Cette commune de la Vienne a accepté d'accueillir des réfugiés "et tant pis si on n'est pas réélus"
Depuis juin, des demandeurs d'asile soudanais et afghans habitent dans les anciens logements des gendarmes de Naintré, près de Châtellerault. La cohabitation avec les habitants se passe bien.
Le portable crache du Maître Gims depuis la poche d’un pantalon et chacun exerce son français approximatif sur les paroles. Dans la cour d’un long bâtiment défraîchi de Naintré (Vienne), mardi 4 octobre, l’ambiance est bon enfant. Mahmoud, Hijratullah et les autres demandeurs d'asile s'apprêtent à commencer une nouvelle partie de pétanque. Depuis qu'ils en ont appris les règles, impossible de se passer de leur tradition post-déjeuner.
Cela fait quatre mois que ces 25 Soudanais et Afghans cohabitent ensemble dans cet immeuble de trois étages, dressé au milieu d'un quartier pavillonnaire de cette ville de 5 900 habitants située près de Châtellerault. Les anciens logements de fonction des gendarmes, voués à la démolition, ont été reconvertis en centre d'accueil et d'orientation (CAO) après l'appel du gouvernement aux logements vacants, lancé à l'automne 2015.
Trouver des meubles en 48 heures
Si la mairie était candidate à l'accueil, elle a tout de même été prise de court quand les 25 migrants ont débarqué en bus, début juin. Heureusement pour les élus, une répétition avait eu lieu en novembre, à l'occasion de l'arrivée de cinq Irakiens à Naintré. En 48 heures, il avait fallu tout organiser afin de les accueillir dans de bonnes conditions. Même les élus avaient mis la main à la pâte pour nettoyer les chambres vides et donner quelques meubles.
"Ensuite, on a passé un appel dans le journal pour trouver des bénévoles. Une douzaine de personnes se sont tout de suite portées volontaires", se souvient Christine Piaulet, la maire socialiste de la ville. L'expérience a servi de test. Au fil des mois, le réseau de volontaires s'est étoffé, Emmaüs et le Secours populaire ont proposé leur aide et, quand les 25 hommes sont arrivés de la "jungle" de Calais et du camp parisien de La Chapelle, tout s'est mis en place du jour au lendemain.
Sport, cours de français et paperasse
La plupart des nouveaux venus ne se connaissaient pas avant d'arriver à Naintré. Tous ces hommes, âgés de 20 à 42 ans, ont en commun d'avoir fui une vie de guerre pour tenter de trouver la sécurité. Mais les horizons sont divers : dans l'immeuble, des étudiants, un reporter-caméraman, un agent immobilier ou encore d'anciens militaires doivent désormais vivre ensemble. Ils se partagent quatre appartements, composés chacun de trois chambres.
La décoration y est spartiate, mais l'essentiel est là : eau, électricité, électroménager, mobilier, télé et, depuis peu, du wifi pour communiquer avec leurs proches restés dans leur pays d'origine. Les liens se créent entre les colocataires et avec les travailleurs sociaux venus les soutenir.
Tous les jours, Anaïs Labrousse aide ainsi les migrants dans leurs démarches administratives pour obtenir leur précieux sésame : le statut de réfugié et un titre de séjour de dix ans qui leur permettra de travailler, ce qui peut prendre plusieurs mois. Cette employée de l'association Audacia est épaulée par une vingtaine de bénévoles qui tentent d'occuper les journées des nouveaux habitants en attendant qu'ils soient fixés sur leur sort.
Ateliers de jardinage, séances de musculation, visites à la médiathèque voisine… Tout est fait pour préparer les 25 futurs réfugiés à leur intégration. Audacia leur verse un pécule de 4 euros par jour. Ils font leurs courses aux Restos du cœur ou dans le supermarché voisin, et circulent dans les alentours grâce aux vélos qu'on leur a donnés et qu'ils ont retapés. Deux fois par semaine, tous les demandeurs d'asile suivent un cours de français organisé par une bénévole. On anticipe l'apprentissage qui sera ensuite obligatoire.
Une fois qu’ils auront le statut de réfugiés, les cours seront + réguliers et surtout obligatoires pic.twitter.com/8psroJSGZY
— Julie Rasplus (@julie_rs) 4 octobre 2016
Survivre à une périlleuse traversée et à la "jungle"
Naintré offre un répit à ces hommes usés par les traversées périlleuses en Méditerranée ou la galère de la survie à Calais. "Quand ils arrivent, ils dorment pendant une semaine. Ils sont fatigués, amaigris, certains tombent malades", raconte Anaïs Labrousse. Même si les souvenirs douloureux restent accrochés aux murs, les visages des demandeurs d'asile affichent des traits apaisés, à l'instar d'Hijratullah.
