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Vrai ou faux Les Ukrainiens qui fuient leur pays ont-ils un statut particulier de "réfugié de guerre", comme l'avance Marine Le Pen ?

Contrairement à ce qu'affirme Marine Le Pen, la Convention de Genève de 1951 ne définit pas de statut spécifique de "réfugié de guerre". Les Ukrainiens qui quittent leur pays bénéficient toutefois d'un dispositif inédit de "protection temporaire", différent du statut de réfugié.

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La candidate du Rassemblement national Marine Le Pen, invitée de l'émission "Elysée 2022", le 3 mars 2022 sur France 2. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

C'est l'un des arguments de Marine Le Pen pour justifier son revirement sur l'accueil des réfugiés, alors que 2,5 millions de personnes ont fui l'Ukraine depuis le début de l'offensive de l'armée russe le 24 février, selon le décompte du haut commissaire de l'ONU aux réfugiés, Filippo Grandi, dans un tweet vendredi 11 mars.

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La candidate du Rassemblement national à l'élection présidentielle a déclaré, jeudi 3 mars sur le plateau d'"Elysée 2022", "qu'il est parfaitement naturel que nous fassions preuve de solidarité" à leur égard. Ceux qui fuient l'invasion par les troupes russe sont "des réfugiés de guerre qui dépendent de la Convention de Genève", a-t-elle justifié.

Un terme sans existence juridique

Cette position tranche avec les précédentes sorties de la députée d'extrême droite sur les réfugiés syriens et afghans, eux aussi poussés à l'exode par des conflits dans leurs pays. Interrogée en plateau sur cette distinction, Marine Le Pen a rétorqué : "Il n'y a pas de guerre en Afghanistan, c'est terminé." La candidate à la présidentielle affirme notamment que pour les femmes afghanes, privées d'une grande partie de leurs droits depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021, c'est le "droit d'asile" qui s'applique, pour lequel "il faut démontrer qu'à titre individuel, on fait l'objet d'une persécution de la part de son gouvernement""Ce n'est pas du tout la même procédure", en conclut-elle. Mais est-ce vraiment le cas ?

Contrairement à ce que Marine Le Pen affirme, la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés (PDF), ratifiée par 145 Etats dont la France, ne mentionne pas les "réfugiés de guerre". Ce terme n'a d'ailleurs aucune existence juridique, explique à franceinfo Cécile Madeline, avocate et membre de l'association Groupe d'information et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti). 

"Le terme de 'réfugié de guerre', comme celui de 'réfugié politique', n'existe pas juridiquement. Il relève du langage courant."

Cécile Madeline, avocate

à franceinfo

La Convention de Genève n'établit pas de catégories de réfugiés. Elle prévoit simplement que ce statut puisse être délivré à "toute personne qui (…), craignant avec raison d'être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut (...) se réclamer de la protection de ce pays""Il n'y a donc aucun critère spécifique de guerre pour demander l'asile et pour bénéficier du statut de réfugié", éclaire Tania Racho, spécialiste des questions d'asile et d'immigration, membre du collectif de juristes universitaires "Les Surligneurs".

Ukrainiens et Afghans peuvent dépendre de la Convention de Genève

En France, c'est l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) qui examine en première instance les demandes d'asile et reconnaît ou non le statut de réfugié, notamment sur la base de la Convention de Genève, et plus rarement sur celle du préambule de la Constitution de 1946 qui concerne la protection des journalistes, des intellectuels ou des artistes. Les personnes reconnues comme réfugiées obtiennent un titre de séjour valable dix ans, précise l'Ofpra.

Il est faux de "sous-entendre que les Ukrainiens dépendraient de la Convention de Genève a contrario des Afghans", juge Cécile Madeline. "Il y a des Afghans qui obtiennent le statut de réfugié sur le fondement de la Convention de Genève", souligne l'avocate. En 2020, un peu plus d'un millier d'Afghans ont été reconnus réfugiés après décision de l'Ofpra ou, après recours, auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). 

