Effondrement d'un pont à Gênes : cinq questions qui se posent après la catastrophe
L’effondrement du pont autoroutier Morandi a provoqué la mort d’au moins 38 personnes, mardi 14 août. Le débat fait rage en Italie sur les causes de cette catastrophe et les responsabilités.
Il avait à peine plus de 50 ans. Construit par la compagnie italienne Società Italiana per Condotte d’Acqua, le pont Morandi avait été inauguré en 1967, et permettait de traverser la rivière Polcevera, à Gênes, en Italie. Tenu par trois pylônes en béton armé, ce viaduc long de 1 182 mètres, sur lequel passait l'autoroute A10, était considéré par ses constructeurs comme "l’une des œuvres d’ingénierie les plus complexes de son genre", comme le relate le quotidien La Croix. Après son effondrement, mardi 14 août, qui a causé la mort d'au moins 38 personnes, les questions restent nombreuses sur les causes du drame.
Qui était responsable de la maintenance du pont ?
La polémique n’a pas tardé à surgir. Le ministre des Infrastructures et des Transports italien, Danilo Toninelli, a déclaré le jour du drame que les responsables de l’accident devraient "rendre des comptes". "La maintenance passe avant tout", a-t-il insisté. Selon lui, celle-ci relevait de l’opérateur de l’autoroute A10. Il s’agit de la société Autostrade per l'Italia, dont la maison mère, Atlantia, gère plus de la moitié des autoroutes du pays, a calculé Le Figaro.
Danilo Toninelli a annoncé, mercredi, un audit général des ponts et des tunnels vieillissants dans toute l'Italie. Il souhaite également retirer la concession autoroutière accordée à la société Autostrade per l'Italia, filiale du groupe Atlantia. "Autostrade per l'Italia n'a pas été capable d'assumer ses obligations dans le cadre de l'accord régulant la gestion de cette infrastructure", a-t-il dit sur l'antenne de la RAI, la télévision publique italienne. L’Etat italien réclamera également des sanctions significatives allant jusqu'à 150 millions d'euros. Le ministre a estimé, sur sa page Facebook, que les dirigeants d'Autostrade per l'Italia devaient démissionner.
Le directeur d'Autostrade per l'Italia pour la région de Gênes, Stefano Marigliani, a balayé ces accusations. Il a assuré, peu après le drame, que le pont était "constamment surveillé, bien au-delà des exigences légales" et qu’il n’y "avait aucune raison de penser qu’il était dangereux".
L’effondrement était-il prévisible ?
Dès 2016, Maurizio Rossi, un sénateur italien, tirait la sonnette d’alarme. Il y a deux ans, l’homme politique adressait en effet une question écrite au ministre italien des Infrastructures, dans laquelle il jugeait que l’entretien du pont laissait à désirer. "Le pont présentait un défaut inquiétant des joints qui nécessitait un travail de maintenance extraordinaire, sans lequel il y avait un risque de devoir le fermer à la circulation", cite La Croix.
De son côté, Antonio Brencich, professeur de la faculté d’ingénierie de Gênes, critiquait la structure du pont. Cet ingénieur estimait, lui aussi en 2016, que l'ouvrage n’était ni plus ni moins qu’une "erreur d’ingénierie". Il dénonçait alors un viaduc présentant "plusieurs aspects problématiques", dont la construction reposait sur "une évaluation incorrecte de l’évolution du béton, produisant un plan routier non horizontal". La structure, instable et très coûteuse en entretien, cumulait donc, selon lui, les défauts de fabrication.
Selon Antonio Brencich, à la fin des années 1990, les coûts de maintenance représentaient déjà 80% du montant global de la construction, rapporte l’hebdomadaire Marianne. Dans les années 1990, ce pont avait déjà dû être consolidé, en raison de défaillances structurelles. Autostrade, la société privée qui gère une partie des autoroutes italiennes, s’est défendue mercredi dans un communiqué. Elle a déclaré que des travaux de consolidation du pont étaient en cours lors de l’accident. La société affirme que le pont Morandi faisait l’objet de contrôles réguliers : "Les travaux et l’état du viaduc étaient sous observation, les risques d’effondrement avaient été écartés", déclare-t-elle.
Le réseau autoroutier italien est-il en mauvais état ?
Selon le journal italien Corriere della Sera, 60% des viaducs et ponts en ciment construits il y a plus de cinquante ans dans le pays seraient dangereux. "Beaucoup d’infrastructures commencent à se fatiguer, notamment celles construites en béton armé", commente le quotidien. Les autoroutes italiennes ont été construites principalement dans les années 1960-1970. Le réseau est soumis à une usure accélérée due à l’important trafic de marchandises et est aujourd’hui considéré par de nombreux spécialistes comme obsolète. "Dans les années 1960, personne n’a tenu compte de la dégradation éventuelle du béton armé", analyse, pour le journal, Diego Zoppi, membre du Conseil national des architectes en Italie. "Désormais, la régularité des effondrements prend un caractère alarmant", souligne quant à lui Antonio Occhiuzzi, directeur de la technologie de construction CNR.
