Témoignages "Je veux pouvoir le prendre de nouveau dans mes bras" : en Israël, des proches d'otages du 7-Octobre racontent une année d'attente insoutenable

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Un an après l'attaque du 7 octobre 2023 en Israël, près de 100 otages restent retenus par le Hamas dans la bande de Gaza. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Un an après l'attaque du Hamas contre l'Etat hébreu, près de 100 otages restent retenus par le Hamas dans la bande de Gaza. Plus de 30 d'entre eux sont morts en captivité, d'après l'armée israélienne.

Depuis le 7 octobre 2023, les routines du quotidien ont disparu pour Gal Gilboa-Dalal. Cet Israélien de 30 ans a tenté de reprendre le travail, "mais ce serait comme faire quelque chose d'inutile", lâche le jeune homme, le visage de son frère imprimé sur son tee-shirt. Un seul objectif l'anime, depuis cette journée qui a plongé Israël dans l'horreur : le retour de Guy, son petit frère, après 365 jours de captivité dans la bande de Gaza. 

"Tout ce que je peux faire, c'est contribuer au retour de mon frère. Je ne fais rien d'autre. Faire quoi que ce soit d'autre ne serait pas normal."

Gal Gilboa-Dalal, frère d'un otage

à franceinfo

Gal Gilboa-Dalal a survécu à l'attaque terroriste du festival Tribe of Nova, à la lisière de l'enclave palestinienne. Son frère, à ses côtés aux débuts de l'événement, est devenu ce jour-là l'un des 251 otages du Hamas. Un an après, 97 personnes sont encore retenues à Gaza, dont 33 déclarées mortes, selon l'armée israélienne. 

"J'ai l'impression qu'il s'éloigne" 

Gal Gilboa-Dalal tente de garder à l'esprit "le moment magique", "l'ambiance extraordinaire" régnant au festival Tribe of Nova à l'aube du 7 octobre 2023. "C'était le premier festival spirituel de mon frère. Je voulais être là, veiller sur lui, raconte l'Israélien, qui vit au nord de Tel-Aviv. Il m'a pris dans ses bras, il m'a dit à quel point il était heureux que je sois venu".

Quand de premières alarmes retentissent, Gal pense simplement à des tirs de roquettes, car Gaza n'est pas loin. Il prend la route pour retourner vers son domicile et propose à son frère de repartir avec lui. "Il m'a dit qu'il souhaitait rester avec ses amis", retrace-t-il aujourd'hui. Les deux frères se séparent, sans comprendre encore les atrocités qui vont suivre. Très vite, les tirs débutent. 

Sur une route bloquée, Gal Gilboa-Dalal et d'autres festivaliers fuient leurs voitures et courent en quête d'un abri. Le jeune homme réussit à joindre son frère et comprend qu'il s'est caché, mais les appels suivants restent sans réponse. "Je l'ai appelé tout le temps. Je me sentais tellement impuissant", confie le survivant de l'attaque. "Nous avons commencé à lire des informations sur les terroristes, sur des otages. Tout ce qui m'importait, c'était mon frère. C'était un moment horrible." Gal Gilboa-Dalal s'échappe alors d'une cache à l'autre, avant d'être secouru par des policiers. Sur le chemin menant vers le commissariat, il dit avoir vu "d'innombrables cadavres, des voitures brûlées" . Avant un appel avec son père, la voix "brisée"  : Guy, 22 ans, vient d'être enlevé. 

"J’étais furieux et choqué. J’ai crié, j’ai pleuré. Je ne savais pas comment réagir, jusqu’à ce que je comprenne que j’avais désormais un but : tout faire pour (libérer) mon frère."

Gal Gilboa-Dalal

à franceinfo

Depuis ces attaques qui ont fait 1 205 morts, Gal Gilboa-Dalal ne cesse de témoigner, d'exposer ce qu'il a vécu ce jour-là – dans l'espoir de contribuer au retour de Guy. "Nous sommes allés aux Etats-Unis, en Italie, en Allemagne, en Roumanie", énumère-t-il. "Nous avons rencontré le pape, des membres du Parlement. Nous tentons de contacter toute personne qui peut avoir une influence" sur la libération des otages, "d'une manière ou d'une autre". Le quotidien du rescapé, bousculé depuis un an, est rythmé par ces rencontres et les interviews. 

Parler, en tant que survivant et proche d'otage, est devenu essentiel. "J'ai vécu cela [le 7-Octobre] avec lui et avec des amis. J'ai pu revenir et raconter cette histoire, je fais en sorte d'en parler, de parler de lui", insiste le trentenaire israélien. "Cela m'a aussi aidé à gérer ce qui s'était passé." Mais avec l'attente et sans nouvelles de Guy, chaque jour qui passe "est plus dur que le précédent". Le conflit meurtrier entre l'armée israélienne et le Hamas s'enlise dans la bande de Gaza. Il a déjà fait plus de 40 000 morts et provoqué une catastrophe humanitaire. Pour les familles d'otages, "nous ne voyons pas la lumière au bout du tunnel, livre Gal Gilboa-Dalal. J'ai l'impression qu'il s'éloigne, que je vais devoir encore attendre avant de le revoir".

"Je suis tellement fatigué de parler de mon frère, fatigué que les otages soient toujours à Gaza. Je veux que cela se termine, je veux pouvoir le prendre de nouveau dans mes bras."

Gal Gilboa-Dalal

à franceinfo

"Ce qui fait le plus mal", poursuit-il, est ce qu'il ressent comme une perte d'intérêt, d'attention portée au sort des otages à Gaza. "J'étais sûr que le monde interviendrait, que tout le monde parlerait des otages jusqu'à leur retour. Je n'aurais jamais pensé que cela durerait aussi longtemps", pointe l'Israélien. Douze mois ont passé, et les gens "se sont habitués, ils ne parlent plus de ça", souffle-t-il. "Pour moi, libérer mon frère est la chose la plus importante au monde. Ça ne l'est pas pour eux." 

