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Des enfants en centres de rétention ? En France aussi, dénonce la Cimade, qui en a compté 117 depuis le début de l'année

Alors que la polémique fait rage aux Etats-Unis, le nombre d'enfants étrangers enfermés augmente d'année en année en France, malgré six condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme. 

Article rédigé par franceinfo - Recueilli par Juliette Campion
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Une femme arbore une pancarte "Centre de rétention = prison" lors d'une manifestation contre la loi asile-immigration à Toulouse le 17 mars 2018.  (ALAIN PITTON / NURPHOTO)

La "tolérance zéro" appliquée par l'administration Trump à l'encontre des familles sans papiers à la frontière mexicaine n'en finit pas d'émouvoir l'opinion publique. En quelques semaines, près de 2 000 enfants ont été séparés de leurs parents après être entrés illégalement sur le territoire américain. Mercredi 20 juin, Donald Trump est finalement revenu sur sa décision en signant un décret qui doit mettre fin à la séparation entre les enfants et leurs parents.

En France, l'enfermement des mineurs en centre de rétention administrative (CRA) est légal, même si les enfants ne sont pas séparés de leurs familles. Mais les conditions matérielles de leur rétention "sont extrêmement sommaires", critique Maryse Boulard, responsable juridique à l'association Cimade. Elle pointe le "traumatisme" que subissent ces enfants de tous âges, qu'ils soient scolarisés ou "âgés de un mois, deux mois, trois mois"

Franceinfo : Concernant la rétention des mineurs sans papiers, les situations américaines et françaises sont-elles comparables ?

Maryse Boulard : Contrairement aux États-Unis, les mineurs sont accompagnés de leurs parents lorsqu'ils sont placés en centres de rétention administrative (CRA) en France. Ceci dit, il arrive régulièrement que l'administration considère des jeunes comme étant majeurs et, de ce fait, les place seuls en rétention. Pour ce faire, elle se base sur des tests osseux, qui sont par ailleurs décriés par le monde médical, alors que ces jeunes se revendiquent mineurs et sont parfois détenteurs de documents d'identité authentiques.

La rétention est une étape complètement assumée par les autorités, qui précède l'expulsion des étrangers en situation irrégulière. Dans les CRA, on trouve des familles, des enfants en bas âge, des nourrissons. 

Le plus jeune nourrisson placé en rétention l'année dernière avait 30 jours. Il n'est pas rare que des nourrissons de un mois, deux mois, trois mois y soient enfermés.

Maryse Boulard

à franceinfo

Il y a aussi des enfants scolarisés, des adolescents, il y a tous les âges. Les préfectures ne mettent aucune limite.


Nous sommes tout de même assez loin des plus de 2 000 mineurs enfermés aux États-Unis…

Dans les zones d'attente, ces lieux de privation de liberté situés dans des aéroports, des gares ou des ports français, il est tout à fait possible d'enfermer des mineurs seuls, comme aux États-Unis. En 2016, 223 mineurs isolés, parfois très jeunes, ont été enfermés dans ces lieux à leur arrivée en France, par bateau, train ou avion. Soit ils finissent par en sortir, soit ils sont renvoyés dans le pays d'où ils viennent.

A Mayotte, 101e département français, il y a un centre de rétention qui enferme chaque année des milliers d'enfants.

Maryse Boulard

à franceinfo

En 2017, 2 500 enfants y sont passés. On peut faire un lien, même relatif, avec la situation aux États-Unis : nombre de ses mineurs arrivent dans les kwassa-kwassa, parfois seuls, et sont artificiellement rattachés à une personne majeure, qui se trouve dans le bateau avec eux, par l'administration de Mayotte. Ce système permet de les placer en rétention. Cette pratique a été dénoncée par le Conseil d'Etat, mais perdure car elle permet de contourner l'interdiction de placer en rétention des enfants seuls.

Dans quelles conditions sont enfermés les mineurs étrangers en France ?

Les conditions de rétention sont très sommaires. Les personnes ne sont pas dans des cellules, mais il y a des grilles, des barbelés, des policiers en uniforme. Il y a une zone famille délimitée des zones hommes : c'est tout ce qui la distingue.

Cet hiver, pendant la vague de froid, une mère s'est retrouvée enfermée avec son bébé d'un mois et la température était tombée à 10 °C dans sa chambre.

Maryse Boulard

à franceinfo

Il n'y a pas d'aménagement particulier, si ce n'est un lit double pour les parents et un lit simple à côté pour les enfants. Les conditions matérielles sont extrêmement basiques, rien n'est prévu pour les enfants. Il y a éventuellement un petit toboggan dans la cour, mais c'est tout.

Combien de temps les mineurs peuvent-ils être maintenus en rétention ?

La durée maximum de rétention est la même que pour les adultes, c'est à dire 45 jours. Mais la durée moyenne de séjour est en fait beaucoup plus faible car les centres de rétention sont utilisés par commodité : ce sont des placements de transit comme dernière étape avant leur expulsion.

Ces centres fermés facilitent le travail de la police, mais traumatisent les enfants, ce qui n'a pas l'air d'être la préoccupation ni des préfectures, ni des gouvernements.

Maryse Boulard

à franceinfo

Car peu de temps en centre de rétention ne veut pas dire absence de traumatisme pour les enfants. Le contrôleur général des prisons, Adeline Hazan, l'a souligné dans son avis publié le 14 juin. Elle recommande de mettre fin à la rétention des enfants et a souligné le traumatisme immédiat de l'interpellation, du transfert, de l'arrivée, du maintien en rétention. Sa position est partagée par le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), par l'Unicef, par le Commissaire européen aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe. Il y a une unanimité des autorités et des institutions sur le sujet et le gouvernement reste sourd.

Quels sont les chiffres des rétentions de mineurs ? 

Cette année, on en est à 117 mineurs placés en rétention. On est très clairement sur une pente ascendante. Chaque année, il y a de plus en plus d'enfants enfermés. L'année dernière, en métropole, il y a eu 305 enfants placés en CRA.

La France a été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de l'article 3, c'est-à-dire 'traitements inhumains et dégradants'.

Maryse Boulard

à franceinfo

La première condamnation remonte à 2012, ce qui avait mis une sorte de coup d'arrêt au placement en rétention des enfants. En 2013, après sa condamnation, on a recensé seulement 40 enfants détenus. Lors de sa campagne présidentielle, François Hollande avait pris la décision de mettre un terme à la rétention des enfants, mais il n'a pas tenu cette promesse. Le gouvernement est même allé plus loin puisque, dans la loi du 7 mars 2016, il a légalisé la rétention des enfants, ce qui n'était pas prévu dans les textes. Symboliquement, pour le pays des droits de l'homme, c'est très fort. 

Quelle est la situation ailleurs en Europe sur cette question ? 

Notre voisin, la Belgique, qui pratiquait la rétention des enfants, l'a interdite après la condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme. 

Les autres pays qui pratiquent la rétention d'enfants sont la Serbie et la Hongrie. Est-ce que c'est le genre de modèle qu'on veut avoir ?

Maryse Boulard

à franceinfo

Dans de nombreux autres pays européens, notamment l'Allemagne, les enfants ne vont pas en centres de rétention. Il y a des centres d'hébergement ouverts et il y a d'autres modes d'organisation d'expulsions qui sont employés, comme l'assignation à résidence. D'autres possibilités existent pour mettre un terme à la rétention des mineurs, mais notre gouvernement n'a aucune envie de s'en saisir. 

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