L'article à lire pour comprendre le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse
Pourquoi les Ecossais sont-ils appelés aux urnes jeudi ? Qu'ont-ils à gagner ou à perdre en quittant le Royaume-Uni ? Francetv info vous explique tout.
Si vos souvenirs de cours de géographie sont bons, vous savez que le Royaume-Uni est un Etat souverain constitué de quatre nations : l'Angleterre, l'Ecosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord. Si vous suivez l'actualité, vous savez que le maillon faible de cette joyeuse bande est l'Ecosse, appelée à se prononcer sur son indépendance, par référendum, jeudi 18 septembre. Si vous avez un peu de mal à vous y retrouver, lisez ceci. On commence en douceur.
1Ça ressemble à quoi, l'Ecosse ?
Vu du ciel, c'est beaucoup de montagnes, autrefois recouvertes de glaciers, qui ont depuis donné naissance à des "glens" (des vallées glaciaires) et des "lochs" (des lacs, des fjords, des baies). Côté mer, avec une vue dégagée, on arrive à compter les 790 îles qui agrémentent le paysage.
Située au nord de l'Angleterre, l'Ecosse représente un tiers du territoire du Royaume-Uni, soit un peu plus d'un dixième de la superficie de la France. On y trouve le 14e PIB par habitant de la planète (devant la France), un taux de chômage de 6,4% et 5 millions d'Ecossais. Quand ils ne jouent pas de la cornemuse ou au golf, les Ecossais travaillent très largement dans le secteur des services, et leurs exportations reposent d'abord sur le whisky et le pétrole, indique la BBC.
2Ça leur a pris comme ça, d'organiser un référendum sur l'indépendance ?
Non, c'est une longue histoire. Après la fusion des royaumes d'Angleterre et d'Ecosse au sein du Royaume-Uni de Grande-Bretagne en 1707, l'Ecosse est devenue une place-forte de l'Empire britannique. La fin de cette puissance coloniale, après la fin de la seconde guerre mondiale, a changé la donne, réduisant les débouchés de "l'atelier de l'Empire". La désindustrialisation des années 1970 et 1980, sous l'ère Thatcher, a encore aggravé la situation dans les mines, la sidérurgie et les chantiers navals.
Ressuscité dès les années 1960, le nationalisme écossais a pris de l'ampleur et Edimbourg a commencé à s'éloigner de Londres. Après un premier référendum ignoré par Westminster en 1979, 74% des "Scots" ont voté, en 1997, en faveur de la création d'un Parlement et d'un gouvernement écossais. Les Ecossais ont alors gagné une autonomie limitée à la santé, l'éducation, la justice et les transports. Les premières élections ont eu lieu deux ans plus tard, remportées par les travaillistes.
En 2007, le Parti national écossais (SNP) est arrivé en tête et a pu former le premier gouvernement indépendantiste de l'histoire de l'Ecosse contemporaine. Le parti s'est encore renforcé aux élections de 2011 (69 sièges sur 129), jusqu'à obtenir de Londres, en 2012, le droit d'organiser un référendum sur la question suivante : "L'Ecosse doit-elle devenir un pays indépendant ?"
3Maintenant qu'on y est, les indépendantistes font toujours les malins ?
Plus que jamais. Au rayon des arguments, il y en a pour tous les goûts, au-delà de la seule dimension romantico-historique à la Braveheart, le célèbre film de Mel Gibson (1995). Selon ses partisans, voter "oui" à l'indépendance serait la garantie de ne plus jamais être gouverné par les conservateurs de Londres, dans une Ecosse qui vote à gauche depuis plusieurs décennies. Toujours selon les indépendantistes, voter "oui" permettrait aussi de sauver le système de santé, qu'ils disent menacé de privatisation, et de maintenir la gratuité des universités, alors que les frais de scolarité explosent dans le reste du Royaume-Uni.
Les partisans du "yes" promettent une société plus verte, plus pacifiste, plus europhile et, surtout, plus riche. "Nous avons calculé que chaque habitant gagnerait 1 000 livres [1 260 euros] de plus par an", assure le chef de file des indépendantistes, Alex Salmond. Où trouver ce trésor ? En grande partie dans la mer du Nord, où l'Ecosse récupèrerait 90% des gisements de pétrole aujourd'hui exploités par le Royaume-Uni.
4Et en face, que répondent les opposants ?
La campagne du "Better Together" ("Mieux ensemble") affirme que l'Ecosse, au sein du Royaume-Uni, bénéficie de la puissance d'un grand pays. Cela vaut notamment sur le plan économique, avec une monnaie solide et un grand marché intérieur (64 millions d'habitants). "Londres est à la fois le débouché naturel du savoir-faire écossais et le protecteur désigné en cas de crise financière ou pétrolière", assure le secrétaire d'Etat britannique chargé de l'Ecosse, Alistair Carmichael.
Si l'Ecosse prend le large, elle ne pourra plus avoir pour monnaie la livre sterling britannique, menacent les anti-indépendance. Ces derniers estiment, en outre, que les espoirs du camp du "oui" sur les revenus pétroliers sont très exagérés. Selon eux, au final, en plaquant le Royaume-Uni, les Ecossais subiraient un manque à gagner de 1 400 livres (1 740 euros) par habitant et par an.
