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Les témoignages dérangeants de soldats israéliens sur la guerre à Gaza

C'est un document inédit qui a été révélé en Israël. Les témoignages anonymes de 60 soldats israéliens ayant participé à la dernière guerre de Gaza et à l'opération "Bordure protectrice" qui a tué plus de 2.000 Palestiniens et 66 soldats israéliens. Ces soldats racontent crûment leur guerre. L’ONG Breaking The Silence pointe une "dérive morale" dans les pratiques de l'armée israélienne.
Article rédigé par Sébastien Laugénie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
  (Un soldat israelien à la frontière avec Gaza © Reuters - 2015 / Amir Cohen)

C'est l’ONG Breaking The Silence qui est à l’origine du témoignage de ces 60 soldats israéliens ayant participé à la dernière guerre de Gaza, et à l'opération "Bordure protectrice". A partir de leur récit, l'ONG pose une question : La doctrine militaire employée à Gaza respecte-t-elle le code d'éthique que l'armée israélienne s'est imposée ?

Des principes très particuliers

Il y a un point commun entre tous ces récits, qu'ils s'agissent d'officiers ou de soldats du rang, c'est qu'il fallait limiter les risques pour les soldats israéliens, et selon l'ONG Breaking The Silence, c'est le principe général qui a présidé à toutes les opérations. Concrètement, cela voulait dire des règles d'engagement particulièrement permissives, abolissant parfois la distinction entre combattants et non combattants.

"Le commandant a dit : on ne prend pas de risques. On n'économise pas les munitions. On vide les chargeurs autant que possible. La tendance, c'était de minimiser les pertes de notre côté et de détruire tout sur notre passage, " raconte un soldat. "L'idée de base, c'était : il n'y a personne qui ne soit pas suspect. Dans cette situation, tout le monde est suspect. Tout est dangereux. Aucun véhicule n'est supposé être là. S’il y en a un, vous tirez. Si un animal est suspect, vous tirez, " explique un autre soldat. Ce principe de précaution, pourrait-t-on dire, devait être appliqué même au prix de pertes civiles palestiniennes.

L'ampleur des destructions infligées à Gaza

Plusieurs quartiers de Gaza ont presqu'entièrement été détruits pendant cette guerre. Shejaïa, Al Bureij, Khuzza, ces quartiers sont proches de la barrière de séparation avec Israël. A chaque fois, l'armée explique avoir prévenu les civils, les habitants, par tracts, ou par téléphone. Ce qui est vrai. Et puis les bulldozers arrivaient.

"A un moment donné, on a compris que c'était comme un schéma. A chaque fois qu'on quittait une maison. Le D9, le bulldozer blindé arrivait et aplatissait tout. Personne ne nous a expliqué pourquoi il fallait raser les maisons. A la fin des opérations, notre commandant nous a dit que ce n'était pas de la vengeance ", raconte un sergent d'une unité d'infanterie.

Une doctrine de guerre spécifique à Gaza

Les témoignages rassemblés par Breaking The Silence montrent une doctrine qui, selon eux, consiste à employer des moyens militaires disproportionnés délibérément. Il y a eu des bombardements massifs : 35.000 obus d'artillerie ont été utilisés cet été, soit qautre fois plus que pendant l'opération "Plomb durci". Mais tout cela a une raison, explique Avihai Stoller, le directeur de recherches de Breaking The Silence. "L’idée c’était la dissuasion. Montrer de diverses façons que le patron, le gouvernement israélien, n’est pas un ennemi dont on peut penser qu’il sera modéré. Et qu’il ne faut pas nous chercher. "

Selon l'ONG, la dernière guerre de Gaza met en doute la morale de l'armée israélienne. Breaking The Silence accuse notamment l'armée d'avoir fait évolué son code d'éthique ces dernières années au point aujourd'hui de privilégier la vie des soldats israéliens à celle des civils palestiniens. S'agit-il d’un glissement moral ? Réponse de l'un des philosophes qui a participé à l'écriture du code d'éthique de l'armée, Asa Kasher. "Il n’y a pas de glissement moral. On a juste mis l’accent sur des considérations liées à la vie des troupes. Et on a dit aux commandants : 'Vos troupes ne sont pas vos instruments, vos troupes sont des citoyens en uniforme militaire'. La vie du bouclier humain d’un terroriste n’est pas plus importante que la vie de mes troupes. "

En réponse, l'armée déplore ne pas avoir eu accès à l'intégralité des témoignages, rendant impossible, selon elle toute enquête. "Comme par le passé, dit un communiqué, cette organisation n'agit pas avec l'intention de corriger les méfaits allégués qu'ils ont découverts ". 

Guerre à Gaza : le témoignage des soldats. Le reportage de Sébastien Laugénie
 

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