Arabie saoudite : une stratégie de communication offensive pour redorer l'image du royaume
La guerre au Yémen et l’affaire Khashoggi ont sérieusement endommagé l’image de l’Arabie saoudite. Pour essayer de la redresser, le royaume a mis sur pied une redoutable stratégie de communication, avec le soutien d’entreprises, mais aussi de certains élus français.
Pour tenter de reconquérir une partie de l’opinion, l’Arabie saoudite mise d’abord sur le patrimoine et la culture. Elle a pour cela une botte secrète : un gigantesque site touristique autour des nécropoles préislamiques mises au jour au nord-ouest du pays, Al-Ula. Un projet à plus de 50 milliards de dollars.
C’est un site de 22 000 km², qui rappelle, en bien plus grand, celui de Petra en Jordanie. Le pays souhaite y attirer deux millions de visiteurs par an d’ici dix ans, dont de nombreux étrangers. Pour cela, l’Arabie saoudite commence à communiquer : une exposition, "Al-Ula, merveille d'Arabie", est déjà visible à l’Institut du monde arabe (Paris) jusqu’en janvier 2020. Pour que ces lieux soient réellement attractifs, de nombreux aménagements sont nécessaires, dont des hôtels (l'architecte Jean Nouvel en construira un à l’intérieur même de la montagne), des musées, des piscines, un train touristique. Pour piloter le projet, une équipe française, présidée par Gérard Mestrallet, ex-PDG d’Engie, a été mise en place. Riyad envisage également de créer une réserve à ciel ouvert, en réintroduisant des espèces animales disparues, comme le léopard d'Arabie. Pour promouvoir cette idée, des élites culturelles françaises sont déjà courtisées. L’acteur Vincent Cassel, le violoniste Renaud Capuçon ou le DJ David Guetta ont été invités sur place. Les agences de communication Havas, Image7 et Publicis vont aussi travailler à la promotion du site.
Des doutes sur la faisabilité
Le 14 septembre 2019, un grain de sable est cependant venu gripper la machine Al-Ula. Ce jour-là, une attaque de drones et de missiles fait partir en fumée deux usines d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne. L’incident a retardé l’introduction en bourse de 5 % du capital. Or, le Prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, a besoin de cet argent pour financer ses grands projets. A cela s’ajoute la volatilité des cours en bourse ces derniers mois. "Avec un baril de pétrole à 60 dollars, l’Arabie saoudite n’a plus les moyens de financer ses projets, analyse Bruno Delamotte, expert du cabinet LB consulting. Le prince a donc besoin des quelques dizaines de milliards de dollars que représenterait l'introduction en bourse d'une partie d’Aramco. Il le dit lui-même : s'il n’obtient pas cela, Al-Ula mettra peut-être 40 ou 50 ans de plus à se faire."
Le processus de privatisation partielle a été relancé au mois de septembre 2019. Mais des doutes sur la faisabilité du projet persistent d’autant plus qu’en parallèle, le royaume a lancé un projet de ville connectée au bord de la mer Rouge qui pourrait coûter 500 milliards de dollars. "Le problème des relations d'affaires avec l'Arabie saoudite, c'est que les promesses de contrats, en général, n'engagent que ceux qui les reçoivent, prévient Georges Malbrunot, journaliste au Figaro. L'histoire est peuplée de promesses qui n'ont pas été tenues. La dernière en date, c'était la pseudo promesse faite par Salmane à la France d'investir 50 milliards de dollars dans l'économie française. Ces 50 milliards de dollars, on les attend toujours."
Un Léonard de Vinci qui n’en serait pas un
Après le Louvre à Abou Dabi (Émirats arabes unis), l’Arabie saoudite veut, elle aussi, briller en se dotant de tableaux de maîtres. En 2017, selon la presse américaine, le prince Salmane aurait fait acheter aux enchères par un proche chez Christie's, le Salvator Mundi, une toile attribuée à Léonard de Vinci, pour 450 millions de dollars (un record mondial). “La possession d'une œuvre d'art exceptionnelle, c'est un prestige absolu, c'était totalement inespéré”, explique Jacques Frank, spécialiste de de Vinci. Problème cependant, ce tableau n'aurait pas été peint, selon Jacques Frank, par l’auteur de la Joconde mais par un de ses élèves. Il y a donc doute sur l'authenticité et la valeur de l'œuvre.
