Procès de la mafia calabraise : "C'est historique par le nombre de personnes" et "par la nature des accusés", selon un spécialiste
Plus de 350 accusés, 900 témoins et 400 avocats pour ce procès-fleuve, qui devrait durer plus de deux ans. "Il faut rendre hommage au procureur Nicolas Gratteri pour s'attaquer aux complicités légales de la mafia", souligne Fabrice Rizzoli, auteur de "La mafia de A à Z".
"C'est historique par le nombre de personnes" dans le box et "par la nature des accusés", a relaté mercredi 13 janvier sur franceinfo Fabrice Rizzoli, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de la grande criminalité et de la mafia, alors que le gigantesque procès de la mafia 'Ndrangheta s'ouvre en Calabre en Italie. Plus de 350 accusés comparaissent dans le box. Sont également attendus 900 témoins et 400 avocats pour ce procès-fleuve, qui devrait durer plus de deux ans. C'est le plus grand procès anti-mafia depuis 30 ans en Italie. Et au-delà de son caractère historique, pour Fabrice Rizzoli, également auteur de La mafia de A à Z (éditions Tim Buctu), le signal est fort parce que "le procureur Nicolas Gratteri s'attaque aux entrepreneurs, aux professions libérales, aux avocats complices, aux politiciens qui donnent la force de la mafia".
franceinfo : Est-ce que vous pouvez nous dresser un portrait robot de la 'Ndrangheta, cette mafia calabraise ?
Fabrice Rizzoli : Cette mafia calabraise est celle qu'on dit être "la mafia number 1".
Ce serait la plus riche, à elle seule, 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur les 120 milliards des quatre mafias italiennes. Et puis il y a aussi le fait qu'elle ait au moins 7 000 affiliés, qu'elle soit présente sur les cinq continents, avec une diaspora massive en Australie, au Canada, en Allemagne.
Fabrice Rizzoli, spécialiste de la grande criminalité et de la mafiaà franceinfo
Elle a aussi des émissaires, ce que j'appelle les narco-comptoirs, qu'ont fait les mafias calabrais depuis 30 ans, notamment dans les pays où on fabrique de la cocaïne pour pouvoir inonder de manière régulière le marché européen. C'est effectivement une mafia très puissante. Enfin, dernière caractéristique, le fait qu'il faut être d'une famille biologique, ou marié à la fille du chef pour entrer dans la mafia calabraise, fait qu'il y a peu de collaborateurs de justice. C'est beaucoup plus difficile de dénoncer son père, son oncle, son mari, son fils, même s'il en existe et il y en a dans ce procès.
La 'Ndrangetha est-elle toujours puissante, malgré ce procès ?
Elle est toujours puisssante, puisqu'il s'agit d'une enquête sur une micro-région, et plus précisément la seigneurie territoriale comme disent les spécialistes du clan Mancuso [du nom du patron présumé de la mafia Luigi Mancuso]. Cette région était peu investie par les forces de l'ordre. Depuis que le procureur Nicolas Gratteri a pris ses fonctions, il a focalisé son attention sur cette mafia qui était moins sujette à la répression que la "mafia de Reggio". Ca donne des résultats, au-delà du maxi procès. Le principal, c'est qu'il ait réussi à arrêter des meurtres qui allaient se commettre puisque, par exemple, les arrestations ont lieu au moment où la guerre allait avoir lieu entre deux clans. Il a résolu des assassinats et arrêté des complices de la mafia comme un chef de la police municipale, un ancien maire, un avocat, un ancien parlementaire de Forza Italia. Ca donne de l'air : et les citoyens ne s'y sont pas trompés. Ils sont descendus dans la rue, le 19 décembre dernier pour soutenir l'initiative de Gratteri, parce qu'ils ont de l'air depuis ces arrestations et ce procès.
Ce procès a déjà des effets bénéfiques en Calabre ?
À partir du moment où vous obligez les mafieux à aller au tribunal, la menace du racket se fait moins importante par exemple. Tout n'est pas résolu. Mais encore une fois, le fait que la population, avec l'initiative de l'ONG Libera qui lutte contre la mafia au quotidien, descende dans la rue pour soutenir le procès, c'est qu'il y a des choses qui vont mieux.
À partir du moment où l'État fait sa part, met les mafieux en prison, confisque des biens, les redonne aux citoyens par le biais de l'usage social des biens confisqués, on n'a plus peur.
Fabrice Rizzoli
C'est un procès historique, par le nombre de personnes, on n'avait jamais fait un maxi procès aussi important, mais c'est très important par la nature des accusés. Parce que Nicolas Gratteri s'attaque malgré la difficulté aux entrepreneurs, aux professions libérales, aux avocats complices, aux politiciens qui donnent la force de la mafia. La force de la mafia, c'est la violence, c'est aussi la complicité dans l'économie et dans la sphère légale, qui permet d'avoir des marchés publics, de l'impunité, de faire passer des messages en prison, qui permet que les banques ne donnent pas de crédits aux entrepreneurs et qui vont donc se tourner vers la mafia pour obtenir un prêt. Il faut rendre hommage [à Nicolas Gratteri] pour s'attaquer aux complicités légales de la mafia.
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