Cessez-le-feu au Liban : "Cette trêve ne durera pas éternellement", estime le général Dominique Trinquand

Un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah est entré en vigueur mercredi matin au Liban, après plus d'un an d'hostilités transfrontalières et deux mois de guerre ouverte entre l'armée israélienne et le mouvement libanais armé soutenu par l'Iran.
Article rédigé par franceinfo
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Des bâtiments détruits dans le village de Meiss El-Jabal, dans le sud du Liban, le 25 novembre 2024. (JALAA MAREY / AFP)

La trêve a débuté dans la matinée. Le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah est entrée en vigueur mercredi 27 novembre, à 4 heures du matin (3 heures, heure de Paris) au Liban. Cette trêve doit interrompre une guerre de plus d'un an, débuté au lendemain du 7-Octobre, entre le mouvement pro-iranien et l'Etat hébreu. Ce conflit a contraint des dizaines de milliers de personnes en Israël et des centaines de milliers d'autres au Liban à fuir leur domicile.

Pour le général Dominique Trinquand, l'auteur du livre D’un monde à l’autre aux éditions Robert Laffont, "l'exécution de ce cessez-le-feu va être compliquée" mais "c'est une bonne nouvelle parce qu'il faut absolument arrêter cette guerre". "À moins que l'Iran décide de baisser les bras, c'est une trêve qui ne durera pas éternellement", estime l'ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU à New York.

franceinfo : Comment va se mettre en œuvre ce cessez-le-feu sur le terrain ?

Général Dominique Trinquand : Le diable est dans les détails. L'exécution de ce cessez-le-feu va être effectivement compliquée. Ça ressemble étrangement à la résolution 1701 de 2006, dans laquelle déjà le Hezbollah devait se retirer au nord du [fleuve] Litani et l'armée libanaise se déployer au sud avec l'aide de la Finul. Depuis 2006, l'armée libanaise s'est déployée très petitement et le Hezbollah ne s'est jamais replié au nord du Litani. Il s'agit donc tout bêtement d'appliquer la résolution 1701.

"Contrairement à ce qui s'est passé en 2006, où Israël se retirait, mais devait respecter impérativement le cessez-le-feu, aujourd'hui Benyamin Netanyahou explique qu'il a liberté d'action si le Hezbollah ne respecte pas la trève."

Dominique Trinquand

à franceinfo

C'est une bonne nouvelle parce qu'il faut absolument arrêter cette guerre. On savait depuis le départ que malgré les succès importants israéliens, en particulier lorsqu'ils ont décapité le Hezbollah, et tué son chef Nasrallah, ceux sur le terrain sont beaucoup moins brillants. Certes, les villages ont été rasés juste au nord de la frontière israélienne, ce qui fera une espèce de zone tampon. Mais le Hezbollah a continué à tirer des missiles, à tuer quasiment 150 soldats israéliens et a détruit beaucoup de matériel. On va voir comment l'application de cette trêve peut avoir lieu.

Il y a beaucoup de conditions pour maintenir ce cessez-le-feu ?

Oui. Je me réfère toujours à 2006 parce qu'il se trouve que j'ai été envoyé à New York à ce moment-là pour m'en occuper. À l'époque, les Israéliens avaient demandé comme garantie de déployer un fort contingent européen. La Finul était à 2 000 hommes et avait été portée à 14 000 hommes, avec en particulier un contingent italien, espagnol et français très important et des moyens lourds. On avait déployé des chars Leclerc, de l'artillerie et des radars qui sont toujours en place. Aujourd'hui, il semblerait que la garantie a davantage basculé vers les Etats-Unis. Ceci étant, les États-Unis ne déploieront pas de soldats. Donc l'application du cessez-le-feu, son respect par le Hezbollah et les garanties données à Israël seront extrêmement importants.

Pourquoi Israël accepte finalement ce cessez-le-feu ?

