mais l’enseignant pointe le manque d'"homogénéité des Occidentaux" dans leur réponse à Vladimir Poutine. Contrairement au Royaume-Uni, à la Pologne, la Lituanie et les États-Unis, "relativement fer de lance", l'Allemagne et "un petit peu la France freinent en disant qu'il faut privilégier le dialogue", explique-t-il.

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franceinfo : Quelles sont les forces en présence ?

Julien Théron : D'abord l'armée ukrainienne qui est aguerrie parce qu'elle fait la guerre depuis 2014 dans le Donbass, contre ce qu'on appelle en général des séparatistes pro-russes. Une armée qui, ces derniers mois, s'est renforcé avec une garde nationale qui est bien équipée. Et puis maintenant aussi avec des bataillons de défense territoriale qui sont des civils qui s'entraînent à défendre leur pays. La Russie a déployé en général entre 90 000 et 130 000 soldats autour de l'Ukraine au sud en Crimée, à l'est vers le Donbass, au nord à l'occasion de deux exercices militaires avec la Biélorussie. Elle en a aussi à l'ouest de l'Ukraine, puisqu’elle est présente militairement dans une région moldave qui s'appelle la Transnistrie. Et puis, en dernier rideau, les pays de l'OTAN, déploient un certain nombre de troupes assez modérées, de l'ordre de quelques milliers dans les pays de l'OTAN, comme ça, s'il y avait une invasion russe, elle n'impliquerait pas des débordements sur les pays de l'OTAN.

Une attaque russe vous semble crédible ?

Oui, c'est tout à fait possible. Il y en a déjà eu. La Crimée a été annexée. Vladimir Poutine lui-même avait dit que c'était bien des soldats russes qui étaient intervenus en Crimée avant l'annexion. Et puis, la Russie soutient également ces séparatistes du Donbass, qui ont pour but aussi du point de vue de Moscou de créer un moyen de pression sur Kiev. Donc, il est tout à fait envisageable, effectivement, qu'ils interviennent. Ensuite, il y a deux questions : La première, est-ce qu'ils peuvent tenir le territoire ? La réponse est plutôt non. Ils peuvent tout à fait pénétrer le territoire ukrainien. Mais c'est un territoire de 44 millions d'habitants. Vous ne tenez pas un territoire de 44 millions d'habitants qui a une très grande conscience de sa souveraineté avec 130 000 hommes. Ce n’est pas possible. Et l'autre question, c'est de savoir s’il veut le faire. On n'est pas dans la tête de Vladimir Poutine et je pense qu’il y trois éléments qui l'ont fait un peu fait réfléchir. D'abord, la promesse de sanctions qui sont des sanctions économiques, mais qui sont des sanctions importantes. Deuxièmement, le don à l'Ukraine de matériaux de défense, comme des armes anti-tanks, par exemple, qui compliquerait très certainement la tâche des militaires russes. Puis, la scène intérieure russe n'a pas spécialement envie de créer un conflit en Ukraine qui durerait des années et qui s'enliserait complètement.

Les sanctions des Occidentaux sont-elles adaptées ?

Il y a un panel de pressions promises qui ne sont pas des choses qui sont mises en place dès maintenant. Certains analystes disent qu'il vaudrait mieux les déployer maintenant pour que les troupes se retirent autour de l'Ukraine, qu'elles ne soient plus menaçantes. Mais ce sont des promesses de sanctions et de ce point de vue-là, c'est monté en puissance très progressivement. Par exemple, les États-Unis ont accepté, il y a environ deux semaines, que les Pays-Baltes revendent le matériel américain qu'ils avaient acheté à l'Ukraine. C’est quelque chose qui est arrivé après négociation. C'est très progressif. De ce point de vue-là, effectivement, la montée des sanctions et la pluralité des sanctions sont plutôt efficaces. En revanche, là où le bât blesse, c'est qu'on remet beaucoup en cause l'homogénéité des Occidentaux. Le Royaume-Uni, les Polonais, les Lituaniens et un petit peu les États-Unis sont relativement fer de lance, alors que l'Allemagne surtout et un petit peu la France freinent un peu en disant qu'il faut privilégier le dialogue. L'Allemagne freine même assez sincèrement, en refusant justement que les armes allemandes soient revendues aux Ukrainiens. Elle leur a promis un hôpital et 5000 casques.

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