Drame des migrants : "Tout le monde pensait qu'on allait mourir"
A Lampedusa (Italie), francetv info a rencontré des migrants, qui relatent leur traversée de la Méditerranée.
Ils ont survécu à un voyage extrêmement périlleux. A Lampedusa, petite île italienne face aux côtes libyenne et tunisienne, francetv info a rencontré des migrants, qui racontent comment ils se sont lancés sur la Méditerranée, la route la plus meurtrière au monde pour les clandestins.
Musa : "On ne voyait que la mer. La mer, et le soleil."
Musa a quitté le Liberia il y a quatre mois. Il habitait à Monrovia, la capitale.
"Je suis parti il y a quatre mois de Monrovia. J'ai traversé la Sierra Leone, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, l'Algérie, et enfin la Libye. Ça m'a coûté 1 300 dollars. Comme seul papier, j'avais ma carte de scolarité. Ce n'était pas toujours facile de passer les frontières, et j'ai dû donner de l'argent. Quand je suis parti, je voulais rejoindre mon frère, qui a quitté le Liberia en avril 2014. Mais il a disparu en mer. Il voulait aller en Italie. Il est au fond de l'eau.
En Libye, je suis resté pendant deux mois. Le premier, je l'ai passé dans une prison, après avoir été arrêté. On m'y a frappé, et je ne suis sorti que lorsqu'un ami de l'école a envoyé 500 dinars (335 euros). Ensuite, j'ai travaillé comme ouvrier dans le bâtiment. Certains jours on me donnait 20 dinars (13 euros), d'autres 10 dinars (6,5 euros). Une fois, des hommes armés sont venus là où je dormais, et m'ont volé l'argent d'une semaine de travail. Les Libyens ne sont pas civilisés. Ils sont mauvais avec les Noirs. Ils les frappent, cherchent à voler leur argent, les tuent même parfois. Dans la rue, comme ça. Je l'ai vu.
J'ai payé 600 euros pour monter dans un bateau. Nous étions 400, réunis au même endroit. Il y avait quelques femmes et enfants. J'y ai passé deux semaines et un soir, à 20h30, ils nous ont dit qu'il était temps de partir. Nous avons embarqué dans deux canots pneumatiques, serrés les uns contre les autres.
Nous sommes partis en mer. Un homme était chargé de barrer, un autre de trouver la route. Nous avons commencé par longer la côte tunisienne, avant d'essayer de rejoindre l'Italie. Mais nous avons perdu notre route. Le bateau avait une fuite. On essayait de boucher le trou avec des vêtements et d'éponger l'eau. Tout le monde pensait qu'on allait mourir. Je le jure, je le jure !
Les Libyens se moquaient pas mal qu'on arrive vivant. Ils s'en moquent des Noirs. Ce qui comptait, c'est qu'on ait payé. Les gens priaient, mais personne ne pleurait. Un autre bateau a eu un incident, et deux personnes sont mortes. Des gens ont aussi été brûlés à cause de l'essence.
Moi, j'avais déjà pris un bidon pour m'accrocher si le bateau coulait. On ne voyait que la mer. La mer, et le soleil. Mais un hélicoptère est passé, et nous avons fait de grands gestes. Deux heures plus tard, un grand bateau italien est venu nous chercher. Les Italiens nous on sauvé ! Maintenant, je suis heureux. Je vais avoir une bonne vie."
Ahmed : "J'ai vu la mort..."
Ahmed a 23 ans. Originaire de Sousse, dans l'est de la Tunisie, il raconte pourquoi et comment il a fui son pays.
"En Tunisie, il n'y a rien pour les jeunes, pas de travail. La vie est impossible pour les gens de mon âge. Plusieurs de mes amis ont déjà essayé de passer en Europe.
Il y a trois ans, après la révolution, je suis parti en Libye pour travailler. Je faisais des petits boulots, notamment dans le bâtiment. Mais la situation à Tripoli et en Libye est difficile. C'est un endroit dangereux, il y a du danger, des combats. Alors j'ai payé 1 000 dinars (670 euros) pour monter dans un bateau. On m'a emmené dans une maison. Il y avait des Tunisiens, des Syriens, des Nigérians, des Marocains, des Algériens. Au bout du troisième jour, en pleine nuit, vers 23 heures, ils nous ont dit de nous habiller.
La mer était calme, et le bateau prêt. Nous avons couru sur une plage et par groupes de vingt, nous avons embarqué dans un petit bateau qui nous a emmenés dans un plus gros bateau. Nous étions 250 personnes, tous très serrés. Moi, j'étais à fond de cale, mais d'autres étaient sur le pont.
J'étais en mer pour la première fois, mais aussi la dernière, j'espère. Nous savons qu'en montant dans un bateau, on a autant de chance de vivre que de mourir. Mais j'ai eu très peur et j'ai prié Dieu. J'ai vu la mort. Quelqu'un avait un téléphone et a appelé pour qu'on vienne nous secourir. Au bout de 15 heures, des bateaux italiens nous ont récupérés. Quand nous les avons vus, nous avons coupé le moteur. Ils sont arrivés des deux côtés pour éviter que le bateau ne se renverse.
Nous avons été ramenés sur la terre ferme. En arrivant, on pouvait aller voir un médecin. J'ai appelé ma famille. Ils étaient contents d'avoir des nouvelles. Je leur ai dit que tout se passe bien, que je mange bien. Mais même si j'étais dans la rue, je dirais ça à ma mère. Je pars demain en Sicile, mais maintenant, je veux aller en France."
Michael : "Ma famille a été tuée par Boko Haram"
Michael a 28 ans. Chrétien, il affirme avoir quitté sa ville, Kano, au Nigeria, pour fuir le groupe terroriste Boko Haram.
"Avec ma famille, nous avions reçu des menaces, mais nous ne sommes pas partis. Mon père, ma mère et ma soeur ont été tués par Boko Haram. J'étais parti acheter de l'eau, et je suis le seul encore vivant. J'ai pleuré, pleuré… Un homme m'a pris chez lui, et je lui ai raconté comment mes parents avaient été tués. Il m'a sauvé, en me donnant un peu d'argent pour partir.
Je suis allé en Libye, car un ami m'avait dit qu'il y avait du travail. Je suis plombier. Pour quitter le Nigeria, ce n'était pas un problème. J'ai pris un véhicule vers le Niger. Ensuite, j'ai traversé le désert en voiture jusqu'en Libye. Mais je me suis rendu compte que je ne pouvais pas travailler. Je suis resté quelques mois en Libye, mais l'endroit n'était vraiment pas sûr. Comme au Nigeria, on risque de se faire tuer. C'était la guerre. On tire, des gens sont tués. L'endroit était effrayant. Si on ne se cache pas, on risque de se faire tirer dessus. J'ai entendu que des gens se sont fait voler de l'argent mais ça ne m'est pas arrivé.
[Comme d'autres, Michael reste évasif sur les conditions dans lesquels il a trouvé un bateau pour tenter la traversée, affirmant ne pas avoir eu à payer.]
Nous étions 150 à bord. Il y avait des gens de Gambie, du Togo, du Sénégal. On y parlait beaucoup de langues. La traversée était difficile. Des gens priaient pour de l'aide. C'est comme si j'étais déjà mort. Mais un gros bateau allemand nous a trouvé, et a prévenu les secours.
Je veux passer le reste de ma vie ici, j'adore l'Italie. Bien sûr que vous pouvez me prendre en photo, ils l'ont déjà fait au centre des migrants !"
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