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Les diamants russes, grands oubliés de la liste des sanctions européennes

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Diamants bis
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Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
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Depuis de la début de guerre en Ukraine, l’Union Européenne a sanctionné des secteurs entiers de l’économie russe. Mais dans la longue liste des interdictions, une industrie brille par son absence, celle des diamants. Chaque année, les exportations de ces pierres brutes vers l’Europe rapportent près de 2 milliards d’euros à la Russie. Malgré la guerre, le commerce continue. En toute légalité.

En Europe, le cœur de l’industrie du diamant se trouve à Anvers, en Belgique. Dans trois rues du centre-ville, parmi les plus surveillées du pays. " Rien que dans ce quartier, 1600 entreprises sont enregistrées ", indique Hans Merket. Ce chercheur de l'ONG IPIS - qui documente les trafics de diamants- est l’un des plus fins connaisseurs du marché européen. "A Anvers, précise-t-il, 25 % des diamants viennent de Russie". Selon lui, la guerre en Ukraine n’a rien changé au volume des transactions. D’après les derniers chiffres officiels publiés par la banque nationale belge, les échanges de diamants avec la Russie ont même atteint un niveau record, quatre mois après le début de la guerre. "Cette année, en juin, les importations de diamants russes ont atteint 393 millions d'euros. L'an dernier, pour la même période, c'était seulement 175 millions d'euros. C'est un chiffre exceptionnel ", souligne le chercheur.

"A Anvers, 25 % des diamants viennent de Russie"

Des importations qui ne faiblissent pas et qui ont bénéficié à une grande entreprise russe nommée Alrosa. Basée à Myrni, en Sibérie orientale, la firme, spécialisée dans l’extraction de diamants au sein d’immenses mines à ciel ouvert, appartient à 33 % à l’Etat russe. Le patron de la compagnie, Serguei Ivanov, est même régulièrement reçu par Vladimir Poutine, comme ici en 2020. Contacté, les responsables d’Alrosa en Russie ont refusé de répondre à nos questions. Selon nos informations, des équipes de la compagnie russe travaillent encore depuis Anvers, mais impossible de savoir combien de salariés sont présents, ni la réalité de leur travail. Alors que de nombreux secteurs de l'économie russe sont visés par les sanctions européennes, comment expliquer que, malgré ses liens avec le Kremlin, Alrosa soit épargnée ?  Au parlement de Bruxelles, de plus en plus de députés posent ouvertement la question. "Les diamants russes sont des diamants de sang", dénonce Kathleen Van Brempt, eurodéputée appartenant au groupe Alliance Progressistes des Socialistes et Démocrates au parlement européen. "Jusqu’à présent, à chaque vague de sanctions, on a mis les diamants sous le tapis. Je le regrette parce qu’aux Etats Unis, par exemple, ils ont sanctionné Alrosa dès le début de la guerre", ajoute la députée européenne.

En cas de sanction, "l'impact pour Anvers serait catastrophique"

Selon plusieurs élus, si aucune sanction européenne n’a encore été prise, c’est parce que l’influent lobby des marchands de diamants aurait réussi à faire entendre sa voix jusque dans les couloirs du parlement européen. L’argumentaire est bien rôdé : "Il faudrait moins de 48 heures pour que les Russes mettent leurs diamants dans des avions et les vendent en Inde. Donc, l’impact pour la Russie serait nul et pour Anvers, ce serait catastrophique", précise Tom Neys, porte-parole d’AWDC, l’association des diamantaires d’Anvers. A l'entendre, des milliers d'emplois seraient en jeu. Pourtant, devant la bourse aux diamants de la ville flamande, la perspective de sanctions européennes ne semble pas effrayer tout le monde. " Les embargos, ça ne marche ", glisse anonymement l’un des marchands de diamants de que nous rencontrons. Un autre de ses collègues nous révèle que certains diamantaires auraient même déjà trouvé la parade à la mise en place d’éventuelles sanctions : " Maintenant, les diamants russes entrent par Dubaï. Là-bas, ils obtiennent une sorte de certificat de virginité ".  En passant par des pays tiers, les entreprises russes pourraient compliquer la traçabilité des pierres précieuses et limiter ainsi l’efficacité d’éventuelles sanctions européennes.

Parmi nos sources (liste non-exhaustive):

Statistiques des importations de diamants bruts russes (Banque nationale belge)

Hans Merket, chercheur à l'IPIS (Anvers)

Tom Neys, porte-parole de l'AWDC (Antwerp)

Kathleen Van Brempt, députée européenne du groupe Alliance Progressiste des Socialistes et des Démocrates au parlement européen.

Délégation belge auprès de l'Union Européenne.

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