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Le prince héritier saoudien reçu par Emmanuel Macron : l'avocat de l'association Sherpa dénonce "l'hyper cynisme" du chef de l'État

Le prince héritier saoudien est accusé de "complicité de torture et de disparition forcée" du journaliste assassiné en 2018 à Istanbul. L'avocat de l’ONG Sherpa dénonce la réception à l'Élysée de Mohammed ben Salmane, prévue ce jeudi 28 juillet.

Article rédigé par franceinfo
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Mohammed ben Salmane recevant Emmanuel Macron à Djeddah (Arabie Saoudite), le 4 décembre 2021.  (BANDAR AL-JALOUD / SAUDI ROYAL PALACE)

Emmanuel Macron reçoit ce jeudi 28 juillet à l'Élysée, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS). Un dîner, quatre ans après l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018 dans le consulat saoudien à Istanbul, en Turquie. Le prince héritier saoudien est accusé de complicité de torture et de disparition forcée en lien avec l'assassinat du journaliste  L'avocat de l'association Sherpa, William Bourdon, dénonce ce jeudi 28 juillet sur franceinfo "l'hyper cynisme" d'Emmanuel Macron.

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franceinfo : Accueillir le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, est-ce que c'est du pragmatisme ou de la complaisance, voire du cynisme, de la part d'Emmanuel Macron ?

William BourdonJ'y vois de l'hyper cynisme. Il y a une tradition manifeste de la France en faveur des droits de l'Homme, le souci d'être exemplaire dans l'universalité de la défense des droits humains, une éthique intransigeante dès lors que les droits fondamentaux ont été violés. 

Cette tradition [de la France] en faveur des droits de l'Homme, aujourd'hui, est en lambeaux, en miettes.

William Bourdon, avocat de l'association Sherpa

franceinfo

Avec Emmanuel Macron, tout s'accélère. Après la visite du général Abdel Fattah al-Sissi, président de l'Egypte, cette complaisance se dévoie en cynisme, compte tenu de la réprobation unanime face à un des crimes les plus barbares, un crime politique, orchestré, prémédité, le guet-apens dans lequel est tombé Jamal Khashoggi. La conséquence de cette morale minimale, c'est de constater que l'obligation de la France d'intercepter les suspects des crimes les plus graves, qui est inscrite dans le marbre de notre loi nationale, est aujourd'hui en lambeaux.

Deux ONG, dont celle qu'avait fondée Jamal Khashoggi, viennent de déposer plainte à Paris contre Mohammed ben Salmane. Est-ce que vous pourriez vous y associer?

Oui, évidemment que l'on pourrait s'y associer, comme d'autres ONG. Il y a consensus absolu pour considérer que ce dauphin ne bénéficie d'aucune immunité, contrairement à un chef d'État en exercice. C'est ce qui devrait rendre recevable cette plainte immédiatement. J'ai été un des initiateurs, il y a 30 ans, de la mise en œuvre de la compétence universelle, avec l'arrestation de l'abbé Wenceslas Munyeshyaka après le génocide au Rwanda et je constate le délitement des obligations de la France. Ce délitement est aujourd'hui très spectaculaire. Il y a une documentation qui converge en direction de MBS pour dire qu'il est le chef d'orchestre, le donneur d'ordres de ce crime barbare. La loi de l'impunité est en train de gagner sur la loi que les ONG ont essayé vainement d'inscrire, c'est-à-dire de rendre redevables les plus puissants au moment où ils veulent rester le plus longtemps irresponsables.

L'argument de l'exécutif, c'est de dire qu'il faut continuer le dialogue avec l'Arabie saoudite à cause des enjeux énergétiques. Entendez-vous cet argument ?

Il ne faut pas être naïf. Moi, je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que la France devrait se couper de toute relation économique, diplomatique, avec des partenaires qui sont essentiels, stratégiques. Évidemment la réponse doit être plus nuancée. Ce n'est pas blanc ou noir. Mais les relations diplomatiques et économiques n'exigeaient pas de recevoir MBS dans ces conditions-là.

"Face à un homme qui a autant de sang sur les mains, et quand ce sang est tellement documenté, autant de célébration, autant de scénarisation avec cette visite en grande pompe, il y a quelque chose qui est totalement révulsant"

William Bourdon, avocat de l'association Sherpa

franceinfo

Pourtant, Emmanuel Macron dénonce les atteintes aux droits de l'Homme commises en Ukraine par la Russie. Estimez-vous qu'il y a un deux poids deux mesures ?

Ça, c'est la suprême hypocrisie. Les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité sous nos yeux tous les jours en Ukraine sont dénoncés à juste titre par les grands dirigeants internationaux, par Emmanuel Macron et par d'autres. On salue l'enquête très rapide diligenté par Karim Khan, le nouveau procureur de la Cour pénale internationale. Mais au fond, on a le sentiment que cette dénonciation des crimes abjects commis par l'armée russe est une opération de blanchiment pour mieux faire écran à cet hyper cynisme d'Emmanuel Macron.

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