Le pont Morandi de Gênes n’est d'ailleurs pas la première structure à s’effondrer dans le pays. Depuis 2014, huit ponts se sont écroulés, comme celui de Fossano en avril 2017, ou celui de la route reliant Palerme à Catane (Sicile), fin 2016, dix jours seulement après son inauguration. Selon un article des Echos datant de 2017, l’Italie aurait manqué de plus de 10 milliards d’euros d’investissement pour ses routes ces huit dernières années. Depuis dix ans, le gouvernement italien a décidé de diminuer les budgets d’investissement des infrastructures, délaissant notamment l’entretien du réseau autoroutier. L’Anas (société nationale autonome des routes en Italie), qui dénonce régulièrement le vieillissement des routes, préconise pourtant d’investir 2,5 milliards d’euros par an pour maintenir les réseaux en bon état. Selon Les Echos, les pouvoirs publics italiens ne prévoyaient d’investir que 5,6 milliards d’euros sur cinq ans au réseau routier et autoroutier, soit environ 1 milliard par an.
Une somme jugée trop faible par les transporteurs, premiers concernés. "Nous avons un vaste problème de remise à neuf des infrastructures qui sont devenues obsolètes. A cela s’ajoute le problème de la maintenance et de la répartition des compétences au niveau de la gestion de cette maintenance", juge Amedeo Genedani, président de Unatras, la confédération des transporteurs italiens, comme le rapporte Marianne. "Il faut être réaliste, sans infrastructures, le pays est bloqué, analyse Sergio Soffiatti, responsable de Confartigianato Trasporti, la confédération des transporteurs de marchandises. Il faut dresser une liste des grandes priorités et agir vite pour moderniser le pays et éviter les catastrophes."
La météo a-t-elle joué un rôle dans l’effondrement du pont ?
Plusieurs témoins ont raconté avoir vu la foudre s’abattre sur le viaduc peu avant que celui-ci ne s’effondre. Effectivement, au moment de l’accident, un fort orage avec d’importantes précipitations s'abattait sur la ville. Mais la foudre aurait-elle pu frapper le pont au point que celui-ci cède ? Interrogé par franceinfo, Michel Virlogeux, ingénieur-concepteur de ponts (notamment de celui de Millau), estime cette piste peu crédible. "J'ai entendu parler potentiellement d'un coup de foudre qui serait tombé sur le pylône qui s'est écroulé – puisqu'il n'y en a qu'un seul qui s'est écroulé –, ça me paraît peu probable puisque, normalement, au sommet de pylônes comme ça on met des paratonnerres pour éviter ce genre d'incident", explique-t-il.
Et d'ajouter : "Il arrive qu'il y ait un petit dégât, mais moi je n'ai jamais vu un pont détruit par la foudre. (...) L'orage normalement ne devrait rien faire, il faut être clair", affirme l'ingénieur.
Ce scénario catastrophe aurait-il pu avoir lieu en France ?
Il n’existe pas de pont de ce type en France, selon Jean Michel Torrenti, ingénieur spécialiste en béton. Le viaduc de Morandi "ressemble à un pont à haubans, comme le viaduc de Millau, sauf que les haubans sont, ici, des poutres en béton précontraint avec des câbles métalliques à l'intérieur", explique-t-il sur France Inter, soulignant qu’il s’agit "d’une conception assez particulière" et que "peu d’ouvrages dans le monde ont été construits comme ça".
Toutefois, un rapport gouvernemental publié en juillet estime que 7% des ponts français ont de "sérieux" dommages et présentent, "à terme, un risque d’effondrement". Cela représente 840 ouvrages environ. En moyenne, les ouvrages ne sont réparés que vingt-deux ans après l’apparition des premières dégradations, détaille le rapport. Les autorités prévoient que, sans changement de politique, 6% des ponts seront "hors service" en 2037.
"En France, au niveau des procédures, les choses sont très définies, ce qui ne nous met pas l’abri d’accidents majeurs, mais pas de cette ampleur", a affirmé à franceinfo Jean-Marc Tanis, président de l’Union des associations françaises de génie civil. Compte tenu de l’augmentation du trafic et du nombre de ponts, ainsi que "des budgets pas nécessairement affectés à la maintenance des infrastructures", ce spécialiste s’inquiète. "Il faut se garder de penser que nous sommes en dehors de ces problématiques", a-t-il conclu.
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