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«Triangle de la mort» : l'armée italienne appelée à la rescousse

L’armée italienne est appelée à la rescousse par le gouvernement d'Enrico Letta. Ce dernier a donné son accord de principe pour qu'elle s'oppose aux mafias qui, depuis 1991, ont brûlé ou enfoui 10 millions de tonnes de déchets industriels entre Naples et Caserte. Conséquence: l’environnement et la santé des habitants sont menacés dans cette zone surnommée «le Triangle de la mort».
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
A Naples, le 10 mai 2011, des soldats italiens ramassent les ordures. ( AFP PHOTO / LUIGI DARINI)

En Campanie, l’armée pourra être utilisée «pour affronter de façon plus efficace le phénomène des mafias de l’environnement», a indiqué, le 14 janvier 2014, le secrétaire de la Défense Gioacchino. 

«Pour une fois, les forces politiques sont toutes d'accord pour offrir des solutions concrètes pour résoudre un problème spécifique», s'est réjoui le secrétaire d’Etat à la Défense, Gioacchino Alfano, à propos du décret adopté en décembre par le gouvernement d’Enrico Letta. M.Alfano, qui est aussi responsable en Campanie du parti Nouveau Centre Droit du ministre de l'Intérieur, Angelino Alfano (sans lien de parenté avec ce dernier, NDLR), a estimé que le projet en cours d'adoption, qui était déjà «un bon décret», avait été «encore amélioré avec la participation de toutes les forces politiques».

Le décret introduit des contrôles plus stricts sur les terrains agricoles qui ont, en grande partie, été rendus toxiques par la décharge illégale de déchets non contrôlés. «Il est urgent de cartographier les zones affectées par la pollution qui pourraient nécessiter l'mposition de limitations sur la culture», a précisé le gouvernement. Celui-ci consacrera 600 millions d'euros aux opérations de nettoyage, qui s'ajouteront aux 300 millions déjà promis par le gouvernement régional de Campanie. Cette région, avec 6 millions d'habitants, produit 6.600 tonnes de déchets par jour, soit une proportion très élevée compte tenu de la superficie.

L'impact sur la santé
La «terre des feux» (terra dei fuochi) est le deuxième surnom italien de cette zone. Il fait référence aux innombrables incendies allumés pour brûler des déchets toxiques, enfouis illégalement ou jetés dans les champs par la Camora, la mafia napolitaine. C'est vers elle, depuis la fin des années 80, que les industriels du nord ou du centre de l'Italie se sont tournés pour se débarasser à moindre frais de leurs déchets. A cette époque, une partie de ces déchets industriels était transférée en Somalie, ex-colonnie italienne. Mais l'assassinat à Mogadiscio d'une journaliste, Ilaria Alpi, qui enquêtait sur ce trafic mafieux impliquant l'armée italienne, mettra un terme à ces pratiques.

Bitume, amiante, colles industrielles, solvants, pneus, conteneurs et frigo... En brûlant, ces déchets dégagent des fumées toxiques mais polluent également la terre et les nappes phréatiques. L’Institut de cancérologie Pascale a notamment constaté une hausse très élevée du nombre de cancers dans la région: +40% chez les femmes, +47% pour les hommes. Certaines sources évoquent même la présence de déchets nucléaires dans les sols de la région.


D'importantes quantités de dioxine libérées dans l'atmosphère ont notamment été à l'origine du fameux scandale de la mozzarella, en mars 2008. 

Un drame humanitaire
Dans une lettre ouverte, datée du 3 janvier 2014, le cardinal Crescenzio Sepe et des évêques de la région de Naples ont dénoncé un véritable drame humanitaire. Les signataires de la lettre ouverte réclament des opérations de dépollution, des contrôles médicaux et la mise sous séquestre des terrains pollués. De son côté, le gouvernement a mis au point un groupe d’action pour prévenir les incendies et lancer un vaste plan de décontamination.

Dans un rapport d’enquête passé quinze ans sous silence, le commissaire de police Roberto Mancini dénonce la corruption de nombreux fonctionnaires, magistrats, la participation de multinationales et établissements bancaires. Ce business des déchets aurait généré 43 milliards d’euros en dix ans, selon l’association écolologique Legambiente.

Un marché juteux
La Camorra est régulièrement accusée par les autorités de travailler en sous-main pour empêcher toute solution à la crise afin de continuer à exploiter ce juteux marché. Le traitement des déchets est un sujet sensible, la crise des déchets de 2008 à Naples ayant contribué à la victoire de Silvio Berlusconi aux législatives puis à son retour au pouvoir. Dans cette région largement sous-équipée en décharges, cette crise s'était répétée en 2010 et 2011. L'intervention de l'armée doit encore être soumise au vote du Parlement.

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