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Grèce : le référendum divise aussi les familles

A la veille du référendum, la fratrie Lappas se divise autour du référendum de dimanche sur les propositions des créanciers du pays.

Article rédigé par Elise Lambert - Envoyée spéciale en Grèce,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Katerina, Nikos et Dimitris Lappas dans le quartier Chalandri, situé dans la banlieue d'Athènes. (FRANCETV INFO )

La conversation est animée, mais le ton est toujours posé. Assis à la terrasse d'un café du quartier de Chalandri, dans la banlieue aisée d'Athènes, les trois frères et sœur de la famille Lappas, Katerina, Nikos et Dimitris, ne parlent que du référendum de dimanche : "Sans hésitation, je voterai "non" dimanche. Il faut arrêter toute cette souffrance décidée d'en haut par Bruxelles", assure Katerina, la cadette de la famille. A l'occasion du retour de Dimitris des Etats-Unis pour les vacances, la famille s'est installée dans un petit café ombragé, près de la maison de Katerina. Ca n'arrive pas souvent qu'il soient réunis tous les trois, mais ils assurent échanger par mail et téléphone régulièrement le reste de l'année.

Katerina, une institutrice de 51 ans aux lunettes carrées a toujours voté à gauche aux élections. Elle est mariée à un syndicaliste proche du parti Syriza, elle ne soutient pas toute la politique du Premier ministre, Alexis Tsipras, mais elle en convient : "Le vrai problème n'est pas notre gouvernement en lui-même, mais les compromis successifs qu'il a faits pour répondre à l'Europe et qui ont terriblement appauvri les Grecs."

Près de 12% d'électeurs indécis

A sa droite, Nikos, le benjamin de la famille, est son principal contradicteur. Enseignant à l'école américaine d'Athènes – une institution très élitiste du pays où ont étudié de nombreux Premiers ministres – il se définit comme un électeur de centre-gauche, grand déçu de la politique grecque : "Tout ce qui a été fait par les derniers gouvernements n'a jamais abouti à quoi que ce soit pour relever le pays. Dire 'oui' au référendum, c'est montrer que l'on veut du changement et que l'Europe est la solution, et non la cause de tous les maux." Inutile de croire pour autant que ces deux là ne s'entendent pas : "On a un principe : on n'essaye jamais de convaincre l'autre, mais on écoute toujours ses arguments."

Nikos, le plus jeune de la famille, votera "oui" au référendum, mais son frère, Dimitris, hésite encore. (FRANCETV INFO )

Vêtu d'un polo bleu clair et d'un bermuda rouge, Dimitris observe son frère et sa sœur débattre, le sourire en coin. Diplômé d'un doctorat de chimie à l'université de Harvard, cet expatrié de 53 ans vit aux Etats-Unis depuis vingt ans. Il ne sait pas encore ce qu'il va voter dimanche. "Quand je suis arrivé, j'étais sûr de vouloir voter 'non', ensuite Nikos m'a un peu convaincu, mais, maintenant, je crois que je voterai bien 'non' à nouveau..." Le chimiste n'est pas le seul indécis : un sondage de l'institut Alco publié vendredi 3 juillet par le journal Ethnos montre que 11,8% des électeurs n'ont pas encore choisi quel bulletin glisser dans l'urne dimanche. Les autres se partagent encore entre le "oui" (44,8%) et le non (43,4%).

"Voter 'non' serait la meilleure façon d'aggraver la situation"

"Je ne suis pas d'accord avec les mesures proposées par les créanciers de la Grèce, assure Dimitris, aucun Grec ne peut l'être. Mais des erreurs ont été faites des deux côtés", nuance-t-il. "Je regrette que notre gouvernement ait imposé autant de mesures d'austérité sans préserver l'Etat providence. Néanmoins, voter 'non' serait la meilleure façon d'aggraver la situation."

Depuis les dernières élections législatives en janvier 2015, Alexis Tsipras a déçu certains électeurs et n'a pas affirmé une vision tranchée de sa position sur l'Europe : "Il propose des mesures d'austérité aux créanciers, puis il revient dire aux Grecs qu'il se battra contre eux. Il ment tout le temps, il n'est pas courageux", déplore Dimitris. Katerina réplique immédiatement : "C'est simplement une stratégie pour arriver à de meilleures négociations sinon l'Europe ne nous laissera aucun répit ! Il faut savoir quelle Europe on souhaite. Celle des peuples ou celle des banques ?" "Et tu crois vraiment que c'est réaliste ?" rebondit Nikos. "Il y a ton idéologie, tes idées et la réalité des faits", réplique l'enseignant avant d'avaler une gorgée de café.

Un salaire en constante baisse depuis cinq ans

La réalité des faits, les Lappas sont bien placés pour la connaître, et sans doute sur ce point que leur fraternité se ressent le plus. Bien qu'ils avouent ne pas être très représentatifs de la famille grecque moyenne, Nikos et Katerina ont vu leurs revenus diminuer depuis cinq ans. "Je suis passée d'un salaire de 1 400 euros par mois à 1 040 euros aujourd'hui", déplore Katerina, "sans parler du 13e mois, ou des primes de vacances que je touchais avant, à chaque saison."

Idem pour Nikos. L'enseignant du privé a vu son salaire baisser de près de 12% tous les ans. "Si nos salaires baissent, c'est parce que rien n'a été fait pour redresser l'économie, pour que l'industrie soit plus solide, alors que c'est elle qui apporte de la croissance. Il faut libérer le marché et cesser de taxer à tout va les entreprises", affirme-t-il avec énergie.

Katerina Lappas, 51 ans, va voter "non" au référendum du dimanche 5 juillet. (FRANCETV INFO )

"Au fond, on a tous les mêmes idéaux"

"Tu n'y penses pas !" s'insurge Katerina. Dimitris ajoute : "Mais, en même temps, il y a eu des abus, quand les agriculteurs ont touché pour la première fois les subventions de la PAC [Politique agricole commune], certains se sont acheté des Porsche..." "Ces cas individuels méritent-ils toutes ces mesures punitives ?" s'indigne sa sœur.

Au bout d'une petite heure, alors que les tasses sont vides et les bouches sèches, Dimitris calme le jeu : "Le débat, ça a toujours fait partie de notre famille. Au fond, on a tous les mêmes espoirs et idéaux pour le pays. On voudrait que la Grèce reste en Europe et qu'elle retrouve son autonomie, mais on est opposés sur les moyens d'y arriver. A l'image du peuple grec, sans doute."  

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