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A Mossoul-Est, la vie reprend petit à petit

L’offensive de la coalition irakienne se poursuit dans Mossoul-Ouest. Mais dans la partie libérée de la ville, les habitants reprennent doucement leurs habitudes.

Article rédigé par Alice Serrano
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Des soldats devant l'étal d'un vendeur dans les rues de Mossoul-Est. (ALICE SERRANO / RADIOFRANCE)

Devant des immeubles en ruine, des marchands ambulants vendent des pastèques, des tomates, des aubergines. Tout doucement, les voitures apprivoisent les routes défoncées. Dans les rues de Mossoul, la vie reprend petit à petit.

Reportage à Mossoul: "Ils pouvaient t'arrêter pour n'importe quelle raison : une cigarette trouvée dans ta poche, une barbe trop courte…"

Les magasins rouvrent leurs portes

Dans la boutique VIP, les chemises, les costumes, les robes, les jupes bordent les allées, comme dans n’importe quels magasins de vêtements. Samir, l'un des vendeurs, nous montre du doigt des soutiens gorges.

 "On n'avait pas le droit de le vendre, raconte-t-il en parcourant les rayonnages. Ce sont des sous-vêtements pour femmes. Pas le droit de vendre non plus, ces tee-shirts avec des écritures en anglais ou des dessins... Les cravates, ils les confisquaient."

Sur les emballages des cosmétiques, les visages sont cachés. (ALICE SERRANO / RADIOFRANCE)

Tout cela était considéré comme trop occidental. Tout comme les affiches publicitaires ou les mannequins en plastique dont on a coupé la tête. Au rez-de-chaussée, parmi les cosmétiques, sur les bouteilles de shampoings les visages sont coloriés en noir, cachés. Même celui des Schtroumpfs sur le gel douche pour enfants. Pour éviter toute représentation, les restrictions sont allées très loin, confie Ahmad le patron du magasin.

Ils viennent et te donnent une liste de choses interdites. Mannequins, cravates…

Ahmad, patron d’un magasin de Mossoul-Est

à franceinfo

"Ils reviennent quelques jours plus tard, poursuit Ahmad au milieu des produits de beauté, et ils changent la liste des produits proscrits. Au début, en cosmétique, seul le rouge à lèvres était haram (ndlr: illicite). Puis, ils ont ajouté le mascara, le fond de teint et enfin, tout le maquillage. Nous, les hommes, on avait interdiction d'en vendre aux femmes". Une interdiction sous peine d’amende, voire de prison.

Le niqab remplacé par les tee-shirts et les robes

Au rayon vêtements, pas de cabine d'essayage non plus pour les femmes et les enfants. Le niqab noir de rigueur. "Une fois, une femme de djihadiste a gueulé sur une cliente qui avait levé son voile pour choisir ses vêtements, se souvient le patron. Elle lui a dit : ‘C'est haram, pourquoi tu ne portes pas ton niqab ?’ Mais elle ne l'avait même pas enlevé".

Dans les devantures, des vêtements de tous les styles et toutes les couleurs réapparaissent. (ALICE SERRANO / RADIOFRANCE)

Ahmad n'a pas vendu grand-chose durant ces trois années d'occupation. Il a perdu 90% de son chiffre d’affaires et s’est séparé des trois quarts de ses vendeurs.

Chaque matin, il se levait l'estomac noué. "Ils pouvaient t'arrêter pour n'importe quelle raison : une cigarette trouvée dans ta poche, une barbe trop courte… énumère-t-il. Parfois tu payais une amende, parfois tu ne savais pas si tu pourrais rentrer chez toi".

La fin des coupes de cheveux réglementées

A deux rues de là, Ali devait débourser 2 000 dollars chaque année pour maintenir ouvert son petit salon de coiffure. Mais les consignes étaient claires. 

On devait couper les cheveux de la même taille partout

Ali, coiffeur à Mossoul

à franceinfo

"Il ne fallait pas donner de style, détaille le coiffeur. La barbe, c'était interdit de la raser, même de la préciser ou d'enlever des poils du visage. Mais il y a des djihadistes qui le demandaient, je leur disais : ‘C’est interdit’. ‘Ça ne te regarde pas, fais-le !’ me répondaient-ils.

Ali a vu défiler des jihadistes irakiens, saoudiens mais aussi russes, allemands et français dans son salon. "Ils venaient beaucoup le soir car ils savaient que j'avais de jeunes clients", avoue-t-il.

Ali, dans son salin de coiffure. (ALICE SERRANO / RADIOFRANCE)

C’est pour ça qu’Ali n'a pas voulu envoyer ses enfants à l'école pendant cette période. "L'éducation qu'ils dispensaient était fausse, s’emporte Ali. J'ai regardé les cahiers de mathématique, ils additionnaient les boites d'explosifs, de bombes. Il y avait même des questions comme : ‘Si tu tues un apostat, où vas-tu ?’. Des idées stupides, rétrogrades... De l'ignorance... "

Prudent ce père de famille briefait ses enfants : ne pas dire "Daesh" mais "Etat Islamique", ne pas dire "terroriste" mais "libérateur".  Aujourd'hui,  Ali, lui, ne croit plus en l'avenir de son pays, il veut partir en Europe.

Des civils pris au piège dans la vieille ville de Mossoul

Assis sur la banquette du salon, les traits creusés, regard fatigué, Zyad écoute d'une oreille. Ses cheveux gris en bataille, son jogging noir taché trahissent des jours passés éprouvants. Ce père de famille a fui Mossoul Ouest, le quartier où les combats font toujours rage, il y a trois jours. Il a blessé son fils pour que les jihadistes le laissent passer.

Ils ont tué mon frère parce qu'il essayait de fuir

Zyad, tout juste arrivé de Mossoul-Ouest

à franceinfo

Puis, Zyad ajoute : "Quand j'ai moi-même quitté le quartier ils ont criblé de balle, sous mes yeux, une femme enceinte et les quatre hommes qui l'accompagnaient".

Zyad est arrivé, il y a trois jours à Mossoul-Est, après des semaines très éprouvantes dans la vieille vile. (ALICE SERRANO / RADIOFRANCE)

Il a vécu un mois dans les ruines de sa maison avec sa femme blessée et son fils d'un an. Sans électricité, sans eau potable, sans nourriture. "La famine nous conduisait à manger des chat et de l'herbe, confie Zyad. Sinon tu ne peux pas dormir la nuit parce que tu as faim et tu sais que tu vas mourir à cause des frappes de la coalition. On a perdu des centaines d'habitants".

Creuser des tombes chaque jour, pour les civils tués

Zyad affirme en avoir enterré chaque jour une dizaine dans son quartier. "Daesh tire ses mortiers des décombres où sont entassés des familles. Et quand la coalition réplique, elle tue les civils. C'est un massacre. Un jour, j'ai ramassé les restes d'une petite fille dans un sac".

Mossoul-Ouest, la vieille ville, où les combats se poursuivent. Des fumées noires s'échappent après les bombardements. (ALICE SERRANO / RADIOFRANCE)

Aujourd'hui, l'homme a trouvé refuge dans l'appartement laissé vacant par un ami. Son fils, blessé, pleure tous les jours, tremble, et mange difficilement. Lui-même se dit traumatisé mais miraculé. Zyad a fui l'enfer dans lequel plusieurs centaines de milliers de civiles sont encore pris au piège. Otages des combats qui font rage dans la vieille ville entre le groupe Etat islamique et les forces irakiennes.   

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