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Réfugiés: un rideau de fer culturel au centre de l'Europe?

La division entre Européens est totale sur la manière de gérer le plus important afflux de réfugiés depuis 1945. L’est du Vieux continent ne veut pas entendre parler de quotas de répartition et évoque les «racines chrétiennes» de l’Europe. Tandis qu’à l’Ouest, on en appelle aux «valeurs» de l’UE. Un nouveau mur, culturel celui-là, est-il en train de se dresser, comme au temps de la Guerre froide?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des policiers hongrois patrouillent, le 16 septembre 2015, près du village d'Asotthalom, le long de la barrière de fils de fer barbelés mise en place à la frontière avec la Serbie. (REUTERS - Stoyan Nenov)
«Nous devons parler de moyens de pression», a lâché le ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière, le 15 septembre 2015 à la télévision publique ZDF. Les pays qui refusent la répartition par quotas «sont souvent des pays qui reçoivent beaucoup de fonds structurels» européens. «Je trouve (…) juste (…) qu’ils reçoivent moins de moyens» financiers de la part de Bruxelles, a-t-il ajouté.

La menace est claire et vise l’aide et la solidarité dont ont bénéficié les pays de l’Europe de l’Est et centrale depuis leurs adhésions à l’UE. Elle fait notamment allusion au fait que des pays comme la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie ont refusé d’adhérer à un accord sur la répartition contraignante de 120.000 réfugiés entre les membres de l’Union.

Ce n’est pas la première fois que les dirigeants occidentaux s’énervent sur l’attitude de leurs homologues de l’Est. Le 25 juin, lors d’un sommet européen, le Premier ministre belge, Charles Michel, expliquait ainsi: «Pour certains, la solidarité, c’est quand cela les arrange. »Et le 30 août, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait jugé «scandaleux» le fait que certains pays «n’acceptent pas les contingents» de répartition.
 
Dans le même temps, Laurent Fabius avait souhaité que la Hongrie démantèle les grillages installés à sa frontière qui «ne respectent pas les valeurs communes de l’Europe». Budapest a en effet installé une barrière de 175 km de long à sa frontière avec la Serbie. Pour le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, «c'est seulement lorsque nos frontières seront protégées que nous pourrons nous poser la question du nombre de personnes que nous sommes en mesure d'accepter, et de savoir s'il doit y avoir des quotas.»

«Valeurs»
Comme Laurent Fabius et Angela Merkel, Viktor Orban évoque les «valeurs» à propos du dossier des migrants. Mais qui ne sont pas celles du ministre français et de la chancelière allemande. «C'est une question importante, parce que l'Europe et la culture européenne ont des racines chrétiennes. Et n'est-il pas déjà en soi alarmant que la culture chrétienne de l'Europe soit à peine en mesure de maintenir ses propres valeurs?», s'interroge-t-il dans une tribune publiée le 3 septembre par le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung.
 
Des militants d’extrême droite manifestent à Varsovie, le 25 juillet 2015, contre l’arrivée de réfugiés. Sur leur bannière, on peut lire : «Immigrants aujourd’hui, terroristes demain».
 (Reuters – Kuba Atys – Agencja Gazeta)

A l’est du Vieux continent, Viktor Orban n’est pas le seul à défendre de telles positions. La Slovaquie, qui s’est engagée à recevoir 200 réfugiés, préfère que ceux-ci soient de confession chrétienne. «Nous voulons choisir des gens qui veulent vraiment entamer une nouvelle vie en Slovaquie. En tant que pays chrétien, la Slovaquie peut aider les chrétiens de Syrie à fonder un nouveau foyer», a ainsi expliqué le 20 août le porte-parole du gouvernement de Bratislava. Et d’ajouter : «Pour la plupart des migrants, nous ne sommes qu'un pays de transit. Nous avons une toute petite communauté musulmane. Nous n'avons même pas de mosquée», a-t-il fait valoir.

Dans le même temps, des manifestations contre l’immigration et l’islam, présenté comme «la mort de l’Europe» ont été organisées le 12 septembre en Pologne. Mais aussi en République tchèque et en Slovaquie.

La plus importante, qui a eu lieu à Varsovie, a réuni 5000 personnes, selon l’AFP. «Les manifestants invoquaient spontanément la peur pour expliquer leur présence», a rapporté l’AFP. «J'ai peur. J'ai une fille, j'aurai peut-être une petite fille, je ne veux pas qu'il leur arrive quelque chose. Il faut défendre nos frontières, car les immigrants ce sont surtout des jeunes hommes», a ainsi expliqué Anna, 34 ans, qui n'a pas voulu donner son nom. Des propos entendus aussi en Hongrie : «Pour une bonne partie des Hongrois, les réfugiés sont (…) des hommes jeunes, parfois agressifs contre les policiers», constate Le Monde. Il faut dire que, dans ce pays, «tout a été fait (…) du côté des médias proches du gouvernement, (…) pour attiser (…) l’anxiété de la population»

Une anxiété qui peut se muer en comportement violent. Les images montrant une journaliste d’un site d’extrême droite, qui a délibérément fait tomber plusieurs migrants à la frontière avec la Serbie, ont fait le tour du monde.

Vidéo mise en ligne sur Youtube le 8 septembre 2015

Les sondages, réalisées sur tout le Vieux continent ces dernières semaines, tendent à montrer cette coupure entre Est et Ouest : en Europe occidentale, les opinions tendent à être plutôt favorables à l’accueil des migrants alors qu’elles se montrent beaucoup plus rétives en Europe orientale et centrale. Avec des nuances pour des pays comme la France ou le Danemark.

Clivage culturel
Autant d’éléments qui traduisent un fossé culturel entre les deux parties du continent. Les pays de l’Est «ont longtemps été isolés (…). Ils n’ont jamais été des pays d’immigration, seulement d’émigration depuis la chute du Mur» de Berlin, constate ainsi Yves Bertoncini, directeur de l’Institut Jacques Delors, cité par Les Echos.

Dans ces pays, «malgré la convergence des économies comme des modes de vie et l’intégration réussie dans les institutions européennes, les mentalités n’ont guère changé», note de son côté le journaliste Marc Semo dans Libération. la nation. En souligne dans le journal Jacques Rupnik, directeur de recherches au Ceri-Sciences-Po. Et de rappeler que «pour ces pays sans passé colonial, le multiculturalisme en vigueur en Occident est un choc». 

Cette coupure marque une conception divergente de ce que doit être l’Europe. Pour les Européens de l’Est, cette conception est ainsi «celle d’un espace civilisationnel et culturel fondé sur ce qui leur paraît être d’évidentes racines chrétiennes», explique Marc Semo. De quoi surprendre (c’est un euphémisme !) à l’Ouest. Et particulièrement en France, largement laïque et déchristianisée. 

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