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Comment la Libye est devenue la nouvelle terre de jihad de l'Etat islamique

L'organisation terroriste bénéficie du chaos qui règne dans le pays depuis la chute de Mouammar Kadhafi.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une colonne de véhicules du Conseil consultatif de la jeunesse islamique, à Derna (Libye), le 3 octobre 2014, après que le groupe a fait allégeance à l'Etat islamique. (REUTERS)

Otages en combinaisons orange, agenouillés devant des hommes cagoulés, et décapitations. La dernière vidéo de l'Etat islamique (EI), diffusée dimanche 15 février, rappelle d'autres mises en scène de l'organisation terroriste. Seulement, pour la première fois, le film de ces exécutions n'a pas été tourné en Syrie ou en Irak, mais sur une plage libyenne. Les victimes sont des chrétiens coptes d'Egypte enlevés à Syrte, sur la côte libyenne.

Depuis quelques mois, des jihadistes ayant fait allégeance à l'Etat islamique se sont taillé un fief à seulement 350 kilomètres des côtes européennes. Francetv info revient sur le développement de la seule branche de l'EI à tenir un territoire hors de la zone irako-syrienne.

Quelques mois d'existence

En Libye, l'histoire de l'Etat islamique débute à l'automne 2014. En octobre, une vidéo montre de nombreux combattants du "Conseil consultatif de la la jeunesse islamique" de la ville de Derna, un groupe armé salafiste créé en avril, chantant le slogan de l'EI. Peu de temps après, dans une déclaration publiée le 13 novembre, le chef et fondateur irakien de l'organisation terroriste, Abou Bakr Al-Baghdadi, se félicite que son "califat" gagne du terrain. Il dit avoir accepté des serments d'allégeance, notamment de la part de partisans en Libye.

Ces jihadistes contrôlent notamment Derna, une ville de 100 000 habitants dans l'est de la Libye, dont ils ont fait leur "émirat islamique". CNN (en anglais) décrit une ville où flotte le drapeau noir, où les véhicules de police portent les insignes de l'EI et où le stade de football est transformé en lieu d'exécution publique.

Moins d'un mois plus tard, début décembre, le général David Rodriguez, chef du commandement de l'armée américaine pour l'Afrique, s'inquiète de l'installation de "camps d'entraînement" dans l'est du pays. Quelque 200 jihadistes s'y exerceraient. L'officier américain qualifie alors le phénomène de "très petit et naissant".

En janvier, l'EI commence véritablement à faire parler de lui en Libye en revendiquant une série d'attaques, dont un spectaculaire assaut de plusieurs heures contre un grand hôtel de Tripoli. Avec l'exécution des 21 Coptes, l'organisation cherche à faire parler d'elle pour montrer qu'elle est désormais solidement implantée en Libye.

Un développement qui s'appuie sur le chaos ambiant

Comme en Syrie, l'EI profite du chaos qui s'est installé depuis la chute de Mouammar Kadhafi, en 2011. "La Libye est en train de partir en morceaux", remarque Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo). Le pays est déchiré en deux coalitions armées : celle du général Haftar, soutenu par l'Egypte et basé à Tobrouk (est), et Fajr Libya (Aube de la Libye), basé à Tripoli (ouest), qui entretient des liens troubles avec des groupes jihadistes comme Ansar Al-Charia. Surtout, nul ne peut contrôler les dizaines de groupes armés aux motivations différentes.

Dans un pays en pleine déliquescence, les rangs se sont d'abord gonflés de miliciens déjà présents sur place. "Les groupes jihadistes ou milices qui ont fait allégeance existaient déjà avant. On peut dire qu'ils sont là depuis la chute de Kadhafi", explique Fabrice Balanche. Pourquoi s'être rangés sous la bannière de l'EI ? En le rejoignant, ils "passent du stade de groupe de brigands local à une branche d'une organisation internationale". Et, dans un pays déchiré par des luttes tribales, cela leur offre une "idéologie mobilisatrice" permettant de devenir plus puissants.

Sans compter que l'étiquette de l'Etat islamique est désormais un label séduisant auprès des jihadistes étrangers. En prêtant serment à l'organisation terroriste, les jihadistes libyens ont "renforcé leur légitimité", explique Romain Caillet, chercheur et consultant basé au Liban. Ils y ont gagné "plus de moyens et plus de prestige. (...) On recrute mieux." Il envisage par ailleurs que le groupe terroriste se renforçant, les filières s'organisent, et les frontières deviennent plus "poreuses".

De plus, selon CNN (en anglais), "Derna a une longue histoire avec l'islamisme radical. Marginalisée pendant l'ère Kadhafi, elle a contribué à fournir des combattants à Al-Qaïda en Irak plus qu'aucune autre ville du Moyen-Orient. Elle a aussi fourni de nombreux combattants à l'EI en Syrie". Ainsi, les jihadistes libyens ont bénéficié du retour de 300 de leurs compatriotes ayant combattu en Irak et en Syrie, toujours selon la chaîne américaine. Pour s'emparer de Derna, l'EI aurait même détaché un vétéran, l'Irakien Abou Nabil Al-Anbari, ancien compagnon de détention de Baghdadi.

Une expansion qui n'est pas près de s'arrêter

Combien d'hommes compte aujourd'hui l'EI en Libye ? "800", écrit CNN. "Difficile à dire", estime Fabrice Balanche.

Quoi qu'il en soit, "étant donné la situation morcelée de la Libye, ce pays constitue certainement un des terrains les plus favorables pour Daech", écrit Alain Rodier, du Centre français de recherche sur le renseignement, dans une récente note. Pour lui, "il est à craindre que la Libye ne devienne aussi très attractive pour les jihadistes étrangers".

Opinion partagée par Romain Caillet :

Pourquoi la Libye serait-elle attrayante ? "C'est simple, de Derna à Syrte [en partie occupée], ils vont de victoire en victoire", explique le chercheur, alors que l'EI partage des photos de colonnes de pick-up pour affirmer sa puissance.

Une situation qui inquiète ses voisins, de l'Egypte à la Tunisie, en passant par le Niger ou le Tchad, qui réclament une intervention internationale. Le Caire, déjà confronté au jihadisme dans le Sinaï, a décidé de prendre les devants. Son aviation a bombardé Derna, ne se cachant plus d'intervenir en Libye.

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