"Il y a deux personnes qui nous manquent" 

Au sein des familles d'otages, nombreux sont ceux qui ont vécu eux-mêmes les attentats du 7-Octobre, à l'instar de Gal Gilboa-Dalal. Au traumatisme s'ajoute une incertitude devenue interminable – celle de ne pas savoir s'ils reverront leurs proches en vie. "Je reviens d'une séance chez le psychologue. Nous sommes tous en thérapie", glisse Paula Cunio, 38 ans. L'habitante du kibboutz Nir Oz a survécu en se cachant dans l'abri de sa maison, avec son mari Lucas et leurs enfants. A Nir Oz, près d'un habitant sur quatre a été tué ou kidnappé. Les frères de Lucas, David et Ariel, ont été enlevés avant de disparaître dans les tunnels du Hamas. 

Ce jour-là, Paula Cunio reste enfermée pendant 10 heures dans l'abri familial, tandis que des terroristes tentent de pénétrer dans la pièce. "Il y avait beaucoup de tirs autour de nous. Nous les entendions casser et jeter des choses dans la maison. J'ai pensé qu'ils allaient tous nous tuer", dépeint la rescapée, habitante du kibboutz depuis ses 20 ans. "Sentir que l'on vient chez vous, dans votre maison pour vous tuer et tuer votre famille... Personne ne devrait vivre ça." A la sortie de l'abri, Paula Cunio et ses proches découvrent une communauté dévastée. Ils comprennent aussi qui, parmi leurs proches, a disparu. David, sa femme et leurs jumelles de 4 ans, puis le petit frère du clan Cunio, Ariel, et sa compagne Arbel. 

"Quand mon mari a appris que ses frères avaient été enlevés, il était très en colère, sous le choc. Cela fait un an et ils sont toujours là-bas, c’est invraisemblable."

Paula Cunio, belle-sœur d'otages

à franceinfo

Les semaines suivantes, Lucas Cunio a dormi jour et nuit et souffert d'épisodes dépressifs, selon le récit de sa femme. "Ensuite, il n'arrivait plus à dormir, il y pensait tout le temps", illustre-t-elle. Le soutien psychologique l'a aidé, comme le fait d'aller récemment à Tel-Aviv les samedis soir, sur la place des otages . Néanmoins, "il ne sait pas quoi faire pour ses frères. Il est le frère aîné, il les a élevés depuis qu'ils étaient bébés. Lucas a très peur", développe Paula Cunio. La rescapée évoque quant à elle "un sentiment de culpabilité" qui ne la quitte jamais. Après dix-sept ans passés à Nir Oz, Ariel et David sont devenus comme des frères. "Ils sont à Gaza, et je me dis sans cesse que cela aurait pu être nous. Je ne peux pas imaginer les conditions dans lesquelles ils sont." 

"Je mange, mais je ne sais pas si eux peuvent manger, s’ils peuvent prendre des douches. Ils me manquent vraiment et devraient être ici avec nous."

Paula Cunio, belle-sœur d'otages

à franceinfo

Une fois par mois, la famille se réunit chez les parents de Lucas. Les moments en famille ne sont plus les mêmes, tant l'absence de David et Ariel est pesante. "Il y a deux personnes qui ne sont pas là et qui nous manquent. Ariel jouait sans cesse au football avec mes enfants. Il leur manque", souligne Paula Cunio.

La libération de la femme et des enfants de David, fin novembre, a apporté un bref espoir à la famille. "C'était le jour de mon anniversaire, c'était un vrai cadeau", sourit la trentenaire, qui décrit avec émotion son premier appel avec la femme de David. "Lucas était heureux, très heureux de voir les filles, cela lui a donné de l'espoir", ajoute-t-elle. Dix mois plus tard, pourtant, ces survivants restent figés dans l'attente des frères de Lucas. "Cela me met très en colère. C'est trop long. Ils auraient dû être avec nous le 8 octobre, lâche Paula Cunio. On ne sait pas combien de temps ils ont encore". 

Un combat trop long 

Alors qu'une année est passée, le Forum des familles des otages continue de se mobiliser pour obtenir la libération de celles et ceux encore retenus à Gaza. "Nous avons beaucoup de chance d'avoir ce forum, il permet aux familles de rester unies", soulignait récemment Udi Goren, un membre du Forum actif au Parlement israélien, lors d'une conférence de presse. "Nous continuerons à exiger le retour de nos proches", a défendu celui qui a perdu son cousin, Tal, dans les attaques du 7-Octobre. Un an après, son corps est toujours retenu à Gaza. "Nous allons continuer" le combat, appuie Udi Goren, même si le manque de perspective atteint forcément les familles.

"Après un an, je ne pense pas qu'il y ait une seule personne (parmi les proches d’otages) qui aurait imaginé, dans son pire cauchemar, que nous serions encore dans cette guerre."

Udi Goren, proche d'un Israélien mort le 7-Octobre

en conférence de presse

Au sein du Forum, des familles ont le sentiment que "le gouvernement israélien ne fait pas tout ce qu'il peut pour ramener les otages à la maison", pointe Udi Goren. "Le monde n'a pas fait assez", ajoute-t-il. Les négociations pour un cessez-le-feu et la libération des otages patinent, tandis que les escalades meurtrières au Liban font craindre une guerre régionale. Que deviendront les près de 100 otages qui sont aux mains du Hamas depuis un an ? Au Forum, alerte Udi Goren, "des familles ont sombré dans le désespoir". 

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