"On m’a promis la peine de mort”
L’autre axe de cette stratégie de communication, c’est la maîtrise de la parole. Le 29 septembre 2019, sur la chaîne américaine CBS, le prince Salmane fait acte de contrition : “J’assume l’erreur du crime d’Istanbul que je n’ai pas ordonné.” [NDR : l’assassinat du journaliste dissident Jamal Kashoggi, au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en octobre 2018]
Ces éléments de langages très travaillés s’accompagnent d’une batterie de messages de propagande sur les réseaux sociaux. “Ils ont déployé tout un système d'influence à travers des trolls et des bots [robots, NDR], particulièrement sur Twitter, constate Quentin de Pimodan, conseiller international à l'institut de recherche RIEAS. Ils essayent de placer Mohammed ben Salmane au centre de tout, pour montrer que c'est lui qui régule et décide de tout.” Mais Twitter ne fait pas que vanter les mérites du royaume. Il sert aussi à étouffer toute contestation. Ludovic Leroy, un spécialiste du pétrole qui se rend régulièrement en Arabie saoudite, en a fait l’expérience. Il a mis en doute sur le réseau social la parole officielle saoudienne après les attaques de drones du 14 septembre 2019. “Je me suis retrouvé avec une nuée de personnes qui me menaçaient en arabe et en anglais, raconte-t-il. On m’a promis la peine de mort. C’est clairement de l’intimidation, avec une simultanéité des attaques.” Supporters du prince héritier ou trolls payés par le royaume, l’origine de ces attaques reste cependant mystérieuse.
Le Dakar en Arabie saoudite pour cinq ans
Outre la publicité à l’ancienne, qui permet de vanter les mérites du royaume, l'Arabie saoudite mise aussi sur l’organisation d’événements internationaux qui attirent du public tout en détournant les yeux des sujets qui fâchent. En janvier 2020, 170 motos et 120 voitures s’élanceront depuis Jeddah pour le Rallye Dakar nouvelle version.
Une opération prévue pour les cinq prochaines années, qui permet d’assurer la promotion du pays. “L'Arabie saoudite ne fait pas ça simplement pour des raisons économiques, mais pour se donner une bonne image”, estime le spécialiste de RFI, Olivier Da Lage.
Les cautions morales du royaume
Outre ces événements, le royaume s’adjoint les services de cautions morales, politiques, économiques ou médiatiques. Des personnes qui ne sont pas là pour faire la propagande du pays à proprement parler, mais qui contribuent à donner au royaume une forme de respectabilité. On trouve ainsi dans l’entourage du prince un certain nombre de Français renommés, tel Jacques Attali. “C'est une manière de s'acheter un carnet de relations, analyse Pierre Conesa, spécialiste des relations internationales et stratégiques. Ces personnalités parisiennes sont, disons, des collaborateurs positifs.” Le pays invite aussi régulièrement des parlementaires français pour leur faire implicitement passer des messages.
C’est ce qu’a constaté Fabien Gouttefarde, député LREM de l’Eure. A l’occasion d’un de ces voyages, il a été autorisé à visiter le centre de commandement militaire de la coalition à Riyad, où se prennent les décisions opérationnelles de la guerre entre l’Arabie saoudite et le Yémen. “Ils nous ont montré sur un écran des zones qui sont, soi-disant, sauvegardées et sanctuarisées, comme les hôpitaux et les écoles, raconte le député. Le problème, c'est que tout ça, quelques mois après, a été contredit par des frappes sur des bus scolaires notamment.” En 2016, le Sénat avait de son côté, organisé dans ses locaux un colloque intitulé "Les nouveaux visages de l’Arabie saoudite”, auquel participaient de nombreux hauts dignitaires saoudiens, dont un général qui sera impliqué plus tard dans l’assassinat de Jamal Khashoggi.
À l'origine de ce colloque, on retrouve le groupe interparlementaire d'amitié France-pays du Golfe. Mais, communication ou pas, en dépit d’un contexte tendu, les relations entre les deux pays, ne sont pas près d’être rompues, car chacun y trouve son compte. “Sur le plan sécuritaire, militaire et économique, l’Arabie saoudite et la France sont trop imbriquées, analyse le chercheur Stéphane Lacroix. Il serait trop coûteux pour la France de s'en éloigner, il y a trop à gagner à rester dans le confort de cette relation.”
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