Interview Mort de Yahya Sinouar : c'est "le trophée qu'attendait Benyamin Nétanyahou", juge un spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient

David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris, estime que la mort du chef du Hamas clot "un chapitre", mais la question des otages "demeure" et l'idéologie du Hamas "perdure".
Article rédigé par franceinfo
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Le leader du Hamas, Yahya Sinouar, le 30 mai 2019. (MOHAMMED ABED / AFP)

Beaucoup de questions se posent après la mort de Yahya Sinouar. Est-ce la fin du Hamas ? Est-ce la fin de la guerre ? Que vont devenir les otages ? Pour David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient, la mort de Yayha Sinouar est la fin d'une séquence dans la guerre Hamas-Israël, mais pas la fin.

franceinfo : Que peut changer la mort de Yahya Sinouar dans la guerre qui se déroule actuellement ?

David Rigoulet-Roze : Cela clôture d'une certaine manière un chapitre, celui de la guerre à Gaza. Je dis d'une certaine manière, parce qu'il y a la problématique des otages qui n'est pas résolue, il y a encore effectivement des otages qui sont détenus par le Hamas, mais incontestablement il était l'incarnation du Hamas et donc il constitue, de ce point de vue là, pour Benyamin Nétanyahou, le trophée qu'il attendait. C'est aussi par rapport à ce qu'il s'est passé le 7 octobre 2023, le parachèvement de l'opération militaire qui a été lancée, même si tout n'est pas résolu puisque de toute façon il y aura un successeur, éventuellement son frère Mohamed, dont il était très proche. Il aura vraisemblablement des responsabilités qu'il va préempter après la disparition de son aîné. Mais en dehors de ça, il y a la question du "jour d'après" de toute façon, qui n'est pas pour l'instant formalisée, et c'est le problème. 

Benyamin Nétanyahou a salué la mort du chef du Hamas, mais il a prévenu qu'elle ne signifiait pas la fin de la guerre dans la bande de Gaza. Pour quelles raisons dit-il cela ? 

C'est très compliqué parce qu'effectivement, le chef d'état-major Herzi Halevi a dit le 6 octobre dernier que la branche militaire du Hamas était détruite, laminée. Mais le Hamas en tant qu'organisation existe toujours, même la branche militaire d'ailleurs, car il y a des groupes qui sont encore actifs. On voit bien qu'il y a la poursuite d'opérations militaires, même dans le Nord, dans le centre de l'enclave, donc la guerre n'est pas terminée.

"Il est vraisemblable que la disparition du chef emblématique aura des conséquences en termes organisationnels et éventuellement de perte de combativité."

David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris

à franceinfo

Mais pour l'instant, on n'en est pas encore là. Et puis se pose la question des otages, on pensait que Yahya Sinouar était entouré d'otages en guise d'assurance-vie, là, curieusement, il était manifestement accompagné de deux gardes du corps et il n'y avait pas d'otages autour de lui. Donc la question des otages demeure, savoir s'ils sont toujours en vie, s'ils sont toujours dans les tunnels et s'ils sont en vie, s'ils sont susceptibles justement de faire les frais de l'élimination du leader du Hamas.

Sa mort peut-elle être considérée comme un véritable coup d'arrêt pour le Hamas ? 

On ne détruit pas une idéologie par des combats militaires. Sur le plan opérationnel, la structure politico-militaire du Hamas est effectivement quasiment détruite. Mais sur le fond, l'idéologie, elle,  perdure. Donc la question qui est posée en alternative justement à cette idéologie, c'est de savoir quelles sont les perspectives politiques, notamment pour la gouvernance de l'enclave qui va se poser à un moment ou à un autre. Là il y a effectivement la question du substitut politique éventuel, et c'est un grand point d'interrogation pour l'instant. 

Quand le Quai d'Orsay dit que cette mort doit permettre de tourner la page de la guerre à Gaza, c'est, c'est juste une expression, car visiblement ce n'est pas l'intention du gouvernement israélien ?

Vraisemblablement, la guerre à Gaza était une séquence. C'était la première séquence d'un déroulé beaucoup plus large. On le voit bien avec l'opération qui se développe aujourd'hui au Liban. La stratégie israélienne, de toute façon aujourd'hui est de faire "exploser" ce qu'on appelle là l'axe de la Muqawama, c’est-à-dire de ladite "résistance à Israël" qui était incarnée par les différents groupes, les différents mandataires de l'Iran. En arrière-plan, la vraie question est par rapport à Téhéran. Là, on voit très bien, avec l'attente de la réplique israélienne, les enjeux qui sont évidemment sous jacents.

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