Union européenne : entre les Verts et l’extrême droite, Ursula von der Leyen sur une ligne de crête pour garder la présidence de la Commission
Ursula von der Leyen parviendra-t-elle à garder son poste ? Plus d'un mois après les élections européennes, les 720 eurodéputés décident de son avenir à la présidence de la Commission européenne, jeudi 18 juillet. Fin juin, les dirigeants des 27 ont accordé un premier feu vert à un deuxième mandat de la présidente sortante. Mais Ursula von der Leyen doit encore recueillir une majorité absolue des suffrages jeudi, soit 361 voix. L'incertitude pèse sur sa réélection, entre une majorité affaiblie et des risques de défections dans ses propres rangs. Le tout sur fond de progression de l'extrême droite au Parlement européen, même si celle-ci avance divisée.
Si elle obtient les 401 voix de l'alliance majoritaire que forment le Parti populaire européen (PPE) à droite, les Socialistes et Démocrates (S&D) et les centristes de Renew, Ursula von der Leyen serait assurée d'une réélection sans écueil. Cette figure du PPE fait pourtant face à un risque de rejet d'une partie de son camp. "Je pense que ça ne va pas être facile pour elle. Il y a une probabilité de 10% à 15% de défection dans son groupe", estime auprès de franceinfo Sophie Pornschlegel, directrice des études au sein du think tank Europe Jacques Delors. A commencer par la délégation française au sein du PPE, menée par François-Xavier Bellamy (LR).
"Nous ne la soutiendrons pas dans l'élection qui vient avec Les Républicains, parce que nous considérons que le bilan n'est pas à la hauteur de ce que l'Europe attend aujourd'hui."
François-Xavier Bellamy, membre du PPEà France Inter
La délégation slovène a elle aussi déclaré qu'elle voterait contre la réélection d'Ursula von der Leyen, rapporte Politico. Le PPE est donc loin de former un bloc uni derrière la chrétienne-démocrate allemande : lors d'un congrès en mars, 89 délégués (sur 489) s'étaient opposés à sa nomination comme candidate à la présidence de l'exécutif européen. "On constate des divisions en interne, sur l'environnement par exemple", analyse Sophie Pornschlegel.
Des élus du groupe ont rejeté la loi européenne de restauration de la nature, et les conservateurs allemands aspirent à annuler l'interdiction européenne de vente de véhicules neufs à moteur thermique d'ici à 2035. Sur le Pacte vert européen, un marqueur du premier mandat d'Ursula von der Leyen, la dirigeante "est vue comme trop centriste" par certains élus du PPE, poursuit la chercheuse. L'illustration d'une "droitisation" des politiques, "surtout des partis de centre droit" en réponse à la poussée de l'extrême droite.
Une majorité incertaine
Au-delà du PPE, Ursula von der Leyen bénéficie-t-elle de la confiance des Socialistes et Démocrates et de Renew ? L'interdiction des moteurs thermiques est une "demande clé" des progressistes, selon un document des S&D consulté par le média européen Euractiv. Au sein du parti, le slovène Matjaz Nemec a déjà fait savoir dans un communiqué qu'il voterait contre la présidente sortante de la Commission, du fait de ses positions sur la guerre à Gaza. Dans les rangs de Renew, l'eurodéputé portugais João Cotrim de Figueiredo a annoncé le 10 juillet qu'elle n'aurait pas non plus son soutien.
"Nous l'avons rencontrée la semaine dernière. Nous souhaitons voter pour elle, si elle s'engage à respecter les priorités mises sur la table", pointe auprès de franceinfo Clara De Melo Ponce, porte-parole du groupe Renew. Les centristes attendent d'Ursula von der Leyen des engagements en matière de défense, d'Etat de droit et de compétitivité. Ils réclament aussi la poursuite de l'application du Pacte vert européen, tout comme les Socialistes et Démocrates.
"Il ne s'agit pas d'un chèque en blanc, nous ne donnerons pas notre vote gratuitement. Cela dépendra vraiment du contenu."
Clara De Melo Ponce, porte-parole du groupe Renewà franceinfo
D'après la porte-parole, Ursula von der Leyen a pris en compte "la plupart de nos priorités" lors de sa rencontre avec le groupe. "Nous allons voir" si la candidate à sa réélection fait de même lors de son discours jeudi matin, prévient-elle. Cette allocution pourrait être décisive pour l'issue du vote. Si les défections atteignent 15% dans l'alliance majoritaire, Ursula von der Leyen manquera de voix. D'où ses efforts, ces derniers jours, pour obtenir des soutiens à sa gauche et à sa droite.
