Grand entretien Guerre au Proche-Orient : "Nous avons une divergence de point de vue avec Israël", assure la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna

Article rédigé par Franck Mathevon
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
La ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna en visite au Proche-Orient, le 18 décembre 2023. (ANWAR AMRO / AFP)
Deux mois et demi après le début de la guerre entre le Hamas et Israël, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna souligne sur franceinfo, la divergence de point de vue entre la France et Israël.

"Nous avons une divergence de point de vue avec Israël dans la façon dont le pays exerce son droit à se défendre", assure mardi 19 décembre, auprès de franceinfo la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, près de deux mois et demi après le début des bombardements israéliens sur la bande de Gaza en représailles aux attaques terroristes du Hamas le 7 octobre. La ministre annonce par ailleurs "tripler dans les dix jours" le volume de l'aide française à Gaza.

Franceinfo : On approche du seuil de 20 000 morts à Gaza. Un agent palestinien de votre ministère a trouvé la mort ce week-end. Trois otages ont été tués, victimes de tirs de l’armée israélienne. Il reste plus de 120 otages à Gaza, dont, sans doute, trois Français. Est-il temps de stopper les opérations militaires israéliennes ?

Catherine Colonna : La situation militaire à Gaza est terrible, personne ne peut le nier. Même si nous avons une façon de recenser le nombre de morts qui est parfois discutée, il est certain que les civils palestiniens, qui ne sont pour rien dans les crimes commis par le Hamas le 7 octobre, souffrent, manquent de tout, qu'il faut les aider et les aider davantage. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous demandons un effort particulier, de façon à ce qu'une pause réelle, durable, soutenable, puisse intervenir sans délai, pour permettre de mieux secourir les civils, leur apporter davantage d'aide humanitaire, pour permettre aussi la libération des otages qui reste, pour nous, la première priorité. Malheureusement, cela n'a pas été le cas jusqu'ici. Une trêve est nécessaire. Je rappelle en effet que trois Français sont disparus à la suite des attaques terroristes du 7 octobre.

Vous l’avez constaté avant-hier sur place, le gouvernement israélien ne veut pas stopper ses opérations militaires et veut détruire le Hamas. N'est-ce pas un dialogue de sourds ?

Nous comprenons la nécessité dans laquelle se trouve Israël de faire en sorte que le Hamas ne puisse pas recommencer les horribles attentats commis le 7 octobre avec une particulière barbarie. Mais dans la façon dont le pays exerce son droit à se défendre, à protéger sa population et à lutter contre le terrorisme, nous avons une divergence de point de vue avec Israël. Comme la plupart de nos partenaires européens et américains, nous avons un message très clair que nous portons à l'État hébreu : celui de conduire ses opérations différemment. 

"Lorsqu'ils sont pratiqués, les bombardements systématiques mettent en péril excessivement la vie des civils. Il faut des opérations plus ciblées et prendre davantage de précautions. Israël doit respecter le droit international humanitaire comme chaque pays."

Catherine Colonna

sur franceinfo

Et s'il est difficile de mener des opérations militaires dans une zone telle que Gaza, c'est une raison supplémentaire pour prendre des précautions. Nous demandons à Israël de prendre des mesures concrètes de façon à éviter qu'il y ait trop de pertes de vies civiles.

Au-delà des bombardements, Philippe Lazzarini, le chef de l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, estime que des habitants de Gaza pourraient bientôt mourir de faim. Comment atténuer la crise humanitaire ?

Il faut apporter davantage d'aides aux populations civiles et le plus vite possible. Il faut demander à Israël d'ouvrir davantage de points d'entrée de cette aide et permettre également que cette aide soit distribuée partout dans la bande de Gaza et particulièrement au nord. Nous sommes en contact avec tous les partenaires à cette fin. En ce qui concerne la France, qui a déjà fait parvenir sur place 200 tonnes d'aide humanitaire, nous allons tripler dans les dix jours le volume de notre aide. Il y a 700 tonnes de fret et de compléments alimentaires en cours d’acheminement avec le programme alimentaire mondial. Le premier bateau partira mercredi du Havre et le second une semaine après.

Les Etats-Unis s’opposent encore à un cessez-le-feu à l’ONU mais demandent quand même à Israël des opérations plus ciblées contre le Hamas. Vous avez le sentiment que la pression internationale s’accroît ?

Les Etats-Unis le disent et nous le disons aussi : dans la conduite de ces opérations, il faut faire en sorte que davantage de précautions soient prises. Oui, nous sommes plusieurs à dire que la conduite des opérations militaires nous paraît problématique et qu'il faut faire une plus grande distinction entre des opérations ciblées qui peuvent être légitimes et nécessaires pour venir à bout du Hamas, et l'exposition de la population civile à trop de souffrances, ce qui n'est pas justifiable.

Le gouvernement israélien est très extrémiste aujourd’hui. Il semble encourager la colonisation. Vous l’avez constaté en Cisjordanie. Le 7 octobre donne un prétexte aux colons extrémistes pour commettre des actes de violence. Que peut faire la France contre ces agissements ?

Il faut être clair. De même que le terrorisme n'est jamais justifiable, il faut dire que la colonisation est illégale. Elle l'est en droit international et conduit à des exactions sur place qui sont inadmissibles. Nous en avons été témoins.

" L'extrémisme doit être condamné de tous côtés."

Catherine Colonna

à franceinfo

Nous demandons à Israël de prendre des mesures contre les colons qui commettent des violences contre les fermiers palestiniens. Il faut utiliser le droit israélien, qui interdit de telles violences.

Autre front de ce conflit : la frontière israélo-libanaise, avec des échanges de tirs quasi quotidiens entre le Hezbollah et Israël. Vous étiez au Liban ce lundi. La France le répète depuis le 7 octobre : il faut éviter un embrasement. Israël pense que vous pouvez jouer un rôle pour apaiser les tensions, mais le Hezbollah rejette les interventions extérieures. Que pouvez-vous faire ?

Effectivement, je me suis rendue pour la quatrième fois dans la région depuis le 7 octobre, en Israël comme au Liban. L'objectif est de contribuer à la désescalade et d'éviter un embrasement de la région. Les risques d'un embrasement demeurent et restent élevés. Nous faisons passer le message aux uns et aux autres que dans ces circonstances, il est de leur responsabilité de tout faire pour éviter un engrenage qui serait incontrôlable. La frontière entre le Liban et Israël est trop volatile. Nous observons une augmentation des attaques et des provocations du Hezbollah et des répliques d'Israël. Cela nous paraît un risque qu'aucune des parties ne doit prendre. Nous les appelons à la modération et à la raison. Il faut que sur le terrain, le calme revienne.

La mer Rouge est aussi le théâtre de tensions. Les houthis du Yemen menacent les navires commerciaux. Beaucoup d’attaques ont eu lieu ces derniers jours, encore hier. Plusieurs grandes compagnies maritimes ont décidé de suspendre la navigation en mer Rouge ? Comment lutter contre la menace des houthis dans cette zone ?

Il n'est pas possible de laisser la liberté de circulation et de navigation dans les eaux internationales atteintes de cette façon. Les houthis ne peuvent pas imaginer de continuer les attaques qu'ils mènent contre des navires, voire même des attaques par drones ou missiles, sans qu'il y ait une réaction de la communauté internationale. Nous réfléchissons aux mesures à prendre pour garantir la liberté de circulation. Des options sont sur la table mais il est clair que cette situation ne peut pas durer.

GRAND ENTRETIEN. La ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna au micro de Franck Mathevon, directeur de la Rédaction internationale de Radio France

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