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Enquête Un député français “porte-parole” de Benyamin Netanyahou à l’Assemblée nationale

À la fois député français et proche de Benyamin Netanyahou, Meyer Habib joue un rôle diplomatique actif dans les relations franco-israéliennes. Portrait d’un homme dont le positionnement pro-Likoud pose question et qui, selon nos informations, n’a pas déclaré aux autorités françaises tous ses intérêts économiques. 

Article rédigé par franceinfo - Frédéric Métezeau et Emmanuelle Elbaz-Phelps, Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié
Temps de lecture : 16min
Ambiance salle des quatre colonnes durant la séance de questions au gouvernement a l'Assemblée nationale, en présence de Meyer Habib, à Paris, le 31 janvier 2018.  (CHRISTOPHE MORIN / MAXPPP)

Un invité surprise sur la photo officielle. Le mercredi 22 janvier 2020, Emmanuel Macron est invité à la résidence du Premier ministre israélien à Jérusalem, rue Balfour. Après l’entretien, prennent place pour la photo : les deux dirigeants, l’épouse de Benyamin Netanyahou, l’ambassadeur de France en Israël, Éric Danon, mais aussi le député Union des démocrates et indépendants (UDI) des Français de l’étranger Meyer Habib. 

Visite du président français Emmanuel Macron à Jérusalem, le 22 janvier 2020, avec Meyer Habib à sa droite. (FRÉDÉRIC MÉTÉZEAU/ RADIO FRANCE)

Pendant l’après-midi, à l’intérieur de la foule compacte de la délégation officielle au Saint-Sépulcre, dans la vieille ville de Jérusalem, le parlementaire confirme qu’il a assisté à l’entretien au sommet entre les deux dirigeants. "Je ne peux rien raconter car nous avons parlé de dossiers hautement confidentiels", précise Meyer Habib. Une version qu’il confirme le 24 janvier sur sa page Facebook : "À sa demande, j’ai accompagné le président Macron (…) à la résidence du Premier ministre Netanyahou. Je ne peux entrer dans tous les détails de 90% des dossiers abordés pour des raisons de confidentialité évidentes (…) Au cœur des discussions, la question de l’Iran (…) Il a également été question des relations économiques France-Israël ainsi que de l’enquête à charge devant la Cour pénale internationale." 

Un positionnement atypique

Que faisait un parlementaire au milieu de discussions officielles si sensibles ? À quel titre était-il présent ? Sollicitée par la cellule investigation de Radio France, la cellule diplomatique de l’Élysée précise : "Il s’agit du député de la circonscription. Il participe, comme d’autres députés des Français de l’étranger, aux entretiens." Sauf que les huit autres députés, des expatriés qui ont vu passer Emmanuel Macron dans les pays où ils sont élus, nous l’ont tous assuré : eux n’ont jamais assisté à une réunion de ce type. En vertu de la séparation des pouvoirs, expliquent-ils, et surtout parce qu’Emmanuel Macron, ajoutent-ils, ne prête guère attention aux députés des Français de l’étranger.

La présence de Meyer Habib à une rencontre d’un tel niveau est donc atypique. Elisabeth Garreault, une figure de la communauté franco-israélienne, ancienne élue consulaire française à Jérusalem, et proche de La République en Marche, s’en étonne : "Imaginer un seul instant que Benyamin Netanyahou puisse révéler à Meyer Habib des secrets qu'il ne faut pas dire, c'est extrêmement troublant et très déstabilisant."

Une amitié ancienne et indéfectible avec Netanyahou

Depuis 2013, Meyer Habib est député de la huitième circonscription des Français établis hors de France, comprenant l’Italie, le Vatican, Saint-Marin, Malte, la Grèce, Chypre, la Turquie, la Palestine et Israël. Ce qui explique ce traitement particulier, c’est une amitié nouée depuis 30 ans entre Meyer Habib et Benyamin Netanyahou. Un cadre du Likoud (parti israélien de droite) se souvient qu’au début des années 1990, Netanyahou était l’étoile montante de ce parti alors dans d’opposition. Lorsqu’il vient à Paris, Meyer Habib fait partie des personnes retenues pour lui servir de chauffeur. Ingénieur de formation, le futur député n’a encore aucune fonction officielle ni en France, ni en Israël. Il s’est cependant distingué par son engagement au sein du Betar, un mouvement sioniste de droite qui n’hésitait pas à faire le coup de poing contre l’extrême-droite antisémite. Son engagement musclé lui a valu une condamnation pour coups, violences volontaires et rébellion contre les forces de l’ordre, après une bagarre à Paris le 8 mai 1988.

