Cet article date de plus de neuf ans.

"Dès qu'on arrive à Calais, on a une boule au ventre", témoignent des chauffeurs routiers

Les migrants tentent tout, à Calais, pour monter à bord des camions partant pour l'Angleterre. Francetv info a interrogé deux chauffeurs, qui estiment que la situation se dégrade.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Capture d'écran d'une vidéo de l'association Calais Migrants solidarity, montrant l'arrestation par la police de migrants cachés dans un camion, près de Calais, le 5 mai 2015. (HO / CMS/AFP)

Pour tous, le passage par Calais est devenu une épreuve. Voire un cauchemar. D'un côté, des centaines de migrants bloqués dans le port du Pas-de-Calais cherchent à tout prix à passer en Angleterre. De l'autre, des chauffeurs routiers en partance pour la Grande-Bretagne veulent éviter toute incursion à bord avant d'embarquer sur un bateau : si la police britannique trouve des clandestins dans leur véhicule, ils risquent au mieux une amende, au pire la prison.

Alors que francetv info a révélé, mardi 2 juin, l'explosion du nombre d'interceptions de migrants dans les poids lourds s'apprêtant à traverser la Manche, deux chauffeurs routiers, Julien Wysocki et José Zydower, nous livrent leur témoignage.

"On a peur d'écraser les migrants qui traversent la route"

Julien Wysocki, 29 ans, travaille depuis neuf ans pour l'entreprise de transports de marchandises Deroo. La route Calais-Londres, il la connaît par cœur. Et cet élu syndical FO Transports a vu, au fil du temps, la situation se dégrader : "Dès qu'on arrive à Calais, on a une boule au ventre. Certains migrants se mettent au milieu de la route, ou mettent parfois les femmes devant pour qu'on stoppe, affirme-t-il. Quelques-uns m'ont même caillassé, un jour, pour que je m'arrête."

Son collègue José Zydower, 43 ans, chauffeur chez Norbert Dentressangle depuis huit ans et demi, abonde dans son sens : "On a peur d'écraser les migrants qui traversent la route ou l'autoroute. D'ailleurs, les autorités françaises viennent de limiter la vitesse de la quatre voies de l'A16 Paris-Dunkerque à 90 km à l'heure au niveau de Calais."

La tension monte, selon Julien Wysocki, qui raconte : "L'autre jour je me suis fait agresser au couteau au moment où je suis descendu dans le parking. Les chauffeurs ont peur. Les CRS ne peuvent rien faire : au niveau du parking avant l'entrée dans le port de Calais, il y a une voiture de CRS pour 300 à 400 clandestins."

La "check-list" avant le départ

Avant le passage aux postes-frontières et aux contrôles de sécurité, les chauffeurs sont tenus de prendre des mesures précises. "Il faut remplir une check-list, explique Julien Wysocki. Ecrire le nom de la compagnie où on a chargé, indiquer qu'on a bien vérifié qu'il n'y avait personne sur le toit, sous les bâches, sur les barres entre les essieux – c'est inconscient, d'ailleurs, de se mettre là ! –, la cabine..."

Autre précaution de rigueur, détaillée par  José Zydower : "On doit installer un cordon-câble autour de la remorque jusqu'aux portes, qui empêche d'ouvrir les portes et les bâches. On ferme le câble avec un plomb au numéro bien spécifié et qui ne doit pas être ouvert avant l'arrivée chez le client."

Un travail de précision, ajoute-t-il, "puisqu'il faut insérer le câble dans tous les crochets autour des bâches. Et quand il pleut à verse, qu'il neige, ça n'a rien de drôle de passer le cordon à 3 heures du matin".

"L'autre jour, ils m'ont découpé le toit de la remorque"

Des précautions qui ne suffisent pas toujours : "Les migrants coupent le cordon-câble ou les cadenas avec des grosses pinces-monseigneur. L'autre jour, ils m'ont découpé le toit de la remorque et sont passés par là pour entrer. C'est un collègue, derrière, qui me l'a signalé", se souvient Julien Wysocki.

Les deux chauffeurs routiers sont d'accord sur un point : si le trafic est fluide vers le bateau, tout va bien. Mais si l'attente est longue pour l'embarquement, quelles qu'en soient les raisons – afflux de camions, tempête expliquant le retard d'un ferry – ces bouchons offrent davantage d'opportunités aux migrants pour entrer dans les véhicules. Ou se glisser dans des remorques frigos qui n'ont pas de câble, à leurs risques et périls.

"Sans le plomb qui fermait le câble, je risquais ma place"

Dès le port de Calais, la police britannique succède au contrôle français et patrouille avec des chiens pour détecter les présences humaines. Si les routiers sont si attentifs, c'est parce que la justice britannique punit d'amendes – plusieurs centaines de livres par clandestin – ou de prison ceux qu'elle accuse de négligence. 

En témoigne ce récit de José Zydower : "La police de Boston, en Angleterre, a trouvé des migrants dans ma remorque il y a deux ans. Heureusement, j'ai pu prouver que les passeurs  avaient cassé le câble en acier gainé de plastique et qu'ils l'avaient ressoudé ensuite. La police a d'ailleurs constaté que le plomb était en place, que le cordon était sectionné et remis en place."

Ce qui n'a pas suffi à lever toute suspicion, poursuit-il : "J'ai d'abord été soupçonné et embarqué toute la nuit. J'ai expliqué à l'interprète qu'en plus, je n'avais même pas fait traverser la remorque puisque j'avais été la chercher à la frontière anglaise. Sans le plomb qui fermait le câble, je risquais ma place et des centaines de livres par clandestin."

Julien Wysocki explique : "J'ai désormais la hantise de traverser. Au point que j'ai demandé à mon patron d'arrêter l'Angleterre. Et pourtant, j'adore ça."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.