Guerre entre le Hamas et Israël : la bande de Gaza a "presque épuisé" ses réserves d'eau, de nourriture, de médicaments et de carburant
Des livraisons au compte-gouttes. Une vingtaine de camions transportant de l'aide humanitaire ont passé la frontière entre l'Egypte et la bande de Gaza, à Rafah, mercredi 25 octobre. Depuis dimanche, ce sont quinze à vingt poids lourds qui traversent chaque jour le seul point d'entrée dans l'enclave palestinienne, à laquelle Israël a imposé un "siège total" en représailles aux attaques meurtrières du Hamas. Mais ces premières cargaisons sont "une goutte d'aide dans un océan de besoins", a regretté Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU. Et pour cause : ce petit territoire de 2,3 millions d'habitants, appauvri par 15 ans de blocus israélien, est au bord de l'effondrement.
Les près de 80 camions qui ont jusqu'ici pu entrer dans la bande de Gaza "ne transportaient pas de carburant", remarque Natalie Boucly, commissaire générale adjointe de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Or "la pénurie de fioul est la principale urgence, avant même l'eau et la nourriture", alerte-t-elle. Depuis que l'unique centrale électrique du territoire a cessé de fonctionner, toute l'activité gazaouie repose sur les générateurs et le rationnement du carburant.
L'UNRWA compte "13 000 employés dans la bande de Gaza", dont "5 000 qui œuvrent tous les jours pour délivrer de l'assistance humanitaire". Mais "ils ne pourront bientôt plus se déplacer", faute d'essence à mettre dans leurs véhicules, redoute Natalie Boucly. Sans réapprovisionnement, l'agence onusienne estime qu'elle ne pourra plus assurer ses missions sous "deux à trois jours".
Les hôpitaux au bord de la rupture
Le carburant est "essentiel à la survie de la population", renchérit Sarah Chateau, responsable du programme de Médecins sans frontières (MSF) pour la Palestine. "L'armée israélienne informe les civils des bombardements à venir par SMS ou WhatsApp, cite-t-elle en exemple. Mais sans électricité et sans générateurs, les gens perdent tout moyen de charger leurs portables et donc de savoir où et quand se mettre à l'abri."
Le manque de carburant a également "un impact direct sur les centres de santé", pointe Chiara Saccardi, responsable des opérations au Proche-Orient pour l'ONG Action contre la faim. Mardi, le ministère de la Santé gazaoui avait averti que les générateurs de la plupart des hôpitaux cesseraient de fonctionner sous quarante-huit heures, faute d'essence pour les alimenter, rapporte Al-Jazeera. Selon l'Organisation mondiale de la santé, six hôpitaux de l'enclave ont déjà été obligés d'arrêter leurs activités.
"Nous avons besoin d'électricité pour les appareils des services de soins intensifs, des blocs opératoires, les dialyses..." liste Sarah Chateau. A l'hôpital d'Al-Aqsa, des médecins redoutent ainsi de voir s'arrêter les incubateurs accueillant les nourrissons du service de néonatalogie, selon l'agence AP.
La situation est d'autant plus critique que les centres de soins manquent également de médicaments et d'équipements. "Le ministère de la Santé [gazaoui] ainsi que toutes les ONG avaient des stocks de médicaments, mais nous avons été dépassés par l'ampleur et l'intensité des bombardements, témoigne Sarah Chateau. L'offensive israélienne a fait au moins 15 000 blessés." Médecins sans frontières a déjà distribué toutes ses réserves aux hôpitaux et cliniques, submergés par l'afflux de patients.
"Les hôpitaux commencent à manquer d'anesthésiants et d'antidouleurs. C'est catastrophique, nous sommes à court de tout ce qui est essentiel pour la chirurgie de guerre."
Sarah Chateau, responsable du programme de MSF pour la Palestineà franceinfo
La responsable humanitaire relaye ainsi un cas d'enfant amputé sans anesthésie, "seulement avec une sédation". Un médecin de l'hôpital de Khan Yunis évoque, lui, des "patients [hurlant] de douleur" dans la plupart des services. "On craint de manquer bientôt de médicaments pour la prise en charge des maladies chroniques, comme l'hypertension ou le diabète, qui vont entraîner de nouvelles urgences", insiste Sarah Chateau. Les équipes de l'UNRWA relèvent, de leur côté, des pénuries pour "85 types de médicaments essentiels, en particulier l'insuline", selon Natalie Boucly.
