Incendies près d'Athènes : pourquoi les autorités grecques font l'objet de critiques

Depuis trois jours, les sapeurs-pompiers grecs se battent contre de violents feux, qui ont ravagé 10 000 hectares et fait au moins un mort.
Article rédigé par Léa Deseille, franceinfo avec AFP
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Des volontaires tentent d'éteindre un feu de forêt près de Penteli, au nord-est d'Athènes (Grèce), le 12 août 2024. (ANEGLOS TZORTZINIS / AFP)

La Grèce continue, mardi 13 août, de lutter contre les incendies qui ravagent la banlieue nord-est d'Athènes et a contraint des milliers d'habitants à évacuer leur logement. La situation semble désormais s'améliorer. "Il n'y a plus de fronts actifs, seulement des foyers épars", a annoncé mardi Vassilis Kikilias, le ministre grec en charge de la Protection civile. Dans la matinée, le corps d'une femme a été découvert dans une usine calcinée, à Patima Halandriou, municipalité en partie évacuée lundi.

Alors que depuis de nombreuses années, la Grèce est frappée chaque été par les incendies, la responsabilité des autorités grecques dans ces nouveaux feux de forêt meurtriers est pointée du doigt par les locaux. "Trop c'est trop", tonne le quotidien centriste Ta Nea. De son côté, le journal libéral Kathimerini estime que ce feu "hors de contrôle" laisserait "une destruction immense et des questions qui attendent toujours des réponses".

Un sentiment partagé par certains Grecs. "Les politiques font des déclarations, mais dans la pratique, quelles sont leurs actions ?", se demande un habitant de Vrilissia, petite ville située près d'Athènes, interrogé par Libération. Franceinfo vous explique pourquoi les autorités font l'objet de critiques.

Des moyens humains limités

Alimenté par des vents violents, l'incendie près d'Athènes a dévoré au moins 10 000 hectares de végétation depuis dimanche, selon l'Observatoire national de la Grèce. Pour Siméon Roussos, maire de Chalandri, ville évacuée lundi, le manque d'effectifs des sapeurs-pompiers explique en partie l'ampleur de ces feux de forêts. "Mon opinion est que la Protection civile est une responsabilité de l'Etat, qui ne doit pas être composée ponctuellement de bénévoles et de contractuels de cinq mois", a-t-il déclaré au quotidien Ta Nea. "Il faut avoir des moyens et un mécanisme organisé."

Même son de cloche du côté de Greenpeace Grèce. "Il n'y a pas d'unités suffisamment formées dans tout le pays", juge Kostis Grimanis, le porte-parole de l'ONG dans le pays, interrogé par franceinfo. Le journal grec I Avgi affirme ainsi que 4 500 postes sont vacants au sein des services d'incendie grecs, et que l'âge moyen du personnel dépasse les 45 ans. "Les moyens pour les pompiers restent insuffisants. Sur le terrain, ils sont exténués et dépassés", plaide également Nikos Barlagiannis, secouriste de la Croix-Rouge, auprès du journal Le Monde.

Face à la propagation rapide des incendies et au manque de moyens humains, la Grèce a demandé lundi l'aide de l'Union européenne pour lutter contre les flammes. Dans le cadre du système de coopération entre pompiers européens, près de 300 combattants du feu, ainsi que des hélicoptères, des véhicules d'incendie et des camions-citernes ont été dépêchés sur place mardi. La France a notamment annoncé l'envoi de 180 sapeurs-pompiers et membres du personnel de la sécurité civile, et de 55 camions.

Des forêts non entretenues 

La crise climatique et la sécheresse augmentent la récurrence des incendies en Grèce, particulièrement vulnérable aux feux de forêt. Entre 2007 et 2023, 10% des zones boisées du pays sont ainsi parties en fumée, rappelle l'AFP. Cette année, après un hiver très sec, la Grèce a connu ses mois de juin et de juillet les plus chauds depuis le début de la collecte des statistiques en 1960. "Toutes les conditions sont réunies pour créer des mégafeux", juge Joël Guiot, directeur de recherche au CNRS et paléoclimatologue au Centre européen de recherche et d'enseignement en géosciences de l'environnement. "La végétation est très sèche, les températures très élevées et le vent est sec", constate-t-il auprès de franceinfo.

Le risque d'incendies d'ampleur est accru par le manque d'entretien et de débroussaillage des forêts. Selon Joël Guiot, les pouvoirs publics "n'ont rien fait après l'incendie de 2022". En juillet de cette année-là, une cinquantaine de feux de forêts s'étaient déclarés dans le pays. "Dans la forêt, les troncs des arbres morts n'ont toujours pas été enlevés", déplore un habitant de Vrilissia auprès de Libération.

Pourtant, laisser cette végétation à l'abandon s'avère très dangereux, car elle sèche et devient "très inflammable", d'après Joël Guiot. D'un point de vue législatif, il n'existe pour les particuliers aucune obligation de débroussailler ou d'élaguer les arbres, alors que c'est le cas pour les municipalités. Mais d'après le porte-parole de Greenpeace Grèce, les localités ne le font pas toujours, "par manque de moyens".

Or, "si les pompiers n'arrivent pas à les éteindre, ces feux s'arrêtent seulement lorsqu'il n'y a plus de végétation à brûler", explique Joël Guiot. Les départs de feux étant déclenchés par une activité humaine, "éloigner les forêts" des zones "d'activités humaines" constitue une solution. "Il faut créer des coupe-feux", conclut le chercheur. 

Un plan de prévention peu ambitieux 

De l'avis de certains, le manque de préparation des pouvoirs publics ne se limite pas à l'absence de débroussaillage. En 2022, le Fonds mondial pour la nature affirmait : "Le gouvernement [grec] n'investit que 16% dans la prévention, contre 84% dans la force de répression." "Les autorités attendent que les forêts brûlent pour agir, renchérit Kostis Grimanis. C'est irresponsable." 

"Avec le réchauffement climatique, les incendies seront de plus en plus intenses, il est donc nécessaire de commencer une campagne de prévention."

Kostis Grimanis, porte-parole de Greenpeace Grèce

à franceinfo

Un avis partagé par Alexis Charitsis, président du groupe parlementaire grec de la Nouvelle Gauche, selon qui les incendies sont liés au "choix politique conscient du gouvernement de ne rien faire pour prévenir, et protéger les zones", évoquant notamment le peu de ressources accordées à la protection civile, rapporte le quotidien Ta Nea. Face au manque de préparation des autorités, les habitants sont contraints de prendre leurs précautions. "Chaque été, nous sommes sur le qui-vive, nous avons une petite valise prête au cas où nous devrions être évacués", déplore dans Le Monde un jeune Grec de Nea Makri, petite ville balnéaire à l'est d'Athènes.

L'incendie qui s'est déclenché dimanche ravive notamment les souvenirs de la catastrophe de l'incendie de Mati, zone côtière proche de Marathon où 104 personnes avaient péri en juillet 2018, dans une tragédie imputée aux retards et aux erreurs d'évacuation. Par ailleurs, Joël Guiot rappelle que ces feux peuvent être à l'origine à d'autres catastrophes. "Les terres brûlées créent un amas de terre compactée, sur laquelle l'eau va ruisseler, ce qui risque de créer de grosses inondations", prévient-il. Le pays a déjà fait face à un tel phénomène en septembre 2023

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