La question cruciale du vote des Verts et d'une partie de l'extrême droite
"Je vais tendre la main à d'autres personnes", a promis fin juin la présidente de la Commission européenne. Quelques jours plus tard, elle rencontrait des figures du groupe écologiste au Parlement européen, composé des Verts et de l'Alliance libre européenne (ALE), qui compte en tout 53 élus. "L'échange portait sur la question suivante : 'Les Verts peuvent-ils faire partie d'une majorité ?'", a relaté à Euractiv Bas Eickhout, coprésident néerlandais du groupe. "Le seul moyen de créer une majorité stable proeuropéenne, prodémocratie et pro-Ukraine est de faire appel aux quatre partis", avait déjà tranché le même responsable écologiste auprès de Politico au lendemain des élections en juin. Les discussions se poursuivaient encore le 10 juillet, à une semaine du vote sur la reconduction d'Ursula von der Leyen.
"Elle nous a dit : 'J'ai besoin de vous'. A quel point a-t-elle besoin de nous ?", s'interroge l'eurodéputée écologiste Marie Toussaint. "Si le choix est entre nous et l'extrême droite, nous prendrons nos responsabilités", poursuit-elle. L'élue française énumère toutefois trois "grandes priorités", un préalable à tout éventuel soutien : "Aucun recul ni sur le Pacte vert, ni sur l'agenda en matière de droits humains, notamment des droits des femmes", "la lutte contre la pauvreté comme pilier social", et l'assurance d'une "non participation de l'extrême droite".
"Elle nous a clairement dit que la majorité qu'elle souhaitait ne comprenait pas le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE). Maintenant, elle doit chercher des voix... On va voir comment le PPE se comporte à l'égard du CRE."
Marie Toussaint, eurodéputée écologisteà franceinfo
Le groupe des Conservateurs et réformistes européens, avec 78 eurodéputés, réunit entre autres des élus du parti d'extrême droite de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia. Y siègent aussi des membres du PiS, le parti nationaliste et conservateur polonais. Ursula von der Leyen pourrait-elle être tentée de leur tendre aussi la main ? L'ancien président du Parlement européen Antonio Tajani, dont le parti italien de centre droit Forza Italia est membre du PPE, plaide ouvertement pour cette stratégie. "Nous devons nous ouvrir aux conservateurs menés par Meloni si nous voulons être sûrs que von der Leyen soit élue", a-t-il déclaré dans un entretien au journal italien Corriere della Sera. Une suite logique aux rapprochements des derniers mois entre les deux formations, notamment sur l'environnement.
L'équation est complexe. Pour les Verts, les S&D et Renew, une telle alliance franchirait une ligne rouge. "C'était une préoccupation pendant notre réunion, confirme Clara De Melo Ponce de Renew. Nous maintenons que nous ne voulons pas d'accord avec l'extrême droite." Le groupe CRE est lui-même divisé sur le sujet. Certains ont déjà annoncé qu'ils voteraient contre, quand d'autres, à l'image de l'élu italien Carlo Fidanza, réclament "un changement décisif sur le Pacte vert européen, l'agriculture et l'immigration", écrit l'eurodéputé sur le réseau social X.
"Recréer des équilibres politiques"
Comment concilier ces demandes opposées ? "Le risque est de réduire potentiellement l'ambition politique. Quand on recherche un soutien plus large, c'est le risque du plus petit dénominateur commun", analyse auprès de franceinfo Thierry Chopin, conseiller spécial sur les institutions et la démocratie à l'Institut Jacques Delors.
"L'enjeu pour Ursula von der Leyen, c'est de se concentrer sur des questions qui peuvent obtenir des majorités plus larges : la compétitivité économique, les enjeux de défense, de sécurité extérieure."
Thierry Chopin, spécialiste de l'Union européenneà franceinfo
En cherchant une large majorité, Ursula von der Leyen pourrait revoir sa vision du Pacte vert européen. "L'effort en faveur des politiques environnementales pourrait être abordé davantage sous un angle économique et stratégique : la compétitivité, les risques liés à la dépendance vis-à-vis des importations d'énergies fossiles, poursuit Thierry Chopin. C'est une manière possible pour elle de recréer des équilibres politiques." Une stratégie payante ? L'issue du scrutin sera connue jeudi après-midi.
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