Guerre dans la bande de Gaza : pourquoi l'Espagne se pose comme le premier soutien de la cause palestinienne en Europe
Un geste emblématique à l'attention des Palestiniens. L'Espagne a reconnu officiellement l'Etat de Palestine, mardi 28 mai. Dans une brève déclaration solennelle, le Premier ministre espagnol a estimé que cette reconnaissance, coordonnée avec l'Irlande et la Norvège, est "une nécessité" pour "parvenir à la paix" entre Israéliens et Palestiniens. Cette décision n'est que "justice", avait estimé lundi le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares. "Les Palestiniens ont le droit d'avoir un Etat, comme les Israéliens ont ce droit", a-t-il défendu à Bruxelles, en présence du Premier ministre palestinien Mohammad Mustafa.
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, en représailles aux attaques du 7 octobre, l'Espagne tient des positions très critiques à l'égard des autorités israéliennes. Elle est aussi une voix forte en soutien à la cause palestinienne, portant sur la scène européenne cette idée d'une reconnaissance de l'Etat de Palestine.
Une voix critique
Dès l'automne, le chef du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, n'a pas hésité à dénoncer certaines opérations israéliennes à Gaza. "Le monde entier est choqué par les images que nous voyons tous les jours en provenance de Gaza. Le nombre de Palestiniens morts est réellement insupportable", a-t-il insisté le 23 novembre aux côtés de son homologue israélien Benyamin Nétanyahou, cité par Le Monde.
"Condamner les viles attaques d’un groupe terroriste comme le Hamas, et dans le même temps condamner le meurtre aveugle de Palestiniens à Gaza, n’est pas une question politique ni d’idéologie, c’est une question d’humanité."
Pedro Sanchezlors d'une réunion du Parti socialiste espagnol à Madrid, le 26 novembre 2023
L'Espagne a été "l'un des premiers Etats à dire qu'Israël avait le droit de se défendre, mais dans le strict respect du droit humanitaire", constate Antoine de Laporte, spécialiste de la vie politique espagnole à la Fondation Jean-Jaurès. Le tout, "en dénonçant les attaques du Hamas de manière extrêmement claire". Au fil des semaines, l'Espagne "a été très en pointe dans la dénonciation du nombre très élevé de morts" dans la bande de Gaza, poursuit l'expert. Jusqu'à provoquer des tensions diplomatiques avec Israël.
Les autorités espagnoles ont aussi débloqué une aide d'urgence de 3,5 millions d'euros pour l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), à l'heure où d'autres Etats suspendaient leur financement. L'UNWRA, "colonne vertébrale" de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza, d'après l'ONU, était accusée d'avoir des employés impliqués dans les attentats du 7 octobre. Madrid a ensuite annoncé une nouvelle aide, de 20 millions d'euros, pour l'agence onusienne.
Des intérêts politiques
En parallèle, Pedro Sánchez "pousse les autres leaders de l'UE à reconnaître l'Etat palestinien", analyse la politologue Maria Elisa Alonso, enseignante-chercheuse à l'université de Lorraine. Ces derniers mois, le Premier ministre espagnol a défendu cette reconnaissance lors de plusieurs déplacements à l'étranger, notamment au sein de l'Union européenne, pointe Libération.
Comment comprendre ce soutien appuyé de la cause ? Pour Maria Elisa Alonso, Pedro Sánchez cherche "à se montrer comme un leader international, à mettre l'Espagne sur le devant de la scène internationale" avec ces discours. L'objectif est aussi politique, à l'approche des élections européennes.
"Il y a effectivement un enjeu de politique intérieure. C'est un sujet qui mobilise la jeunesse en Espagne."
Antoine de Laporte, spécialiste de la vie politique espagnoleà franceinfo
Et comme le sujet est avant tout porté par la gauche radicale, poursuit l'expert de la Fondation Jean-Jaurès, "il y a un enjeu, pour les autres partis de gauche, à ne pas laisser la question accaparée par une seule force politique". Surtout dans un contexte de coalition de gauche au pouvoir.
La position du gouvernement de Pedro Sanchez est aussi l'illustration d'un soutien qui traverse la société espagnole. Selon un sondage, 78% des personnes interrogées sont favorables à la reconnaissance de l'Etat de Palestine par les pays européens et 60% d'entre elles approuvent aussi une solution à deux Etats.
Un héritage du franquisme
L'histoire contemporaine explique aussi cette défense d'un Etat palestinien. Soutien de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste dans les années 1940, l'Espagne franquiste est sortie isolée sur la scène internationale de la Seconde Guerre mondiale. Pour rejoindre le concert des nations, Madrid opte alors pour une "politique de substitution", explique l'historienne Rosa Maria Pardo Sanz dans un article consacré à la politique extérieure espagnole. Le régime franquiste se tourne alors vers de nouveaux partenaires en Amérique latine et au Moyen-Orient et resserre "ses liens diplomatiques privilégiés avec les Etats arabes", précise Antoine de Laporte.
Marqué par "l'antisémitisme", le régime de Franco ne reconnaît pas l'Etat hébreu. Israël est présenté par la dictature "comme un allié des communistes et des francs-maçons". Les relations diplomatiques entre Tel-Aviv et Madrid sont inexistantes. "Cet héritage contraint à retarder la reconnaissance de l'Etat d'Israël jusqu'en 1986", rappelle Rosa Maria Pardo Sanz. Mais la mort du dictateur en 1975, et le retour de la démocratie "n'ont pas remis en cause cette politique", poursuit Antoine de Laporte.
En 1979, Adolfo Suárez, premier président du gouvernement lors de la transition, reçoit ainsi Yasser Arafat, le chef de l'Organisation de libération de la Palestine, à Madrid. Il autorise l'ouverture d'une représentation diplomatique palestinienne en Espagne.
"Depuis la période de la transition démocratique, l'Espagne a apporté un soutien politique et social à la cause palestinienne."
Maria Elisa Alonso, politologueà franceinfo
L'établissement de liens officiels entre Tel-Aviv et Madrid, en 1986, n'a pas infléchi la position espagnole. Dans une lettre aux ambassadeurs des pays arabes, le président socialiste du gouvernement espagnol de l'époque, Felipe González, assurait que "l'Espagne maintiendra son rejet de l'occupation de territoires par la force et la défense des aspirations légitimes du peuple palestinien, y compris le droit à l'autodétermination".
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