Reportage "Nous n'accepterons jamais l'étiquette d'espions" : en Géorgie, de nombreuses ONG refusent d'envisager d'appliquer "la loi russe"

Le bras de fer entre la société civile et le parti Rêve géorgien au pouvoir dure depuis plusieurs années déjà, mais il se durcit encore avec le vote de cette nouvelle loi.
Article rédigé par franceinfo
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Eka Gigauri, directrice de Transparency International en Géorgie, à Tbilissi le 12 mai 2024. (VANO SHLAMOV / AFP)

La Géorgie est toujours en ébullition après l'adoption par le pouvoir, mardi 14 mai, de la loi sur les agents de l'étranger. Mercredi soir, 30 000 personnes, dont beaucoup d'étudiants, ont défilé dans les rues de la capitale Tbilissi.

La loi, que ses opposants appellent la "loi russe", parce qu'elle est calquée sur une législation adoptée en Russie en 2012, oblige dorénavant toutes les organisations comme les ONG ou les médias qui reçoivent plus de 20% de leur financement depuis l'étranger à s'enregistrer comme "agents de l'étranger".

"La répression est déjà là avant même l'entrée en vigueur de la loi"

Depuis plusieurs années déjà, les ONG sont dans le viseur du pouvoir. Bien avant la première tentative de vote de la loi sur l'influence étrangère, il y a un an, pour laquelle l'exécutif avait reculé. Mais la répression s'est intensifiée, raconte Baïa Pataraïa, la dirigeante d'une des principales organisations de défense des droits des femmes en Géorgie. Dans ce pays très conservateur, elle est souvent considérée comme une ennemie. "Il y a eu beaucoup d'affiches avec ma photo et l'inscription 'ennemie de l'Église' ou 'personne qui n'a pas de patrie', déplore Baïa Pataraïa. Mon immeuble a été vandalisé, je reçois constamment des coups de fil menaçants. D'autres ont été brutalement agressés. La répression est déjà là avant même l'entrée en vigueur de la loi."

Baïa Pataraïa, directrice du groupe de défense des droits des femmes Sapari, devant sa porte d'entrée à Tbilissi le 11 mai 2024. Le graffiti indique "Vendu pour de l'argent". (GIORGI ARJEVANIDZE / AFP)

Baïa Pataraïa reçoit la plupart de ses financements de l'étranger. L'État ne donne pas de subventions aux ONG et le financement participatif est faible dans ce pays pauvre. C'est aussi la réalité avec laquelle doit composer d'Eka Gigauri, la directrice de Transparency International en Géorgie. Cette femme déterminée sait que son organisation, qui lutte notamment contre la corruption, est particulièrement visée par la loi sur l'influence étrangère. Mais elle n'appliquera pas la loi. "Je ne m'inscrirais jamais moi-même ou mon organisation comme agent agissant dans l'intérêt d'un autre pays, explique Eka Gigauri. Bien sûr, il y aura des amendes, le gel de nos avoirs, des descentes de police dans nos bureaux ou des arrestations. Nous nous attendons à tout, mais nous n'accepterons jamais l'étiquette d'espions."

Pour le parti au pouvoir Rêve géorgien, cette loi ne viserait qu'à assurer la transparence des financements. Mais pour Baïa Pataraïa, l'objectif est ailleurs : "Nous n'avons pas de justice indépendante. L'opposition est faible et les seules voix indépendantes qui se font entendre sont la société civile et les médias indépendants."

"Ils veulent faire taire toutes les critiques et c'est pour ça que nous sommes visés."

Baïa Pataraïa, directrice du groupe de défense des droits des femmes Sapari

à franceinfo

La loi russe comme l'appelle pourrait aussi limiter le nombre d'observateurs indépendants lors des élections législatives de cet automne, décisives pour l'avenir du pays... Les ONG craignent que le pouvoir ait recours à la fraude.

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