"Je n'ai pas peur pour moi, mais pour ma famille" : l'inquiétude des policiers après l'attaque de Magnanville
L'assassinat d'un couple de policiers, lundi soir, dans les Yvelines, a ravivé les craintes de la profession. Francetv info a recueilli plusieurs témoignages.
"Ce mardi matin, c'était la douche froide. Quand je me suis réveillé, j'avais les boules." Après l'assassinat des deux policiers, lundi soir, à leur domicile de Magnanville (Yvelines), la profession est sous le choc.
"On savait qu'il y avait des menaces contre les policiers, et donc leurs familles, mais on n'a jamais vraiment pris ça au sérieux, témoigne Léa*, major de brigade en région parisienne, âgée d'une cinquantaine d'années. Une façon de se rassurer, certainement."
Vivre avec la menace terroriste, beaucoup de fonctionnaires de police s'y sont habitués. "Cela a commencé après les attentats contre Charlie Hebdo, en janvier 2015. Alors, au début, on regardait derrière nous, dans nos rétros de voiture, quand on rentrait à la maison après le service. Puis, au fil des mois, on oublie. Heureusement, peut-être, car le contraire donnerait raison à ces barbares."
"On ne peut pas vivre comme des bêtes traquées"
Lundi soir, "on a franchi un nouveau cap, celui de rentrer dans la sphère familiale des policiers, indique Nicolas Comte, secrétaire général adjoint Unité SGP Police-FO. Beaucoup de collègues ne sont pas rassurés en rentrant chez eux."
"Je n'ai pas peur pour moi, je suis soucieuse pour ma famille, mes enfants, poursuit Léa, contactée par francetv info. Pendant vingt ans, j'ai habité dans l'arrondissement dans lequel je travaillais et je n'ai pas eu le moindre souci. Aujourd'hui, je suis contente de m'être éloignée. Je sais qu'il est très facile de suivre quelqu'un jusqu'à chez lui, mais on ne peut pas vivre comme des bêtes traquées."
Un drame qui intervient dans un contexte déjà tendu pour la profession. Etat d'urgence, "haine anti-flics"... Depuis plusieurs mois, les policiers sont à bout. Ils avaient exprimé leur ras-le-bol lors de de rassemblements dans plusieurs grandes villes de France, le 18 mai. "Les policiers de la base souffrent alors que la hiérarchie ne voit que la guerre des chiffres", raconte Léa*.
Garder son arme même hors service, une solution ?
L'armement des policiers en dehors de leur service fait partie des sujets de préoccupation. Les fonctionnaires pouvaient déjà garder leur arme pendant leurs jours de repos, et l'état d'urgence a étendu la règle. Les policiers sont désormais autorisés à garder leur arme en permanence, même lors des congés annuels et sans restriction sur le territoire.
Léa* s'y refuse et ne transporte pas son arme systématiquement. "C'est gênant quand on va à un concert ou au cinéma et nous ne sommes pas payés pour travailler 24 h/24." Pour François*, en revanche, également policier en région parisienne, "être armé en permanence, c'est un moyen supplémentaire que nous avons pour protéger les citoyens. Et on sait qu'il faut être vigilant à chaque instant."
Garder son arme avec soi en dehors des heures de service, c'est une possibilité "plus ou moins bien acceptée par les policiers, selon Philippe Capon, secrétaire général Unsa police. Etre policier 24 h/24, c'est plus que jamais vrai. Après, impossible de dire si cela suffira."
Autre enjeu pour se protéger, l'identité numérique. Car les réseaux sociaux occupent souvent une place centrale dans le processus de radicalisation des terroristes. "Très active sur Facebook, j'ai enlevé mon nom de famille, mis un faux lieu d'habitation et réduit au maximum les photos que je poste", témoigne le major de brigade Léa. Mais cela ne suffit pas toujours : "Dans le métro, on m'a déjà dit : 'Toi, je t'ai vu à la télé, tu es flic'", raconte Philippe Capon.
"Je suis inquiet pour l'avenir de la police"
Pour beaucoup de fonctionnaires, il est nécessaire d'adapter le quotidien et les procédures à la réalité de la société. "Dans mon commissariat, j'ai constaté du laxisme, à plusieurs reprises, dans la lutte contre le terrorisme, poursuit Léa. Lorsqu'un homme, par exemple, assigné à résidence et qui devait venir pointer quatre fois par jour, a obtenu l'autorisation d'un juge d'échapper à un contrôle pour passer le concours de la RATP. Il nous avait, pourtant, menacé plusieurs fois."
Alors, quelles sont les solutions pour répondre au malaise qui se répand, encore un peu plus, dans la profession ? Chez les policiers, le pessimisme s'installe. "Je suis très inquiet pour l'avenir, confie Nicolas Comte. L'Etat et ses institutions ne montrent pas toujours leur solidité." Selon Léa, "il n'y a pas de solution tant qu'on ne fera pas un effort sur le renseignement et que la justice ne prendra pas des décisions plus radicales pour ces gens-là".
En attendant, les fonctionnaires refusent "de vivre dans la psychose". "S'ils voient que les policiers doutent, déplore Nicolas Comte, les citoyens douteront aussi." Dans cette période sombre, les policiers n'ont d'autres choix que de vivre avec la menace. En misant sur la vigilance.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande de nos interlocuteurs.
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