"On nous met des bâtons dans les roues" : après l'"Aquarius", un autre bateau humanitaire en attente d'un port d'accueil
Un navire de la marine américaine a porté secours à une quarantaine de migrants au large de la Libye. L'ONG Sea-Watch et les naufragés attendent désormais des instructions pour pouvoir rejoindre la terre ferme.
L'Aquarius fait finalement cap vers le port de Valence après plus de 36 heures d'immobilisation dans les eaux internationales. D'ici ce week-end, les 629 migrants qu'il a secourus devraient pouvoir débarquer en Espagne, qui s'est proposée pour les accueillir. Mais 41 autres rescapés d'un naufrage au large des côtes libyennes sont, eux, toujours bloqués en mer, mercredi 13 juin, sans possibilité de débarquement dans l'immédiat.
While we and the US-Warship next to us are awaiting an answer by Italy if we are allowed to bring 41 survivors to a safe place, our thoughts are with 629 people on #Aquarius and 12 people who drowned here at sea today. We say: no more gambling with lives at sea #apriteiporti pic.twitter.com/3KYEEq2dSr
— Sea-Watch (@seawatchcrew) June 12, 2018
Ils ont été récemment secourus par un bâtiment de la marine américaine, le Trenton, lequel a aussi récupéré 12 corps en mer Méditerranée, a annoncé mardi l'ONG allemande Sea-Watch, dédiée au sauvetage en mer. Le Sea Watch 3, dépêché par l'association, a été appelé à la rescousse par les Américains : en effet, en l'absence de l'Aquarius, il est désormais le seul navire humanitaire présent au large des côtes libyennes. Le bâtiment a donc rejoint le Trenton, mais stationne pour l'instant à ses côtés en attendant de savoir vers quel port se diriger pour débarquer.
"La même situation que l'"Aquarius'"
"Les Américains nous ont demandé de les prendre à bord et de les ramener à terre pour qu'ils puissent retourner à leurs opérations, mais tant qu'ils sont sur une plateforme stable, nous n'allons pas les prendre à bord avant qu'on nous indique un lieu sûr de débarquement", justifie Ruben Neugebauer, porte-parole de Sea-Watch, contacté par franceinfo.
BREAKING #SeaWatch is heading towards a shipwreck 20 miles from Libya, reported to us by an order of the U.S. Navy, which has rescued 41 people from the water and confirms 12 corpses. This happens, if there are not enough rescue assets in place and a #safepassage is absent.
— Sea-Watch (@seawatchcrew) June 12, 2018
En effet, le Centre de coordination de sauvetage maritime (MRCC) basé à Rome, auquel ils font habituellement appel, leur a annoncé ne pas être responsable de leur prise en charge. "C'est la même situation que ce qu'il s'est passé pour l'Aquarius", explique Ruben Neugebauer, rappelant que le Sea Watch 3 a toujours accosté en Italie.
"Le nord des côtes de la Libye est une zone grise où il n'y a aucun MRCC compétent, explique à franceinfo Antoine Laurent, responsable des opérations maritimes pour l'ONG SOS Méditerranée. L'Italie depuis une dizaine d'année s'est portée, entre guillemets, volontaire pour assurer la coordination et même les sauvetages." "C'est la première fois que le MRCC de Rome se déclare incompétent, relève Ruben Neugebauer. Nous attendons les instructions."
C'est un scandale. La bataille autour de la répartition des demandeurs d'asile doit se dérouler sur terre, et pas au dépens de personnes en situation de détresse en pleine mer.
Ruben Neugebauerà franceinfo
La seule équipe de secours sur place
Pour le responsable de Sea-Watch, la situation actuelle n'aurait pas eu lieu si l'Aquarius avait été sur zone, et non obligé de faire route vers l'Espagne après la décision italienne de lui refuser le débarquement. Et pour cause : il est un des navires les plus actifs dans la région, avec 102 opérations de sauvetage et plus de 15 000 personnes rescapées des eaux en 2017. Et il était même "le seul bateau à rester dans la zone de naufrage de façon continue depuis 28 semaines", a indiqué Sophie Beau, la directrice de SOS Méditerranée, lors d'une conférence de presse mercredi. En son absence, le Sea Watch 3 se retrouve donc seul.
D'autant que la mission des sauveteurs est devenue de plus en plus compliquée et leur présence en mer s'est raréfiée, en raison de conflits avec les autorités italiennes et libyennes. Ainsi, l'association Save the Children, qui a porté secours à plus de 10 000 personnes en Méditerranée en 2017 selon Reuters, a mis fin aux opérations de son bateau en octobre de la même année. L'association MOAS, qui avait porté assistance à plus de 7 000 naufragés, s'est également retiré et Médecins sans frontières a temporairement cessé les opérations de son navire, le Prudence. Quant au Iuventa, de l'association allemande Jugend Rettet, il a été confisqué par la justice italienne.
Il y a une campagne de criminalisation intense à l'égard des ONG, on nous met tellement de bâtons dans les roues. Il est difficile de maintenir des missions de sauvetage dans ces conditions.
Ruben Neugebauerà franceinfo
En Italie, l'hostilité envers les ONG est particulièrement virulente, rappelle Le Monde. En 2017, le Mouvement-5 étoiles critiquait les "taxis de la Méditerranée" et La Ligue, son allié d'extrême droite, suggérait que tous leurs navires soient saisis, d'après Reuters. Désormais au pouvoir, ces deux partis semblent appliquer leur défiance vis-à-vis du travail des humanitaires, quitte à prendre des décisions contradictoires. Alors que les autorités italiennes ont refusé le débarquement de l'Aquarius, ils ont ainsi autorisé le débarquement, mercredi matin, de 900 migrants... sauvés par des gardes-côtes italiens.
On peut comprendre la situation de l'Italie, c'est aux Etats européens de trouver une solution.
Ruben Neugebauerà franceinfo
"Personne n'entend les appels de détresse, personne ne reçoit, personne ne voit rien", s'inquiète quant à elle Sophie Beau, en réclamant une flotte de sauvetage européenne. "Tous les Etats européens savent qu'il va y avoir des milliers de morts en Méditerranée centrale."
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