Les succès ne sont pas là. Le Hezbollah continue à agir, l'armée israélienne est fatiguée. Il semblerait qu'il y ait des réservistes qui ne rejoignent plus leur poste. La guerre sur de nombreux fronts dure depuis longtemps. L'économie israélienne, en particulier, en souffre énormément et tous ces réservistes sont des citoyens qui normalement ont du travail dans le civil. Il était prévisible que l'objectif militaire ne serait pas atteint. Maintenant, peut-être qu'aussi Israël considère que le Hezbollah est suffisamment affaibli pour accepter. Mais pour moi, à moins que l'Iran décide de baisser les bras, c'est une trêve qui ne durera pas éternellement.

Est-ce qu'Israël a sous-estimé les capacités militaires du Hezbollah ?

Oui, je pense mais c'est un peu le même cas à Gaza où il y a toujours des attaques. C’est-à-dire que le problème stratégique qui préside à tout cela, c'est l'absence de perspective de paix. Or, la perspective de paix dans cette région concerne la coexistence pacifique entre Palestine et Israël. Mais Benyamin Netanyahou ne veut pas entendre parler de la Palestine, donc il ne donne pas une perspective stratégique. 

"Sans cette perspective, les frictions continueront, à des degrés moindres suivant le temps et les lieux, mais elles continueront."

Dominique Trinquand

à franceinfo

Quel rôle peut jouer l'armée libanaise ? Surtout dans quel état est-elle ?

L'armée libanaise est totalement soutenue par les Etats-Unis et la France. C'est l'épine dorsale de l'État libanais qui est en déliquescence. Il semblerait qu'il y ait déjà un bataillon qui soit prêt à se déployer. Le problème de l'armée libanaise, c'est qu'elle aurait dû faire ça depuis 2006. Or, elle a une forte composante chiite, donc proche du Hezbollah. Elle n'avait pas vraiment la volonté de se déployer. Cela dépendra de la volonté conjuguée de l'armée libanaise, du Hezbollah d'aller au nord du Litani et de la Finul qui a 10 000 soldats présents pouvant être utilisés tout de suite. On va voir si ces trois volontés conjuguées permettront de réaliser ce qui n'a pas été fait en 2006.

Selon vous, est-ce que ce cessez-le-feu a une chance de durer ?

Il y a deux chances pour qu'il réussisse. Le premier, c'est que le Hezbollah soit suffisamment amoindri pour qu'il soit obligé de se retirer au nord du Litani et d'arrêter temporairement ses attaques. La deuxième, c'est que l'État libanais saisisse cette occasion pour reprendre une prépondérance sur le Hezbollah, en profitant en particulier des critiques qui sont faites par les chiites qui trouvent que la milice les a entraîné dans une guerre difficile dans laquelle ils ont été soutenus du bout des lèvres par l'Iran, et donc essayer de revenir à un rapport de force au sein de l'État libanais, plus en faveur d'un facteur de paix et de négociation.

Quel est l'intérêt pour le Hezbollah d'accepter de son côté ce cessez-le-feu ?

À mon avis, le seul intérêt pour le Hezbollah, c'est de souffler et de se réorganiser. Mais je le répète, s'il est suffisamment amoindri, il faut en profiter pour que l'outil politique du Hezbollah retrouve une place plus équilibrée au sein de l'Etat libanais.

Selon vous, quel a été le rôle et qu'ont mis dans la balance les États-Unis, et la France visiblement, pour que Benyamin Netanyahou accepte ce cessez-le-feu ? 

Je pense que les Etats-Unis ont mis dans la balance l'approvisionnement en armement. Benyamin Netanyahou l'a souligné, en particulier dans la perspective d'une confrontation éventuelle avec l'Iran. Pour la France, je pense que c'est le Liban qui a exigé que la France en fasse partie. Il faut rappeler qu'il y a trois facteurs majeurs là-dedans. Le premier, c'est qu'à l'ONU, la résolution 1701 a été rédigée par la France et donc elle pourrait prendre la suite pour éventuellement proposer une solution qui renforcerait la résolution. Le deuxième sujet, c'est qu'on a des soldats français présents dans la Finul. Le troisième, ce sont les relations, évidemment, presque sentimentales entre la France et le Liban. Le Liban sait que la France ne le laissera pas tomber et il compte bien sûr sur le fait que la France sera toujours présente sur ce dossier.

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