Ceci étant, de nombreux exilés originaires d'Afghanistan bénéficient d'une autre forme d'asile accordée par la France : la protection subsidiaire. Par défaut, lorsque la demande d'asile ne remplit pas les critères pour le statut de réfugié, l'Ofpra ou la CNDA peuvent faire valoir ce mécanisme introduit dans la loi en 2003. Cette protection subsidiaire peut s'appliquer à toute personne "pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel", relève l'Ofpra. Trois atteintes graves sont répertoriées : "la peine de mort ou une exécution", "la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants" ou encore "une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence aveugle résultant d'une situation de conflit armé interne ou international". 

Selon le rapport d'activité de l'Ofpra (PDF), en 2020, quelque 6 400 Afghans ont bénéficié de ce statut qui permet notamment l'obtention d'un titre de séjour pour une durée de quatre ans. "Il était beaucoup plus facile d'y accéder pour les Afghans par rapport au statut de réfugié car il leur suffisait d'établir qu'ils provenaient d'une région en proie aux combats", expliquait en août 2021 à franceinfo la juriste Marta Nahay. Depuis l'arrivée au pouvoir des talibans pendant l'été 2021, la notion de guerre dans ce pays est plus discutable, reconnaissent les spécialistes interrogées par franceinfo. Toutefois, cela n'empêche pas les autorités françaises d'accorder la protection subsidiaire au titre des risques de "traitements inhumains ou dégradants", expliquait en octobre la CNDA.

Le mécanisme inédit de la "protection temporaire"

L'exode de millions de civils fuyant l'Ukraine a conduit l'Union européenne à mettre en œuvre un autre mécanisme, jamais déployé auparavant : la protection temporaire. Ce dispositif, encadré par une directive européenne de 2001 dans le contexte de la guerre en ex-Yougoslavie puis au Kosovo, doit permettre aux Vingt-Sept de "faire face à un afflux massif" de déplacés, décrypte la docteure en droit européen Tania Racho.

Cette procédure exceptionnelle s'adresse aux personnes fuyant la guerre en Ukraine, qu'elles soient ressortissantes ukrainiennes ou résidentes de longue date dans ce pays. Comme le statut de réfugié, la protection temporaire leur permet de séjourner dans l'Union européenne, d'y travailler, d'accéder aux aides sociales et au logement, au système scolaire et aux soins médicaux. Cependant, ce mécanisme ne s'applique que pour une durée d'un an renouvelable, "dans l'idée que lorsque la situation se sera améliorée, ils pourront rentrer dans leur pays", analyse Tania Racho.

"C'est un statut provisoire de protection immédiate", a martelé mardi Marlène Schiappa sur franceinfo. "Un Ukrainien qui arrive en France, immédiatement, est sous statut de protection", a précisé la ministre déléguée à la Citoyenneté. 

Ce dispositif a été mis en place pour éviter de "saturer le système d'asile, qui est déjà hyper lourd en France", avance Cécile Madeline. En 2019, l'instruction des demandes par l'Ofpra et la CNDA s'étalait en effet en moyenne sur 325 jours, soit près de 11 mois, selon un rapport de l'association Forum réfugiés-Cosi (PDF) publié en juin 2020. Avec le système de protection temporaire, "l'impact sur l'asile devrait donc être plus progressif", a assuré mardi le directeur de l'Ofpra, Julien Boucher, auditionné par le Sénat sur l'accueil des Ukrainiens.

A plus long terme, si le conflit dure, "l'asile aura vocation à prendre le relais de la protection temporaire", poursuit le directeur de l'Ofpra. Un Ukrainien souhaitant être reconnu comme réfugié en France devra donc suivre le parcours classique et déposer une demande d'asile auprès de l'Ofpra. A l'issue de l'examen de son dossier, il "pourra bénéficier du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire", avance Julien Boucher. 

Si la mise en place de cette protection temporaire pour les Ukrainiens a fait l'unanimité auprès des Vingt-sept, plusieurs responsables politiques ou associatifs ont regretté une "application à géométrie variable""Cette directive n'a jamais été activée lors de situations similaires, et ce, notamment lors de l'arrivée nombreuse de personnes exilées aux frontières de l'UE suite aux conflits récents en Syrie, en Libye, en Afghanistan", regrette Amnesty International. Lors de la crise migratoire de 2015, "la situation de guerre en Syrie rentrait tout à fait dans le cadre de la directive de protection temporaire", estime Tania Racho. Pourtant, "à ce moment-là, personne n'a voulu l'activer", rappelle la spécialiste.

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