Prix Nobel de médecine 2024 : la découverte des microARN va aider à "contrôler l'expression des gènes dans certaines maladies", explique un chercheur

L'Assemblée Nobel, qui remet ce prix, a récompensé lundi deux chercheurs américains pour leurs travaux sur les microARN et leur rôle dans l'expression génétique de nos cellules.
Article rédigé par Florence Morel
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Olle Kaempe, membre de l'Assemblée Nobel, détaille les recherches des deux lauréats du Nobel de médecine à Stockholm (Suède), le 7 octobre 2024. (JONATHAN NACKSTRAND / AFP)

Ils sont "d'une importance fondamentale pour le développement et le fonctionnement des organismes." Les microARN et leur rôle dans l'expression génétique de nos cellules sont au cœur des travaux pour lesquels les chercheurs américains Victor Ambros et Gary Ruvkun se sont vu décerner le prix Nobel de médecine, lundi 7 octobre. "Un dérèglement de la régulation des gènes peut entraîner des maladies graves telles que le cancer, le diabète ou l'auto-immunité, explique le comité Nobel dans son communiqué. C'est pourquoi la compréhension de la régulation de l'activité des gènes est un objectif important depuis plusieurs décennies."

L'Assemblée Nobel de l'Institut Karolinska, qui désigne le lauréat du prix de médecine sous l'égide du célèbre comité suédois, a ainsi récompensé pour la deuxième année consécutive des travaux concernant l'ARN. En 2023, elle avait consacré les avancées de la chercheuse hongroise Katalin Kariko et de son collègue américain Drew Weissman dans le développement de vaccins à ARN messager, décisifs dans la lutte contre le Covid-19. Pour mieux comprendre ce que sont les microARN et en quoi leur découverte a bouleversé la science, franceinfo a interrogé Vincent Prévot, directeur de recherche à l'Inserm.

Franceinfo : Que sont les microARN, au cœur des travaux récompensés par le prix Nobel 2024 ?

Vincent Prévot : Les microARN sont des séquences d'ARN qui, contrairement à d'autres populations d'ARN (tels les ARN messagers), ne vont pas être traduites en protéine dans la cellule. Ce sont des tout petits fragments d'ARN qui vont se lier sur les ARN messagers pour en contrôler l'expression.

Pour schématiser, disons que l'ADN est une sorte de livre et que l'ARN est une phrase que vous devez recopier à la main, qui sera ensuite traduite en une protéine. Ces protéines sont les molécules qui vont permettre les réactions chimiques et à la cellule de produire ce qu'elle doit produire. Si on compare une cellule à une usine, les protéines sont les ouvriers qui vont lui permettre de produire ce qu'elle doit produire. Dans ce processus, les microARN, eux, sont là pour réguler la naissance des ouvriers.

En quoi la découverte des microARN est-elle importante pour la science ?

Cette découverte a permis d'importantes innovations technologiques, en donnant la possibilité aux chercheurs de manipuler l'expression des gènes, mais aussi de générer de nouvelles thérapies géniques, visant à contrôler l'expression des gènes dans certaines maladies. Ces microARN sont également de plus en plus utilisés en tant que biomarqueurs, dont la mesure dans les fluides biologiques tels que le sang constitue un indicateur de la présence ou non d'une pathologie, ou de sa gravité. Ils peuvent aussi aider à déterminer son pronostic.

C'est le cas d'un test salivaire jugé prometteur par la Haute Autorité de santé qui permet de détecter si une patiente est atteinte d'endométriose...

Dans le cas de l'endométriose, c'est intéressant, car il en existe plusieurs types, et elle engendre dans certains cas une infertilité. La présence de certains microARN va permettre d'identifier la présence ou non d'endométriose, sa gravité ou le risque pour la patiente d'avoir des douleurs au cours d'une crise.

On peut utiliser ces microARN pour plein de choses ! Beaucoup de chercheurs essayent de voir s'ils ne peuvent pas être utilisés pour détecter différentes formes d'obésité ou de maladies métaboliques. Les microARN sont aussi très étudiés dans les maladies neurodégénératives telles que la maladie d'Alzheimer.

Déjà en 2023, le prix Nobel de médecine avait récompensé les chercheurs Katalin Kariko et Drew Weissman pour le développement de vaccins à ARN messager, décisifs dans la lutte contre le Covid-19. Comment expliquer que les travaux concernant les ARN soient particulièrement récompensés ?

Les ARN sont des molécules très intéressantes pour manipuler l'expression des gènes de nos cellules. Au départ, nous avons mis beaucoup d'espoir dans l'ADN et nous pensions soigner toutes les maladies grâce au séquençage de notre génome. Mais au fil du temps, nous nous sommes aperçu qu'en fait, le séquençage des gènes n'est pas vraiment ce qui différencie les êtres humains entre eux, ni même les espèces entre elles (sachant que l'ADN du chimpanzé est à 98% similaire au nôtre).

On s'est donc dit qu'il y avait quelque chose d'autre qui devait nous différencier, comme les différentes sortes d’ARN, et notamment les microARN. Chaque microARN lie 100 ARN messagers, et chaque ARN messager est la cible de 100 microARN. En élargissant la combinaison des possibles, à travers ce réseau qu'ils forment avec les ARN messagers, les microARN permettent d'augmenter de manière exponentielle la finesse du contrôle de l'expression de nos gènes.

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