Le courant passe tout de suite entre lui et Netanyahou, au point que les deux hommes ne se quittent plus durant tout le séjour. Au cours des années qui suivent leurs liens se renforcent. "En 1999, Habib a financé le séjour de Netanyahou à Paris, et de toute sa famille, raconte le journaliste d’investigation israélien Raviv Drucker, Il est comme une sorte de papa-gâteau des Netanyahou à Paris. Il contrôle son emploi du temps quand il vient comme Premier ministre à Paris. Et tous les contacts officiels de Netanyahou en France passent par Meyer Habib."

Parlementaire mais aussi diplomate sans fonctions officielles

Peu à peu, Meyer Habib devient le conseiller et le représentant de "Bibi" [surnom de Benyamin Netanyahou], ce qui lui permettra de participer à plusieurs entretiens entre Benyamin Netanyahou et des personnalités françaises. Porte-parole de l’ambassade d’Israël à Paris au début des années 90, puis ambassadeur de son pays en France de 2006 à 2010, le diplomate israélien Daniel Shek en a fait les frais : "J'ai croisé Meyer très souvent.  Il se permettait certaines prétentions de représentation quasi officielle d'Israël, ou du moins de son Premier ministre auprès des instances françaises."

"Lors d’un entretien entre Netanyahou et Sarkozy, Netanyahou m’a demandé de ne pas assister à l’entretien alors que Meyer Habib y a participé. C’est problématique. Le Premier ministre a évidemment le droit d'inviter qui il veut. Mais l'ambassadeur est normalement considéré comme le représentant officiel de l'État d'Israël en France."

Daniel Shek, ambassadeur d'Israël en France de 2006 à 2010

à franceinfo

“Si vous ne me mettez pas dans la délégation française, j’irai dans la délégation israélienne”

Entre 2009 et 2021, alors que Benyamin Netanyahou dirige le gouvernement israélien, Meyer Habib devient un acteur incontournable des relations franco-israéliennes. Lors de la visite officielle de François Hollande en Israël et en Cisjordanie en novembre 2013, une personnalité française invitée du voyage, connue pour ses positions pro-palestiniennes, se souvient : "Quarante-huit heures avant le voyage, l’Élysée me dit que je ne suis plus le bienvenu. Après m’être directement adressé à François Hollande, j’apprends que c’est sous la pression de Meyer Habib." Un ministre de l’époque, proche du chef de l’État, raconte au sujet de ce dernier : "Il a voulu s’imposer dans la délégation présidentielle et a demandé à assister à tous les entretiens. Il a même menacé : si vous ne me mettez pas dans la délégation française, j’irai dans la délégation israélienne." Meyer Habib ne participe finalement pas aux discussions entre François Hollande et les officiels israéliens. Il est cependant présent au dîner d’État le soir, au cours duquel les convives chantent "La vie en rose" et où il joue de la guitare.

Quand Meyer Habib fait barrage à Emmanuel Macron

En août 2013, deux mois après son élection lors d’une législative partielle, le
quotidien israélien Haaretz raconte que Meyer Habib a permis à Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, de rencontrer Benyamin Netanyahou à Jérusalem. Dans un premier temps, le Premier ministre israélien avait refusé de le voir, car il était en vacances. L’ambassadeur de France a alors appelé Meyer Habib à la rescousse.

