Interview "On vit une vie d'humiliations" : un an après les attaques du 7 octobre, un journaliste palestinien témoigne du quotidien des Gazaouis, entre dénuement et peur

Un an après les attaques du Hamas en Israël, plus de deux millions de personnes ont du quitter leur maison ou leur appartement dans la bande de Gaza. Le journaliste palestinien Rami Abu Jamous témoigne des conditions de vie dans les camps de déplacés.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une vue d'un camp de déplacés à Deir el-Balah (Bande de Gaza), septembre 2024 (IMAGO/OMAR ASHTAWY \ APAIMAGES / MAXPPP)

Rami Abu Jamous est un journaliste palestinien de 46 ans. Le 7 octobre 2023, il vivait à Gaza. Après le début des opérations militaires israéliennes, il a quitté la ville avec femme et enfants pour se réfugier à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, puis à Deir el-Balah. Il témoigne de la situation sur place par des vidéos sur les réseaux sociaux, des articles pour le site Orient XXI, et sur franceinfo.

franceinfo : Quelle est votre quotidien depuis un an ? Dans quelles conditions vivez-vous, avec votre famille ? 

Rami Abu Jamous : Depuis qu'on a quitté notre maison, depuis que la guerre a commencé, on vit une vie d'humiliations : quitter chez soi, c'est le début de l'humiliation. On est humilié quand on est bombardé chez soi, on est humilié parce qu'on arrive pas à faire les enterrements. Cela fait un an que la guerre a commencé, et il y a des gens qui sont toujours sous les décombres. On est humilié en sortant pour se déplacer à pied avec juste quelques sacs et que malgré ça, on nous tire dessus. On est humilié une fois arrivé sous une tente. On est humilié parce qu'on ne trouve pas à manger. On est humilié parce qu'on mange que des boîtes de conserve. On est humilié parce que quand mon fils Walid est malade, je trouve pas de médicaments pour lui parce qu'il y a un blocus et il n'y a rien qui entre, surtout pas les médicaments. 

"On est revenu au Moyen-Âge en tout : on vit sur des matelas, sur du sable. On cuisine avec du feu et un four d'argile... Tout ça, c'est de l'humiliation."

Rami Abu Jamous

à franceinfo

franceinfo : Vous avez écrit dans votre journal de bord sur le site Orient XXI : "Je me rends compte que tout ce qu'on fait, tout ce qu'on vit aujourd'hui est en train de nous faire détester l'endroit où l'on vit." Pour vous, c'est ce que souhaite Israël ?

Bien sûr, c'est détester Gaza, détester la Palestine, détester l'appartenance à ce territoire. Ce que les Israéliens ont fait, c'est effacer tout lien avec ce terrain : ils ont bombardé les sites archéologiques, les musées, les universités, les écoles... 85% des habitations de Gaza ont été détruits. Et non seulement on est arrivé à effacer tout lien avec cette terre, mais ils veulent en plus nous faire détester cette terre. On commence à détester l'endroit où on est.

Vous êtes avec votre fils, les enfants de votre femme. Comment faites-vous en sorte que ce conflit ne soit pas trop pénible à vivre pour eux ?

C'est le plus dur pour moi. C'est toujours mettre un masque envers mon jeune fils Walid, pour le mettre dans une vie un peu parallèle à ce qu'on vit. C'est-à-dire que des explosions c'est du feu d'artifice, il faut applaudir. Quand la nuit devient rouge avec les bombardements, c'est du spectacle, il faut applaudir. Vivre sous une tente, pique-niquer, c'est une aventure très confortable. 

"J'essaye de faire toujours le clown et j'essaye toujours de mettre ce masque, de garder le sourire quand il y a un bombardement. C'est ma façon de protéger les enfants."

Rami Abu Jamous

à franceinfo

Et quand on parle de la tente, le mot "tente", j'essaie de toujours l'enlever de mon vocabulaire. Quand je parle à Walid (parce que je lui parle tout le temps en français), c'est toujours "la villa". Je veux que même dans son cerveau, il enregistre que le mot "tente" n'existe pas, c'est une villa, on est en train de vivre dans du luxe. Je ne sais pas si j'ai réussi pour le moment. Walid est en train de grandir. Quand la guerre a commencé il avait deux ans, aujourd'hui il a trois ans. Je ne sais pas combien de temps encore va durer cette guerre, et je ne sais pas si ce cinéma que je suis en train de faire va durer longtemps, ni quand il va savoir vraiment la vérité.

Dans votre tête, votre cœur à vous, qu'y a-t-il ?

C'est la peur, l'angoisse, la peur de l'avenir. La peur pour ma famille, la peur d'être bombardé. C'est la peur de ne pas avoir la possibilité de fournir les moindres besoins de mon fils. c'est la peur que mon fils me dise un jour "Papa, pourquoi tu m'as laissé à Gaza ?" Je veux que mon fils soit fier de moi, fier de cette décision. Je veux qu'il ait toujours le mot dignité dans sa tête et dans son cœur. Parce que tout ce qu'on fait aujourd'hui, même si on vit dans L'humiliation, c'est justement parce qu'on cherche la dignité. On a perdu tout ça parce qu'on cherche la dignité. On préfère mourir que partir de la Palestine.

Votre femme est enceinte. Comment envisagez-vous l'avenir dans ces conditions ?

Je sais que c'était une décision très difficile, mais c'est notre façon de résister. C'est notre façon de dire à l'occupant que malgré le génocide que moi j'appelle "Gazacide", la vie continue. L'amour continue, même sous une tente. Plusieurs centaines, des milliers de fleurs se sont fanées, ces enfants qui sont morts. Il va y avoir des fleurs qui vont naître et on va continuer le chemin. Et un jour, ces fleurs-là vont continuer, vont réussir à avoir un État indépendant et vivre à côté d'Israël, en paix.

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