Les unionistes (favorables au maintien de l'Ecosse dans le Royaume-Uni) tentent de convaincre les indécis en faisant miroiter une autonomie renforcée pour Edimbourg. Ils promettent une Ecosse libre dans un Royaume-Uni fort, d'où leur slogan : "Le meilleur des deux mondes".
5Ça intéresse les Ecossais, cette affaire ?
Oh que oui ! "Le record de participation électorale en Ecosse va être battu le 18 septembre", annonce déjà The Herald (en anglais). Un nombre historique d'Ecossais se sont inscrits sur les listes, y compris des mineurs âgés entre 16 et 18 ans, autorisés pour la première fois à glisser un bulletin dans l'urne. Deux prisonniers condamnés à la perpétuité sont même allés devant les tribunaux pour obtenir (en vain) le droit de prendre part au scrutin, raconte la BBC (en anglais).
Le taux de participation devrait être compris entre 70 et 80%, selon une étude. Le leader indépendantiste Alex Salmond, ancien parieur équestre, a lui invité les Ecossais à miser sur une participation de 80%. Quoi qu'il en soit, on sera loin devant les chiffres des dernières élections (33% aux européennes de 2014, 50% aux législatives écossaises de 2011 et 64% aux législatives britanniques de 2010).
6Entre nous, les indépendantistes peuvent vraiment l'emporter ?
Il y a quelques semaines, la réponse semblait simple : non. Le 7 août, l'institut de sondage YouGov créditait le camp du "oui" de 39%, loin derrière le "non", à 61%. Un mois plus tard, panique à Londres : ce retard de 22 points s'est transformé en avance de deux points. Le dernier sondage en date, publié dimanche, a toutefois redonné un léger avantage au camp du "non".
Malgré le soutien des principaux partis britanniques (conservateurs, travaillistes, démocrates libéraux), le camp du "non" peine à mobiliser autour d'un programme de quasi-statu quo. Il est régulièrement accusé de jouer sur la peur des Ecossais, en promettant un désastre en cas d'indépendance. A l'inverse, le camp du "oui" surfe sur la promesse plus excitante de lendemains meilleurs. En tenant compte des marges d'erreur des sondages, le résultat s'annonce très serré.
7Que se passera-t-il si l'Ecosse quitte le Royaume-Uni ?
Les Britanniques se réveilleront-ils, vendredi 19 septembre, amputés d'un tiers de leur territoire ? Pas tout de suite. Si l'Ecosse se prononce pour son indépendance, elle ne devrait l'obtenir que dans un an et demi, avec une fête de l'indépendance envisagée par le gouvernement écossais pour le 24 mars 2016.
Avant cela, l'Ecosse devra mener d'importantes négociations avec le Royaume-Uni, sur la monnaie, la dette, la base de sous-marins nucléaires de Faslane... Alex Salmond espère un changement dans la continuité, en gardant la livre sterling, la reine (au sein du Commonwealth, comme l'Australie ou le Canada), la BBC et la liberté de circulation entre les deux pays. Il faudra aussi négocier une probable place au sein de l'Union européenne et de l'Otan (et de l'Eurovision...).
Le Royaume-Uni, lui, se retrouvera affaibli, à commencer par le potentiel "Premier ministre qui a perdu l'Ecosse", David Cameron, qui pourrait être contraint à la démission. A huit mois du renouvellement du Parlement de Westminster, certains députés conservateurs lui imputeront cet échec et une motion de défiance pourrait le renverser au sein du parti conservateur. Les travaillistes sortiront également perdants, privés d'un électorat qui leur est historiquement favorable. Autre inquiétude, plus anecdotique, pour le drapeau britannique, qui risque d'être défiguré.
8Et si le "non" l'emporte, on garde les mêmes et j'ai lu cet article pour rien ?
Si l'Ecosse reste britannique, ce ne sera que partie remise, peut-être après les élections écossaises de 2020, estiment de nombreux commentateurs. D'ici là, le gouvernement écossais entrera en discussions avec le gouvernement britannique pour mettre en œuvre l'autonomie renforcée promise par le camp du "non". A la clé de cette dévolution de pouvoir vers Edimbourg, de nouveaux pouvoirs en matière d'emprunt, d'impôt et de dépenses.
9Sorry, j'ai eu la flemme de tout lire. Vous me faites un résumé ?
Après 307 ans de vie commune avec l'Angleterre, les Ecossais sont appelés, pour la première fois de leur histoire, à se prononcer sur une éventuelle indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni. Longtemps distancés dans les sondages, les indépendantistes ont renversé la vapeur ces dernières semaines, jusqu'à prendre une légère avance sur les unionistes. Dans une Ecosse plus à gauche que le reste du Royaume-Uni, le camp du "oui" y voit l'occasion pour la nation de prendre son destin entre ses mains, pour sauver son régime d'Etat-providence qu'elle juge en danger.
Alors que la participation s'annonce historique, le débat porte en grande partie sur la question économique. Les partisans de l'indépendance misent sur le jackpot du pétrole de la mer du Nord, mais leurs opposants jugent les estimations de cette cagnotte exagérées et brandissent la menace d'une baisse du niveau de vie des Ecossais. Quoi qu'il en soit, si le "oui" l'emporte, tout se jouera en coulisses lors des discussions de divorce avec Londres, en vue d'une indépendance en 2016.
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