Mais le facilitateur peut aussi faire barrage. Ainsi, début septembre 2015,
Emmanuel Macron alors ministre de l’Economie est en visite dans la région. À
Ramallah, il rencontre le président palestinien sans aucune difficulté, mais à
Jérusalem, impossible de s’entretenir avec Benyamin Netanyahou. Un bon
connaisseur des milieux économiques entre la France et Israël se souvient : "Au
même moment, il y avait aussi Bruno Le Maire. Lui, a eu le droit de voir Bibi.
Macron était fou ! Les diplomates ont été actifs sur ce dossier, mais en vain,
Meyer Habib a fait barrage à Macron chez Netanyahou, et Macron lui en a
beaucoup voulu."

À l’époque, cette différence de traitement était dictée par des considérations de
politique française. Emmanuel Macron était ministre sous la présidence socialiste
de François Hollande, alors que Bruno Le Maire était candidat à la primaire de la
droite et du centre, qui est la famille politique de Meyer Habib. Plusieurs témoins
qui l’ont observé dans ses déplacements officiels se souviennent d’un homme
toujours très à l’aise, volubile, bien placé devant les objectifs des appareils photos
ou des caméras. Ils se souviennent aussi qu’il tutoyait ostensiblement des
présidents de la République française. Cette familiarité pouvait gêner les
entourages, mais Benyamin Netanyahou – qui comprend bien le français – y était
sensible.

"Son rôle est ambigu"

Cette façade bonhomme et chaleureuse va de pair avec une défense acharnée de
la politique de la droite nationaliste israélienne et de Benyamin Netanyahou jugé
pour corruption depuis mai 2020. Sur le conflit israélo-palestinien, le député
Habib défend des positions opposées à celles de tous les présidents français depuis
François Mitterrand. Plusieurs diplomates israéliens s’en étonnent, dont Daniel
Shek : "Son rôle est ambigu. Représente-t-il l'Assemblée nationale en Israël ? Le
gouvernement israélien de Netanyahou en France ? Est-ce qu'il fait les deux ?
Lui, sans doute, pense qu'il constitue une sorte de pont. Mais être un pont dans
les deux sens, c'est très difficile."

Daniel Shek nous explique avoir eu des difficultés à travailler avec lui. "Il faut
une certaine délicatesse pour essayer de ne pas se fâcher avec quelqu’un qui
pense avoir le droit de se mêler des affaires de l'ambassade, de venir et dire : 'j'ai
parlé au ministre des Affaires étrangères pour voir avec lui qui on va nommer
pour te remplacer'.

"De temps en temps, quand j'ai senti qu'il allait trop loin dans son désir de peser, j'écoutais poliment, mais n'acceptais pas sa volonté d'intervenir ou de prendre des décisions, étant donné qu'il n'avait aucune fonction officielle."

Daniel Shek, ambassadeur d'Israël en France entre 2006 et 2010

à franceinfo

Selon Elisabeth Garreault, "Son objectif dès le départ a été de faire avancer en
France les idées du Premier ministre Netanyahou et du Likoud. Il est plutôt dans
une position inflexible." Un de ses collègues à la commission des Affaires
étrangères de l’Assemblée, ancien ministre et figure du Parlement constate :
"Meyer est incontestablement sympathique et expansif. Mais c’est vraiment le
porte-parole de Netanyahou. À un moment, on était en séance à la commission et
des roquettes tombaient à Tel Aviv, il nous faisait écouter le bruit des explosions
en direct sur son portable. La présidente de la commission lui disait : 'Vous êtes
français, vous connaissez notre politique' et il répondait : 'Oui mais je suis aussi
israélien.'"

Un positionnement pro-Likoud 

Durant son deuxième mandat, lors de l’élection municipale à Jérusalem le 13 novembre 2018, le député centriste n’hésite pas à écrire aux Franco-israéliens habitant la ville, en utilisant un courrier à en-tête de l’Assemblée nationale, pour expliquer qu’il soutient le candidat du Likoud.

