Quand la communauté des internautes soutient le photojournalisme
Voilà 15 ans que Karim Ben Khelifa exerce le métier de correspondant de guerre free lance. Le photographe belgo-tunisien a couvert de nombreux conflits, notamment au Moyen-Orient, et a été publié par de nombreux journaux et magazines (The New-York Times, Le Monde, The Washington Post, Time...). Avant chaque départ, il a fallu décrocher le téléphone un nombre incalculable de fois, pour recueillir les financements nécessaires. Avec, à chaque fois le risque de voir le projet de départ modifié par les éditeurs, à chaque fois celui de ne pas poursuivre un travail entamé, faute d'argent pour repartir.
Ce fut le cas en 2009 avec le projet «Portrait des ennemis». Il s'agissait d'aller au delà du reportage d'actualité, de montrer la subjectivité du regard au public, en réalisant le portrait des combattants de deux camps, à Gaza, Tel Aviv, au Cachemire, au Sud Soudan... En cours de route, Karim Ben Khelifa s'est retrouvé dans l'impossibilité de poursuivre. C'est alors qu'il a eu l'idée de proposer aux internautes de financer des projets qui, comme le sien, peinaient à voir le jour.
Petit-à-petit, son idée a pris forme. Aujourd'hui, sur 50 reportages proposés par des photographes du monde entier, 32 ont vu le jour, grâce à 500 000 dollars récoltés . Tous ont été proposés après examen par un comité de sélection, sur le site emphas.is, dont le principe est le suivant : si les internautes sont intéressés par la présentation du reportage, ils peuvent verser dix dollars ou plus (il faut 120 contributions en moyenne pour faire aboutir un projet) . En échange, ils entrent dans une communauté qui va suivre le photographe dans son travail, toujours via le web.
Une fois parti, celui-ci s'engage à raconter les coulisses de son reportage, à dialoguer avec les internautes. Pour le grand public, il s'agit d'un nouvelle porte d'entrée pour le grand public sur le travail du reporter explique Karim Ben Khelifa. Celui-ci dit avoir souvent croisé des gens qui ne s'intéressaient pas à son cadre, ou à l'exposition, mais bien à ce qui se passait sur place, pour les populations, dans le conflit.
En 15 ans de métier, Karim Ben Khalifa a vu comme tous ses confrères le métier évoluer. «Je suis meilleur qu'avant, j'ai plus de contacts, plus de compréhension des choses. Pourtant, je parviens de moins en moins à financer mes projets. En peu de temps, un an et demi, Emphas.is est ainsi devenu la dernière porte des confrères». Pour le photographe, ils y retrouvent une réelle indépendance, peuvent suivre jusqu'au bout leur ligne sans consigne autre. Ce qui ne les empêche pas, par la suite, d'être publiés dans la presse, ou par les agences. Celles-ci sont d'ailleurs loin de voir d'un mauvais oeil le projet qui leur permet d'offrir des reportages à moindre coût.Le photographe insiste aussi sur le fait que cette plateforme se démarque d'autres initiatives du genre par son intention de respecter la déontologie et l'éthique propres à ce métier.
Karim Ben Khalifa n'est pas lui même passé par cette plateforme, pour poursuivre son aventure «Portrait des ennemis». Mais il se dit heureux d'en être à l'origine, et voit cela comme la poursuite de sa vocation, qui est d'offrir des histoires, même rapportées par d'autres. En peu de temps il a pu ainsi apporter au public, via cette initiative, 32 récits photographiques...
Deux photographies extraites de l'exposition «Portraits des ennemis»
Moussa, 13 ans, lanceur de pierres au Cachemire (© Karim Ben Khelifa)
Tazim Ahmed Wani, 29 ans, soldat de la police indienne (© Karim Ben Khelifa)
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