Après la vague d'agressions sexuelles, Cologne peine à tourner la page
Les femmes, comme les migrants, sont inquiets pour leur sécurité. Ambiance à Cologne, deux semaines après un réveillon du Nouvel An marqué par plusieurs centaines d'agressions sexuelles.
Devant la gare de Cologne (Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne), les passants courent se mettre à l'abri. Une grosse averse arrose l'esplanade, surplombée par le Dom, gigantesque cathédrale gothique. Sur les marches qui conduisent aux boutiques de souvenirs nichées au pied de l'édifice, les touristes, sous leurs parapluies, s'arrêtent pour lire des affiches détrempées, déposées là avec quelques fleurs.
Là, des messages comme "contre la violence envers les femmes" et "vivre sans peur" côtoient des citations d'Anatole France et d'Alexandre Soljenitsyne. Et une poignée de journalistes font le pied de grue pour glaner des témoignages. C'est tout ce qui rappelle, sur ces marches, le terrible réveillon du Nouvel An qui a secoué la ville et toute l'Allemagne. Ce soir-là, en plein centre de Cologne, des dizaines de femmes ont été agressées sexuellement par une foule d'hommes "visiblement alcoolisés et agressifs" et décrits comme "d'origine nord-africaine ou arabe" par les victimes.
"On garde ça dans un coin de notre tête"
Moins de deux semaines plus tard, le nombre de plaintes déposées a dépassé 500, dont près de la moitié pour des agressions sexuelles. La vie quotidienne semble pourtant avoir repris son cours monotone. Mais cette nuit de violences a marqué les esprits. "On garde ça dans un coin de notre tête", raconte Kim, qui fume une cigarette, sous une capuche fourrée. Comme beaucoup de gens ici, la jeune femme de 25 ans est obligée de passer par cette Hauptbahnhof (gare) pour aller travailler. "Depuis le Nouvel An, je sais que c'est bête, c'est de la paranoïa, mais je me sens moins en sécurité, en tant que femme, ici", nous raconte la jeune femme transie de froid.
Dans le hall de la gare, Elisabeth, 80 ans, attend une amie, à l'écart de la foule. Ses deux petites filles étaient là, le soir du Nouvel An. "Elles ont failli être agressées elles aussi, ce n'est absolument pas normal que l'Allemagne ne soit pas sûre pour les femmes", regrette cette petite dame, d'une voix calme. Elle-même était en ville, dans l'après-midi, pour assister à un concert au Dom. "Il y avait déjà beaucoup d'agitation à 16 heures et encore plus quand nous sommes repartis à 20 heures", selon elle. Sur l'identité des agresseurs, Elisabeth essaie d'être prudente : "Ce sont apparemment des étrangers qui ont agressé toutes ces femmes, mais ce ne sont pas TOUS les étrangers."
"C'est ridicule de rejeter l'ensemble des réfugiés"
Le débat, qui a largement dépassé les frontières de l'Allemagne, s'est en effet focalisé sur l'origine des agresseurs. Les 19 suspects identifiés sont tous de nationalité étrangère. Principalement marocains et algériens, ces hommes sont demandeurs d'asile ou sans-papiers. "Mais c'est ridicule de rejeter l'ensemble des réfugiés", estime Daniel, 33 ans. "C'est notre devoir, en tant que pays chrétien, d'accueillir ces gens qui fuient la guerre ou la misère, il faut continuer", affirme-t-il. Derrière lui, sur la façade du Dom, une grande affiche blanche rappelle que "l'Eglise [catholique] rejette toute discrimination et toute violence envers les hommes, en raison de leur origine, couleur de peau, opinion ou religion, car ces actes sont contraires à la parole du Christ."
Cet appel à la tolérance n'a pas empêché des groupes de hooligans de lancer une véritable "chasse" aux étrangers à Cologne. Dimanche, deux Pakistanais et un Syrien ont notamment été blessés dans des agressions commises par des bandes, qui s'étaient organisées sur les réseaux sociaux. Et d'autres incidents ont encore eu lieu depuis.
"Maintenant, j'évite d'approcher les Blancs"
Alors la peur s'est aussi insinuée dans les centres d'accueil de réfugiés, même éloignés du centre-ville. La plupart des ONG refusent d'ailleurs les demandes des médias. Motif : les réfugiés ont peur des amalgames. Nombre d'entre eux craignent à présent de se rendre au centre-ville. "Pour y aller, il faut prendre le S-bahn [train] et passer par la gare centrale, les réfugiés ne se sentent pas à l'aise là-bas", nous dit Ulla Bohnhardt-Müller, bénévole dans le quartier de Blumenberg, dans le nord de Cologne.
"Ils ont peur à présent, alors qu'ils avaient été bien accueillis à Cologne et que tout se passait bien", selon Kerstin Engelhard, responsable d'un centre de la Croix-Rouge situé à 30 minutes de la gare centrale de Cologne. Là-bas, Ali, grand Guinéen d'une vingtaine d'années, accepte de nous parler du bout des lèvres. "Maintenant, j'évite d'approcher les Blancs, je m'éloigne pour ne pas avoir de problèmes, nous raconte-t-il, en français, en regardant ses mains. Je croyais avoir trouvé enfin du repos ici, mais depuis ça, je ne dors plus et je n'arrive plus à apprendre en cours."
D'autres ont décidé de ne pas se laisser impressionner par les manifestations de l'extrême droite, qui a profité de cette crise pour critiquer la politique d'accueil des migrants d'Angela Merkel et réclamer l'expulsion des étrangers. Des Syriens ont organisé des petits rassemblements, lundi et jeudi, pour affirmer leur soutien aux victimes et condamner les violences sexuelles.
"C'est très bien que cela vienne d'eux", estime Kerstin Engelhard, qui espère que Cologne pourra vite "passer à autre chose". La ville prépare son carnaval, l'une des plus grandes fêtes de l'année dans la région, et la question de la sécurité de l'événement suscite l'inquiétude. Tant pour les femmes, dont certaines hésitent à s'y rendre, que pour les migrants, à qui les ONG déconseillent de se joindre à la fête. "Nous organiserons peut-être une sortie en groupe, avec des bénévoles pour les accompagner", confie Kerstin Engelhard. Ali, lui, ne veut pas y aller cette année.
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