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L'article à lire pour comprendre les tensions entre la Turquie, la Grèce et la France en Méditerranée orientale

La Grèce et la Turquie se disputent des zones exclusives économiques en Méditerranée orientale. Sept dirigeants de pays du sud de l'Union européenne, dont Emmanuel Macron, ont agité la menace de santions si Ankara ne mettait pas un terme à ses "activités unilatérales", en référence notamment à des opérations de recherche de gaz naturel.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des bâtiments de guerre grecs lors d'un exercice militaire en Méditerranée, le 25 août 2020. (HANDOUT / GREEK DEFENCE MINISTRY / AFP)

Jusqu'où iront les tensions entre la Grèce, la France et la Turquie ? Après la découverte récente de gisements de gaz naturel en Méditerranée orientale, le président turc Recep Tayyip Erdogan entend lui aussi explorer les lieux, y compris dans des zones revendiquées par Athènes. Un navire de recherche est rentré à son port, dimanche 13 septembre, après avoir été déployé pendant plus d'un mois. Athènes a qualifié ce départ présumé de "premier pas positif" dans la très vive crise diplomatique qui l'oppose à son voisin, lui aussi membre de l'Otan.

Franceinfo revient sur cet épisode qui met à rude épreuve les chancelleries des différents Etats concernés.

Comment a débuté cette crise ?

La Turquie s'intéresse aux réserves d'hydrocarbures de Méditerranée orientale. Ankara a trouvé un allié suite à un accord de délimitation maritime conclu avec le Gouvernement d'union nationale (GNA) libyen, fin novembre 2019, afin de donner du poids à ses prétentions sur de vastes zones de la région. Au début de l'année, Chypre, l'Egypte, la France et la Grèce ont dénoncé un texte qui "n'est pas conforme au droit de la mer" et dont "ne peut découler aucune conséquence juridique". Ils condamnent également les forages réalisés lors des derniers mois par la Turquie au large de Chypre.

Le 10 août, un navire turc de prospection sismique – l'Oruç Reis – a été déployé dans des eaux revendiquées par la Grèce, en compagnie de navires militaires. La marine turque a alors diffusé une notice d'information maritime indiquant que le navire mènerait ses recherches du 10 au 23 août dans une zone située entre la Crète, au sud de la Grèce, Chypre, et la ville turque d'Antalya. Les navires sismiques ont pour mission de repérer d'éventuels gisements sous-marins. Cette mission a ensuite été prolongée jusqu'à la mi-septembre et le navire est rentré dimanche au port d'Antalya, selon le journal pro-gouvernemental turc Yeni Safak.

L'"Oruç Reis" et son escorte militaire dans les eaux de Méditerranée orientale, le 10 août 2020. (MINISTRY OF NATIONAL DEFENSE / ANADOLU AGENCY / AFP)

Athènes soutient que le droit d'exploiter les ressources naturelles autour de ses îles situées à proximité des côtes turques lui appartient. Mais son voisin proteste, estimant que cela reviendrait à le priver de dizaines de milliers de km2 de mer. Dans ce contexte, le cas de la petite île grecque de Kastellorizo, située à deux kilomètres au large des côtes turques, suscite particulièrement la colère d'Ankara. "La Grèce demande un plateau continental de 40 000 km2 pour cette île de 10 km2", dénonçait début septembre le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu. "Elle essaie d'emprisonner la Turquie dans une zone étroite."

Que vient faire la France dans cette histoire ?

La France cumule des motifs de mécontentement contre la Turquie, liés notamment au dossier libyen. Au mois de juin, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a notamment condamné "le soutien militaire croissant" de la Turquie au GNA en "violation directe de l'embargo des Nations unies". La Turquie avait rejeté ces critiques sur son soutien armé au gouvernement de Tripoli, accusant à son tour Paris de faire "obstacle à la paix" en appuyant le camp adverse, représenté par le maréchal Khalifa Haftar.

Dans ce contexte déjà tendu, la France a dénoncé une manœuvre "agressive" de la part de frégates turques à l'encontre de l'un de ses navires engagés dans une mission de l'Otan, le 10 juin. Selon Paris, la frégate Le Courbet cherchait à identifier un cargo suspecté de transporter des armes vers la Libye quand elle a été illuminée à trois reprises par le radar de conduite de tir de l'escorte turque. Cette manœuvre est "destinée à faire un repérage ultime, avant un tir, afin de guider un éventuel missile. Une sorte de dernier appel, électronique, avant le feu réel", explique le blog politique Bruxelles2.

"Ces norias de bateaux entre la Turquie et Misrata [ville libyenne], parfois accompagnés par des frégates turques, ne contribuent pas à la désescalade", avait jugé la France, tout en accusant la Turquie de violer les règlements internationaux.

>> On vous explique pourquoi les relations entre la France et la Turquie se tendent

Le ton est alors monté d'un cran entre les deux pays. Emmanuel Macron a déclaré que la Turquie avait "accru sa présence militaire en Libye et massivement réimporté des combattants jihadistes depuis la Syrie", avant d'évoquer "la responsabilité historique et criminelle de la Turquie" dans le conflit.

Dans la dispute entre Athènes et Ankara, la France a clairement affiché son soutien à la Grèce. Paris a déployé en août des navires de guerre et des avions de combat dans la région, une initiative vivement dénoncée par le président turc.