Ce jeune Afghan de 22 ans, à l'anglais parfait, a fui son pays l'année dernière. Il a quitté Kaboul avant la fin de sa première année de médecine, laissant derrière lui ses parents, sa sœur et ses neveux. Passé par la Russie, puis la Norvège avant d'être obligé de quitter le pays, il a connu la "jungle" de Calais.
Là-bas, la vie est très difficile. Il n'y a pas de lois, les gens se battent, volent. Ce n'est pas un endroit pour les humains, seulement pour les animaux.
Pour lui, le contraste entre son année d'exil et la vie dans la Vienne est saisissant. "J'aime beaucoup Naintré car c'est très calme", dit-il.
Une décision sans réunion publique
A la différence d'autres communes où l'accueil des migrants crée des tensions, l'expérience se déroule ici dans une relative quiétude. Il faut dire que l'équipe municipale ne s'est pas posé de question. La ville est d'ailleurs la seule de la circonscription à avoir été volontaire pour l'accueil des migrants. "On s'est proposé spontanément, raconte la maire Christine Piaulet. Nous sommes sur un registre humanitaire. On voulait aider. Ils sont humains et ce sont nos valeurs, nous les avons défendues pendant la campagne. Et tant pis si on n'est pas réélu en 2020 !"
Dans cette ville où le Front national a recueilli 34% des suffrages aux dernières régionales, l'arrivée des 25 Soudanais et Afghans, en juin, a suscité la méfiance de certains. "Il faut être honnête : certains disaient que cela faisait 'beaucoup de Noirs' pour Naintré", reconnaît une des bénévoles. Mais la mairie, qui reçoit 2 000 euros de loyer par mois grâce à cette installation, n'a pas laissé de tribune aux critiques.
Il n'y a pas eu de réunion publique ici. A ceux qui s’en étonnaient, je répondais que je n’en faisais pas lorsqu’il y avait de nouveaux habitants à Naintré ! Il n'y avait pas de raison.
A force d'interactions et de volonté, les choses se sont fluidifiées "naturellement". Désormais, les jeunes de Naintré jouent souvent au foot avec les migrants. A la médiathèque, "les regards ont changé", assurent les bénévoles. En septembre, la fête organisée par les réfugiés pour célébrer la fin du ramadan et remercier les habitants a rassemblé une cinquantaine de personnes.
Dans le quartier, tous les voisins interrogés par franceinfo n'ont rien à redire à leur présence. Pour les élus, la volonté politique "permet aux gens de réfléchir" et de revoir leurs a priori. Naintré n'est pas une exception : "Cet humanisme est présent partout en France. Tous les individus en sont capables", veut croire un conseiller municipal.
"Si je trouve un travail, je resterai à Naintré"
De la bouche des migrants, Naintré leur fait chaque jour la démonstration de la devise française "liberté, égalité, fraternité". Mahmoud (à droite sur la photo) manque même de superlatifs pour qualifier sa nouvelle ville : "J'adore cet endroit. C'est beau. Les gens sont bons."
Ce mécanicien de 29 ans, parti du Soudan il y a plus de deux ans, ne connaissait rien de la France avant que le hasard de l'exil ne l’amène ici. Le voyage a été éprouvant. Il a échappé à la guerre dans son pays, à la prison en Egypte et à un moteur défaillant en plein milieu de la Méditerranée. Et même si sa femme est restée bloquée à Khartoum, il n'en revient pas de sa "chance".
Avec cette procédure, je vais peut-être refaire ma vie. Si tout se passe bien, que j'obtiens le statut de réfugié, que je trouve un job, que je peux vivre une vie normale, je resterai à Naintré. Je ne demande pas plus.
Mahmoud n'est pas le premier à en avoir l'envie. Une famille irakienne, arrivée en novembre à Naintré, a choisi d'y rester après avoir obtenu l'asile. Le père, un ancien capitaine de l'armée irakienne, a trouvé un boulot de plongeur dans un restaurant du coin et paie désormais le loyer à la mairie. La famille, qui continue d'occuper l'appartement délivré à leur arrivée, cherche un autre logement social. Leurs noms ont rejoint la liste d'attente des Naintréens dans le même cas.
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