Gaza : "Ces derniers jours, tout n'a fait qu'empirer, c'est une longue descente aux enfers", alerte Médecins sans frontière

Léo Cans, chef de mission à MSF, vient de rentrer d'une mission dans l'enclave palestinienne. Il décrit la situation à l'hôpital d'Al-Nasser qui a perdu "80% de ses soignants" et où les demandes de médicaments restent sans réponse.
Article rédigé par franceinfo
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Des femmes et des enfants font face aux dégats causés par une attaque aérienne à Rafah, dans le Sud de la bande de Gaza, dimanche 28 janvier 2024. (YASSER QUDIH / XINHUA)

"Ces derniers jours, tout n'a fait qu'empirer, c'est une longue descente aux enfers qui est en train de se passer à Gaza", alerte, dimanche 28 janvier sur franceinfo, Léo Cans, chef de mission à Médecins sans frontières (MSF) dans les territoires palestiniens. De retour de l'enclave palestinienne, où les combats se poursuivent entre Israël et le Hamas, l'humanitaire se dit "bouleversé" par ce qu'il a vu dans les hôpitaux. "Beaucoup, beaucoup de douleur chez les patients, beaucoup de femmes, beaucoup d'enfants dans les hôpitaux", liste-t-il.

franceinfo : Qu'est-ce qui a changé ces derniers jours pour qu'on en arrive là ?

Léo Cans : On peut dire que ces derniers jours, tout n'a fait qu'empirer. En fait, c'est une longue descente aux enfers qui est en train de se passer à Gaza. Personnellement, j'ai été bouleversé par ce que j'ai vu il y a dix jours dans les hôpitaux. Des hôpitaux complètement bondés de patients. Les personnels soignants sont dans l'incapacité totale de s'occuper des patients correctement. C'est beaucoup de souffrances. C'est très compliqué pour administrer des médicaments pour soulager la douleur. Il y a beaucoup, beaucoup de douleur chez les patients et beaucoup de femmes et d'enfants dans les hôpitaux.

Les hôpitaux sont encore ouverts, mais n'ont plus les moyens d'accueillir des patients ?

C'était déjà le cas, effectivement depuis les quinze derniers jours. Ça s'est précipité lors de l'offensive de Khan Younès ces quatre, cinq derniers jours. L'hôpital d'Al-Nasser, dans lequel nous avons une équipe, qui est le plus gros hôpital du sud de la bande de Gaza, est maintenant totalement inaccessible. Personne ne peut rentrer dans l'hôpital, personne ne peut sortir de l'hôpital. Mon équipe sur place estime à seulement 20% des personnels soignants qui sont encore dans l'hôpital. Il déborde de patients dans des états critiques. 80% du personnel soignant a quitté cet hôpital parce qu'ils craignaient pour leur propre vie et celle de leur famille.

Les opérations militaires sont à proximité de l'hôpital Al-Nasser ?

Les bombardements sont extrêmement proches de cet hôpital. Il y a des tirs aussi qui sont arrivés dans l'hôpital. Quand j'y étais, il y avait des balles qui tombaient de temps en temps dans l'hôpital.

Une bombe est tombée à 150 mètres de l'hôpital il y a dix jours. Elle a tué sur le coup deux enfants de quatre ans et cinq ans. Il y a eu six autres morts.

Léo Cans, chef de mission à Médecins sans frontière

à franceinfo

Les combats sont tellement proches que les gens n'osent plus rentrer, n'osent plus sortir. Même dans l'hôpital, les gens ont peur de se déplacer. Ils ont dû enterrer les morts dans l'hôpital. Il y a un cimetière à 200 mètres derrière l'hôpital. Les gens avaient peur d'aller là-bas pour enterrer leurs propres morts. Ils ont dû enterrer les morts dans l'hôpital. C'est pour vous dire le climat de terreur qui règne en ce moment.

Les hôpitaux n'arrivent toujours pas à se procurer des médicaments ?

Il y a un vrai problème de médicaments à l'hôpital d'Al-Nasser. Les Nations unies ont demandé à organiser des convois pour ramener des médicaments, ça a été refusé par l'armée israélienne. Elle refuse quasiment systématiquement tous les convois pour amener des médicaments ou de la nourriture dans les hôpitaux. Quand j'y étais, nous avons fait cinq tentatives pour aller à l'hôpital Al-Shifa au Nord. Sur cinq tentatives, une seule a fonctionné.

80% des demandes qui sont faites par les ONG ou par l'ONU pour aller amener de l'approvisionnement dans les hôpitaux ou au nord de la bande de Gaza sont refusées par l'armée israélienne.

Léo Cans

à franceinfo

En ce moment, à l'hôpital d'Al-Nasser, il va y avoir des problèmes d'approvisionnement en fioul parce que l'hôpital est complètement coupé du reste du monde. Il y a aussi des problèmes d'anesthésiants, non pas parce qu'il n'y en a pas sur place, mais parce que les gens ont peur d'aller à la pharmacie centrale pour récupérer ces anesthésiants.

Israël accuse l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de collusion avec le Hamas, et des membres de l'Unrwa, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, d'avoir participé aux attaques du 7 octobre. À quel point ces organisations sont importantes actuellement dans la bande de Gaza ?

Elles sont d'une importance capitale. Si vous enlevez aujourd'hui l'Unrwa et l'OMS, vous avez des dizaines de milliers de morts dans les semaines qui arrivent. Il y a des centaines de milliers de personnes qui sont bloquées dans le nord de Gaza. La seule nourriture qui leur parvient, c'est la nourriture par les convois de l'Unwra. Quand les convois arrivent sur place, la plupart sont pillés parce que les gens sont affamés, donc ils n'arrivent même pas à faire les distributions de manière complète parce que les gens ont tellement besoin de nourriture qu'ils sautent sur les camions et prennent la nourriture de manière désespérée. Pour l'Organisation mondiale de la santé, c'est aussi elle qui permet d'approvisionner les hôpitaux en médicaments. MSF le fait à son échelle, mais ce n'est pas suffisant. Heureusement que l'Organisation mondiale de la santé est là également pour pouvoir amener du fuel et des médicaments dans les hôpitaux. Si ce n'est pas le cas, en quelques semaines, c'est des dizaines de milliers de morts qui surviendraient.

Vous appelez les pays qui ont coupé leurs subventions à l'Unwra, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, la Suisse et la Finlande, à revenir sur leur décision ?

Surtout, on appelle vraiment depuis le début à un cessez-le-feu total, immédiat et soutenu. C'est un massacre qui a lieu et je pèse mes mots. L'aide humanitaire est bloquée à l'entrée de Gaza. C'est très compliqué de faire entrer l'aide. Elle est bloquée ensuite dans la bande de Gaza parce que l'armée israélienne nous empêche d'amener cette aide humanitaire dans les hôpitaux, comme c'est le cas à Al-Nasser aujourd'hui. Ils nous empêchent de l'amener dans le nord de Gaza. Il y a un vrai combat contre cette réponse humanitaire. C'est totalement inacceptable.

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