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La fin de l'Etat islamique en Syrie ? "C'est un tour de passe-passe politique de Donald Trump pour justifier le retrait des troupes américaines"

Le président américain devrait prochainement annoncer la fin du "califat" autoproclamé. Mais pour Amélie M. Chelly, sociologue spécialiste de l’islam, la bataille est loin d'être terminée. L'EI continue à recruter des combattants en Europe et les incite à mener des attaques dans leur pays d'origine. 

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La rue principale Hammam Al Alil, à Mossoul, en Irak, le 30 novembre 2016. La ville a été libérée de l'Etat Islamique le 7 novembre 2016.  (OLYA MORVAN / HANS LUCAS)

La victoire sur le groupe Etat islamique (EI) en Syrie devrait être annoncée "dans quelques jours". C'est ce qu'a affirmé un commandant de l'alliance arabo-kurde samedi 16 février, alors que celle-ci mène en ce moment son offensive "finale" contre les jihadistes qui défendent leur dernier réduit. Autoproclamé en 2014 sur une zone, vaste comme la Grande-Bretagne, à cheval sur l'Irak et la Syrie, le califat de l'Etat islamique n'est plus aujourd'hui qu'un lambeau de territoire d'un kilomètre carré dans l'est syrien. 

Devant les médias à la Maison Blanche, Donald Trump se réjouissait vendredi : "Nous avons beaucoup d'annonces formidables en lien avec la Syrie et avec notre succès dans l'éradication du califat et cela sera annoncé dans les 24 heures". Mais pour Amélie M. Chelly, docteure en sociologie religieuse et politique, spécialiste des phénomènes de politisation de l'islam, cette perte territoriale ne signifie pas la fin de l'Etat islamique, dont la propagande est toujours vivace. Elle explique à franceinfo pourquoi la capacité de nuisance de l'EI est loin d'avoir disparu. 

Franceinfo : Donald Trump s'apprête à annoncer la fin du califat de l'Etat islamique. Peut-on vraiment considérer qu'on en a terminé avec le groupe jihadiste ?

Amélie M. Chelly : Non. Ce que l'on peut dire, c'est que l'on assiste à une nouvelle étape. Ce n'est pas la première fois que l'on considère que c'est terminé territorialement pour l'Etat islamique. Mais ce qu'on a pu observer jusqu'ici, c'est un basculement du califat territorial au califat mental. 

L'EI est loin d'être terminé d'un point de vue de la propagande, toujours vivace à travers ses organes de presse.

Amélie M. Chelly

à franceinfo

Cette propagande a intégré la perte territoriale à son discours. De nombreux aspirants à l'Etat islamique affirment que ces défaites sont des mises à l'épreuve de Dieu. Cela a eu des conséquences très visibles sur l'expression de la radicalisation des jeunes Français et des jeunes Belges, notamment, qui ont montré une volonté de massifier le terrorisme en France et en Belgique avec des petits moyens. Les attentats téléguidés à très grande échelle depuis l'Irak et la Syrie vont avoir tendance à disparaître.

D'autre part, les problèmes pour lesquels Daech a émergé ne sont pas réglés sur place. La volonté principale des idéologues comme Abou Moussab Al-Souri [considéré comme l'inspirateur des attentats jihadistes] et Abou Moussab Al-Zarqaoui [fondateur de l'EI] était de purifier l'Irak du chiisme. C'est toujours l'ennemi numéro un de Daech.

Pour attirer les Français en Syrie, les recruteurs ne leur parlent pas des chiites mais se reposent plutôt sur un discours antisémite, qui leur parle beaucoup plus. Une fois sur place, on leur explique rapidement que ce sont les chiites qu'il faut éliminer en premier.

Considérer que c'est la fin de l'EI, n'est-ce pas aussi une manière de justifier le retrait des troupes américaines de Syrie annoncé en décembre ?

Oui bien sûr : c'est un tour de passe-passe politique de Donald Trump pour justifier le retrait des troupes américaines. Mais c'est la politique de Donald Trump depuis ses débuts : dès sa campagne électorale, il avait fait plusieurs promesses, qu'il a tenues, pour la majorité. Il a transféré l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Maintenant, il se bat pour faire construire son mur [à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique]. Il avait bien expliqué qu'il ne voulait pas continuer à dépenser un argent fou pour maintenir des militaires au Moyen-Orient. Donc il fait ce qu'il dit.

L'Etat islamique parvient-il toujours à recruter des combattants étrangers ?

Le recrutement ne s'est jamais interrompu. Il a diminué mais ne s'est pas stoppé. L'année dernière, il y n'a eu aucun départ en Syrie depuis la France, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y pas de recrutement. Il y a notamment du recrutement pour des actes sur place, en France et en Belgique. C'est la volonté de revivifier cette fameuse injonction de Abou Mohammed Al-Adnani, l'ancien porte-parole de l'Etat islamique. Il voulait que l'on s'attaque à tous les mécréants avec ce qu'on a sous la main : que ce soit un couteau, une pierre ou un camion, comme ce qu'il s'est passé à Nice en 2016. Daech mise tout là-dessus.

Des dizaines d'attentats ont été revendiqués par l'EI dans la zone irako-syrienne ces derniers mois. N'est-ce pas aussi un signe que sa présence sur place est encore vivace ?

C'est la violence et la barbarie du désespoir. Quand un groupe dominant a réussi à asseoir son influence et sa domination, il brûle tout avant de partir. Ils commettent le maximum d'attentats possibles, car ils n'ont pas de stratégie de reconquête unifiée. Ils fonctionnent par petits groupes, mais sans stratégie de long terme.

Ce n'est pas parce qu'on peut entrevoir la disparition territoriale de Daech qu'il y aura une disparition des attentats.

Amélie M. Chelly

à franceinfo

C'est aussi une manière de témoigner à tous les copains en prison qu'on les soutient. C'était le cas, en France, pour les attentats de Trèbes et de Carcassonne. Il s'agissait de montrer à Salah Abdeslam qu'il y avait toujours des gars pour le soutenir de l'autre côté.

Quelles vont être les prochaines étapes après le retrait américain ?

Il va notamment y avoir la question du retour des combattants français détenus en Syrie. Une très grande partie de la population française est opposée à ce retour des jihadistes, ce que l'on peut comprendre : personne n'a envie de voir sa sécurité fragilisée. Mais l'Irak et la Syrie ont besoin de sanctuariser leur territoire sans s'encombrer de ces personnes dangereuses. On veut croire que ce ne sont pas des produits de notre société, en s'appuyant sur des vidéos de ces jihadistes où ils brûlaient leurs passeports français. Dans les faits, ils sont bien des produits de notre société. Il faudrait ouvrir les yeux sur les paramètres qui sont à l'origine de ce type de phénomène. 

On gravite autour d'un fantasme en pensant que les combattants issus de notre sol ne feraient plus partie de la société française ou qu'ils n'en ont jamais fait partie.

Amélie M. Chelly

à franceinfo

Il faut rester d'autant plus vigilant que la tendance actuelle des personnes radicalisées va vers une multiplication des petits attentats artisanaux avec des petites attaques sporadiques et parsemées sur l'ensemble du territoire. Les attentats de grande ampleur étaient possibles à l'époque où l'EI était structuré. Il s'agissait de viser à la fois la société, en s'en prenant aux cafés, aux salles de concerts mais aussi l'Etat, en visant les institutions, les forces de l'ordre. C'était la perspective de punir l'horizontal et le vertical. Aujourd'hui, il n'y aura sans doute plus d'attentats aussi complexes.

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