Explosion des actes antireligieux : on vous explique pourquoi il faut prendre les chiffres de Gérald Darmanin avec des pincettes
Le conflit israélo-palestinien a des conséquences en France. Les attaques terroristes menées par le Hamas et la réplique militaire d'Israël ont donné lieu à une multiplication des actes antireligieux sur notre territoire depuis le 7 octobre, selon Gérald Darmanin. "Il y a eu 1 518 actes ou propos antisémites" depuis le début de la guerre, a ainsi lancé le ministre de l'Intérieur sur Europe 1, le 14 novembre.
Après les propos sur RMC d'un imam de la Grande mosquée de Paris, Abdelali Mamoun, qui s'est depuis excusé, demandant à ce que ces actes antisémites soient "dévoilés", Gérald Darmanin a publié le même jour sur le réseau social X le chiffre des actes antireligieux relatifs aux trois grands monothéismes. Depuis le début de l'année, le ministère de l'Intérieur a ainsi eu connaissance de "1 762 faits antisémites", "564 faits antichrétiens" et "131 faits antimusulmans".
Un décompte à relativiser
Au regard de ces chiffres, Gérald Darmanin évoque dans Ouest-France une "vague d'antisémitisme" depuis le 7 octobre. Le nombre d'actes antisémites enregistrés jusqu'en novembre 2023 est en effet plus de trois fois supérieur aux 436 actes enregistrés sur toute l'année 2022. Malgré "des actes antimusulmans supplémentaires" depuis le début du conflit, selon le ministre sur Europe 1, le nombre total de ces actes est pour l'instant en recul de 30% sur l'année 2023 par rapport à l'ensemble de l'année 2022.
Le nombre de faits antichrétiens affiche de son côté une baisse de 39%, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Pour autant, Gérald Darmanin rappelle dans les colonnes de Ouest-France qu'"il y a une montée des actes antireligieux en France depuis plusieurs années". En dépit d'inversion de courbes fréquentes selon les années, tous les actes antireligieux sont en hausse par rapport au début des années 2010, d'après la Place Beauvau.
Pourtant, le cabinet de Gérald Darmanin invite à relativiser ces données. Il s'agit de "remontées du terrain" provenant des "services de police et de gendarmerie et des préfectures", et non de statistiques consolidées. Ces chiffres, qui n'ont pas vocation à être exhaustifs, doivent surtout permettre au ministère d'affiner "une stratégie de déploiement des forces de l'ordre" en fonction de la menace existante à l'encontre de ces communautés.
Des chiffres sous-évalués
Des chiffres plus complets seront diffusés par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) dans un rapport publié en mars 2024, rappelle l'équipe du ministre. Ce document annuel fait le décompte des contraventions, délits et crimes à caractère raciste constatés par la police et la gendarmerie l'année précédente.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) appelle elle aussi à prendre ce type de données avec des pincettes, dans son dernier rapport annuel (PDF) sur les faits racistes, antisémites et xénophobes paru en septembre 2023. Les remontées en temps réel au ministère par les renseignements territoriaux ont l'avantage de "distinguer les faits de caractère antisémite, de caractère antimusulman ou les faits racistes d'un autre caractère" – ce que ne fait pas le rapport du SSMSI.
Mais la mission de ces remontées de terrain "n'est pas de comptabiliser l'ensemble des actes racistes", relève la CNCDH. De fait, les remontées des renseignements territoriaux, tels que les chiffres donnés par Gérald Darmanin mi-novembre, étaient en 2022 "quatre fois moins élevés" que les faits recensés par le service statistique du ministère de l'Intérieur.
Davantage de faits racistes
Ce décompte est lui-même non exhaustif, rappelle la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Il existe des "limites intrinsèques aux méthodes actuelles de collecte de données sur le racisme en France", souligne cette dernière, les données collectées "se fondant exclusivement sur les signalements effectués", notamment auprès des forces de l'ordre et de la justice.
Il existe donc un problème de "sous-déclaration massive des actes racistes auprès des autorités", créant un "chiffre noir", c'est-à-dire un ensemble d'"actes délictueux qui échappent totalement au radar de la justice". En clair : les remontées de terrain avancées par le ministère de l'Intérieur ne permettent pas de faire émerger autant d'actes que la remontée statistique... qui elle-même reste sous-évaluée.
Par ailleurs, les chiffres avancés par Gérald Darmanin ne concernent que les faits antireligieux. Or, les renseignements territoriaux font également remonter au ministère des chiffres relatifs aux faits racistes et xénophobes non-religieux, en précisant s'il s'agit d'actes à l'encontre de personnes perçues comme arabes, noires, asiatiques, roms, etc.
Ainsi, la violente attaque raciste d'un jardinier qui travaillait à Villecresnes (Val-de-Marne), relayée par la presse fin novembre, n'est pas inclue dans le décompte donné par Gérald Darmanin. Ces dernières années, les faits antiarabes recensés par les renseignements territoriaux étaient même plus nombreux que les faits antimusulmans.
Des données incomplètes
Interrogé par franceinfo, le cabinet du ministre n'a pas souhaité communiquer le chiffre des faits racistes non-religieux, notamment à l'encontre des personnes arabes, commis depuis le 7 octobre, ou le début de l'année 2023.
"Nous avons parlé uniquement des faits en lien avec le religieux car les violences contre les lieux confessionnels et les personnes, au titre de leur religion, constituaient le point chaud [des remontées de terrain]."
Le ministère de l'Intérieurà franceinfo
Bien qu'incomplets, que disent ces chiffres des violences qui s'exercent à l'égard des différentes communautés religieuses ? Dans son message sur X du 14 novembre, Gérald Darmanin a précisé que la moitié (50%) des faits antisémites relevés depuis début 2023 concernait "des tags, des affiches ou des banderoles (parmi lesquels des 'morts aux juifs', des croix gammées, etc.)". Un peu moins d'un quart (22%) étaient des "menaces et insultes", 10% des faits relevant de "l'apologie du terrorisme", 8% des "atteintes aux biens", 2% des "coups et blessures" et 2% des "atteintes aux lieux communautaires".
Concernant les faits antimusulmans, le ministre de l'Intérieur a évoqué sur Europe 1 des "mosquées qui reçoivent des lettres de menaces de mort, des menaces d'attentat, de très nombreux propos anti-islam, y compris sur les plateaux de télévision", sans indiquer la proportion relative à ces faits. Enfin, il n'a pas donné de précisions sur les actes antichrétiens.
Les faits antichrétiens à nuancer
Dans son rapport sur les faits commis en 2022, la CNCDH écrivait néanmoins que, bien que les faits antichrétiens aient "sensiblement augmenté de 2021 à 2022", "très peu de faits antichrétiens [étaient] véritablement attentatoires à la religion". "Il s'agit essentiellement de petite délinquance, tels des larcins dans les édifices religieux, voire de comportements de déséquilibrés, notamment dans les cimetières", ajoutait le document.
L'immense majorité des faits antichrétiens (93%) étaient, en 2022 encore, des "atteintes aux lieux de culte et cimetières", et non des atteintes aux personnes. A l'inverse, la CNCDH constatait en 2022, que plus de la moitié (53%) des faits antisémites et plus d'un tiers (38%) des faits antimusulmans concernaient des "atteintes aux personnes".
Cette différence a même poussé la CNCDH à exclure les faits antichrétiens de la présentation de l'ensemble des faits xénophobes, racistes et antisémites, estimant qu'ils étaient d'une nature trop différente à celle des faits visant les communautés juives, musulmanes, ainsi que les autres populations victimes de racisme.
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