Un manque critique d'eau potable
La pénurie de carburant entraîne également un manque d'eau. Les forages et usines de dessalement, essentiels au quotidien des habitants, ne fonctionnent plus. "La bande de Gaza dépend aussi de l'eau importée d'Israël, mais tout approvisionnement a été coupé, explique Chiara Saccardi. Les premiers camions d'aide humanitaire ont apporté des bouteilles, mais uniquement de quoi couvrir les besoins quotidiens de 22 000 personnes."
L'eau, "comme tout le reste à Gaza", est chaque jour un peu plus rationnée, constate Chiara Saccardi. L'UNRWA "ne délivre plus qu'un litre d'eau par personne et par jour, pour boire, manger et se laver", confirme Natalie Boucly. Pour apaiser leur soif, certains Gazaouis se tournent donc vers des sources inadaptées.
"Nous recevons déjà des signalements de maladies diarrhéiques, signe que la population boit de l'eau impropre à la consommation, ou concernant des personnes qui boivent de l'eau salée ou polluée."
Chiara Saccardi, responsable des opérations au Proche-Orient pour Action contre la faimà franceinfo
A la pénurie d'eau potable s'ajoute le manque de sanitaires dans les lieux où les déplacés internes sont accueillis. "Plus d'un million de personnes ont été contraintes de quitter le nord de la bande de Gaza, dont 600 000 sont hébergés dans nos locaux : écoles, centres de santé, centres de formation, bureaux... détaille la commissaire générale adjointe de l'UNRWA. Notre plan de crise était basé sur l'accueil de 150 000 civils, nos locaux ne sont donc pas adaptés. Nous avons par exemple 8 000 déplacés dans un de nos bâtiments, avec seulement deux toilettes disponibles."
Cette promiscuité entraîne des risques sanitaires importants, accrus par le manque d'eau pour répondre aux besoins hygiéniques. "On pourrait faire face à des épidémies de gale ou de choléra, que nous ne sommes pas en capacité de traiter", s'inquiète Chiara Saccardi. Tout comme l'UNRWA, Action contre la faim s'efforce d'améliorer les conditions de vie des déplacés en "organisant le nettoyage de certains campements". Mais la situation reste "désastreuse", regrette-t-elle.
Une aide internationale insuffisante
L'aide déployée jusqu'ici ne permet pas de répondre aux besoins alimentaires d'une population soumise à plus de deux semaines de siège, qui s'ajoutent au blocus imposé par Israël depuis 2007. "Les premières cargaisons contiennent des conserves, mais aussi des produits comme des lentilles ou du riz. Sans eau, on ne peut pas faire les faire cuire", souligne Natalie Boucly. Sans carburant, sans eau et sans électricité, impossible pour les boulangeries de faire du pain à partir de la farine que leur fournit l'UNRWA.
Action contre la faim se tient "prête à envoyer dès que possible" des produits de première nécessité dans la bande de Gaza. Mais "le processus est pour l'instant beaucoup trop lent", s'alarme Chiara Saccardi. "Entre dimanche et mardi, 54 camions sont entrés à Gaza. Avant le 7 octobre, il y avait jusqu'à 500 camions d'aide humanitaire par jour, pour approvisionner la population gazaouie", rappelle Natalie Boucly.
Pour l'instant, l'aide internationale continue de s'accumuler en Egypte. Emmanuel Macron a ainsi annoncé mercredi l'envoi d'un navire militaire pour "soutenir les hôpitaux" de Gaza, ainsi que l'arrivée d'un avion chargé de matériel médical. Comme l'ONU et de nombreuses autres ONG, Chiara Saccardi appelle donc à "élargir l'accès" de cette aide à l'enclave palestinienne. Car le temps est compté, selon la responsable d'ACF. "Les ressources déjà maigres de la bande de Gaza sont presque épuisées."
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