Quelle est la situation militaire dans la zone ?

Les différentes parties montrent les muscles. En août, la France a dépêché deux chasseurs Rafale et deux navires de guerre (la frégate La Fayette et le porte-hélicoptères Tonnerre) pour appuyer la Grèce. A la fin du mois, elle a également débuté un exercice militaire conjoint dans la région en compagnie de la Grèce, l'Italie et Chypre. Les manœuvres se sont déroulées au sud et au sud-ouest de Chypre, dans le cadre d'une initiative quadripartite de coopération.

La Turquie a elle aussi entamé de nouvelles manœuvres militaires fin août, avec notamment des exercices de tir pendant deux semaines dans une zone située au large de la ville turque d'Anamur, et au nord de l'île de Chypre (occupé par la Turquie). Dans ce contexte déjà tendu, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a annoncé samedi un "important" programme d'achats d'armes 18 avions français Rafale, quatre frégates et quatre hélicoptères de la marine. Quelque 15 000 soldats supplémentaires seront également recrutés. Ce contrat entre Paris et Athènes pourrait encore accentuer la crise avec Ankara.

Comment réagit l'Otan ?

On s'en doute, l'organisation est un peu embêtée alors que des membres de l'Alliance se déchirent. Le secrétaire général, Jens Stoltenberg, a lancé des pourparlers techniques pour tenter d'éteindre le feu, mais ils ne devraient pas porter directement sur les désaccords territoriaux. "Ce processus modeste ne va pas résoudre le conflit mais il augmente la pression pour contenir les risques de provocation d’Ankara", estime tout de même un diplomate interrogé par La Croix. "L'aggravation des tensions militaires n'aide personne d'autre que les adversaires qui souhaiteraient voir l'unité transatlantique se fissurer", a commenté le secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, lors d'une visite à Chypre.

Dans ce dossier, la France semble d'ailleurs peu suivie par ses partenaires de l'alliance. Au moins de juin, seul huit des 30 pays avaient d'ailleurs approuvé la demande d'enquête formulée par Paris après l'incident du Courbet. Bien conscient du poids démographique et militaire de son pays dans l'organisation, l'ambassadeur de Turquie en France, Ismail Hakki Musa, avait lancé début juillet : "Imaginez l'Otan sans la Turquie ! Vous n'aurez plus d'Otan (...) ! Vous ne saurez pas traiter l'Iran, l'Irak, la Syrie, la Méditerranée au sud, le Caucase, la Libye, l'Egypte".

La France est-elle donc la seule à se mobiliser sur ce dossier ?

Pas tout à fait. Certains pays, dont l'Allemagne, sont en effet assez prudents sur la nature de la réponse à apporter à Recep Tayyip Erdogan. Le dossier fait l'objet d'une certaine divergence de vues entre Paris et Berlin. "Angela Merkel reste traumatisée par l’épisode de 2015, lorsqu’Ankara a ouvert ses frontières à des centaines de milliers de réfugiés et de migrants", estime le diplomate d'un grand pays cité par Libération. Sans compter le poids de la forte communauté turque outre-Rhin.

Malgré tout, le président français semble trouver une oreille plus attentive au sein de l'Union européenne qu'à l'Otan. Lors d'une rencontre en Corse, jeudi, les pays méditerranéens de l'UE (Med7) ont d'ailleurs brandi la menace de sanctions économiques supplémentaires si la Turquie continuait ses actions unilatérales. La question devrait être à nouveau évoquée lors du Conseil européen, les 24 et 25 septembre.

Ces sanctions pourraient concerner des individus, des navires ou l’utilisation des ports européens, a précisé Josep Borrell, responsable de la diplomatie européenne, ajoutant que l’UE se focaliserait sur tout ce qui concerne "les activités que nous considérons comme illégales".

Comment réagit Ankara à ces menaces ?

"Ne cherchez pas querelle au peuple turc, ne cherchez pas querelle à la Turquie", a indiqué Recep Tayyip Erdogan à Paris dans un discours télévisé à Istanbul, samedi 12 septembre. "Monsieur Macron, vous n'avez pas fini d'avoir des ennuis avec moi", a-t-il ajouté, en s'en prenant pour la première fois directement et nommément à son homologue français.

"On laisse l'agressivité au président turc et on souhaite absolument le dialogue, a commenté Franck Riester, ministre délégué en charge du Commerce extérieur, dimanche sur Europe 1. La Turquie est dans un état d'esprit unilatéral de provocation."

J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?

La Grèce et la Turquie se disputent des zones économiques exclusives en Méditerranée orientale, sur fond d'exploitation d'hydrocarbures. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a lancé des missions de prospection dans des zones revendiquées par Athènes, suscitant de vives tensions diplomatiques. Déjà en désaccord avec Ankara sur le dossier libyen, Paris a soutenu Chypre et le Grèce dans son bras de fer, avec l'envoi de forces militaires dans la zone.

La France cherche également à faire condamner l'attitude turque par ses partenaires de l'Otan, sans grand succès. Les pays méditerranéens de l'UE ont en revanche brandi la menace de sanctions supplémentaires, tandis que l'Allemagne préfère se montrer prudente dans ce dossier en jouant la carte des concertations. En attendant, les exercices militaires se multiplient en Méditerranée orientale, où aucune des parties concernées ne semble disposée à céder du terrain.

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