Capture d’écran Facebook d’une lettre scannée en vue de l’élection municipale du 13 novembre 2018. (CATURE D'ECRAN)

Plus tard, en mai 2021, après que Jean-Yves Le Drian a parlé d’un "risque
d’apartheid" envers les Palestiniens, les analystes du ministère israélien des
Affaires étrangères préconisent une réaction mesurée contre la France. Selon une
source diplomatique, Meyer Habib téléphone alors à Benyamin Netanyahou pour
lui demander d’être plus ferme contre le Quai d’Orsay. Le Premier ministre tient
finalement un discours très dur contre la France devant les caméras, et
l’ambassadeur de France à Tel Aviv est convoqué par les autorités israéliennes.

Aujourd’hui, même si Benyamin Netanyahou n’est plus Premier ministre, Meyer Habib lui reste fidèle. En septembre 2021 pour la nouvelle année juive, le député a envoyé une carte de vœux avec une photo de lui et de "Bibi" redevenu chef de l’opposition mais qui espère toujours revenir au pouvoir en Israël.

Carte de vœux postée par Meyer Habib sur sa page Facebook, le 5 septembre 2021. (CAPTURE D'ÉCRAN)

Cependant, sa marge de manœuvre se réduit car il critique de plus en plus ouvertement le gouvernement israélien actuel. En juillet 2021, lors d’une visite officielle de députés français à Jérusalem, Meyer Habib n’hésite pas à interpeller le nouveau Premier ministre de droite, Naftali Bennett : "C’était tendu, raconte un député présent, Meyer Habib lui est rentré dans le lard en lui disant : 'Vous trouvez normal d’avoir trahi Netanyahou après avoir fait coalition avec lui ?'"

Des actions de sociétés non déclarées

Autre élément qui pose question : s’il a bien déclaré à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ses activités en tant que dirigeant de la société de joaillerie Vendôme à Paris. Meyer Habib apparaît, à la lecture de documents officiels israéliens, être aussi actionnaire de trois sociétés de droit israélien non déclarées, contrairement à ses obligations légales. Il s’agit de :

- Raananel Ltd : une société d’investissement immobilier enregistrée le 14 juillet 2005 où il est actionnaire à 7% en tant que citoyen français.

Société Raananel où Meyer Habib est désigné comme l'actionnaire numéro deux.  (EMMANUELLE ELBAZ-PHELPS / RADIO FRANCE)

- Hamishpaha Haviva devenue Mishpahat Liliane enregistrée le 24 novembre 2014 où il a été actionnaire à 80% jusqu’au 18 mai 2021 en tant que citoyen israélien. Cette société détient elle-même 3,33% dans la société immobilière Ariel Projet Geula 14-18 LTD enregistrée le 16 juillet 2004.

Société Mishpahat Liliane où Meyer Habib est actionnaire à 80%. (EMMANUELLE ELBAZ-PHELPS / RADIO FRANCE)

Société Mishpahat Liliane actionnaire n°17 à 3,333% du projet immobilier Geula.  (EMMANUELLE ELBAZ-PHELPS / RADIO FRANCE)

- Track Performance, crée le 7 novembre 2005 au consulat d’Israël en France puis enregistrée au registre des sociétés en Israël le 23 février 2006 où il est actionnaire à 25% en tant que citoyen français (structure mise en sommeil).

Pacte d'actionnaires pour la société Track Performance établi le 7 novembre 2005 au consulat d'Israël à Paris.  (EMMANUELLE ELBAZ-PHELPS / RADIO FRANCE)

En 2016, Mediapart avait déjà révélé l’existence de Track Performance, co-fondé avec Arnaud Mimran (qui sera condamné ultérieurement dans le cadre de l’escroquerie à la taxe carbone). Avant ces démêlés judiciaires, Meyer Habib avait présenté son vieil ami Arnaud Mimran à Benyamin Netanyahou, et Mimran avait pris à sa charge un séjour des Netanyahou en France en 1999. Dans cette même société, nous avons identifié un autre associé. Un spécialiste de l’optimisation fiscale, installé au Luxembourg, qui est cité dans les Panama Papers.

Contacté par la cellule investigation de Radio France, Meyer Habib n’a pas souhaité répondre à nos questions, ni sur son positionnement politique et diplomatique, ni sur ses intérêts non déclarés.

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