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Le Captagon, la drogue qui prospère sur la guerre en Syrie

Des combattants s'en serviraient pour être plus performants.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un officier des douanes présente des pilules de Captagon destinées à être incinérées à Sofia, en Bulgarie, le 12 juillet 2007. (NIKOLAY DOYCHINOV / REUTERS)

Pilule miracle, potion magique des jihadistes, drogue de Daech, drogue qui rend fous les combattants de l'Etat islamique : depuis quelques jours, le Captagon fait les gros titres, récoltant au passage une multitude de surnoms. Au Proche et Moyen-Orient, c'est la star des produits stupéfiants. Les pilules s'arrachent et la Syrie est devenue la plaque tournante de ces petits comprimés produits, exportés, mais aussi consommés sur place. Est-elle pour autant la recette miracle des jihadistes ?

Très prisé au Moyen-Orient

En France, cette drogue est presque inconnue et très rarement consommée. Impossible d'avoir des renseignements à l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), où l'on ne dispose d'"aucune information" sur la consommation qui peut en être faite au Moyen-Orient. Seul un vieux rapport de 2005 évoque la découverte d'un échantillon dans le Nord-Pas-de-Calais.

Pourtant, le produit est très répandu au Proche et Moyen-Orient, où son usage a débuté bien avant la guerre civile syrienne. Déjà, en 2009 (deux ans avant le début de la révolte), un rapport sur les drogues de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC, PDF) signale que, "dès le début, le principal marché du Captagon avait été celui du Proche et Moyen-Orient, où il est très prisé des couches jeunes et aisées de la population – et où il a même acquis la réputation d’un aphrodisiaque au début des années 1980".

De grandes quantités de Captagon peu de temps avant qu'elles ne soient incinérées, à Sanaa, au Yémen, le 29 février 2012. (MOHAMED AL-SAYAGHI / REUTERS)

Un produit modifié

Le Captagon, lancé dans les années 1960, contient de la fénétylline, un stimulant de synthèse. L'organisme humain la métabolise en amphétamine. Drogues info service précise que le médicament "est prescrit aux patients souffrant de narcolepsie (somnolences irrépressibles au cours de la journée), de troubles de l'attention avec hyperactivité, ou d'asthénie psychique (état de fatigue chronique)". En usage récréatif, on recherche l'euphorie qu'il provoque.

Le produit a commencé à être détourné dès les années 1970, puis placé sous contrôle international. Le médicament étant interdit en dehors des hôpitaux, "les opérateurs clandestins se mirent à fabriquer des produits entièrement falsifiés qui ne contenaient plus de fénétylline, mais une association de substances qui imitent les effets du produit originel", selon le rapport de l'UNODC. Aujourd'hui, le Captagon produit et vendu illégalement est souvent un mélange d'amphétamines et de caféine. Du médicament originel, le Captagon vendu sur le marché noir n'a gardé que le nom.

Facile à fabriquer et très rentable

Et ce n'est pas difficile à fabriquer. Des connaissances basiques en chimie et un peu de pratique suffisent pour produire le stupéfiant dans un laboratoire clandestin. Une opération très rentable. "Un sac de 200 000 pilules rapporte un demi-million de dollars, alors qu'il ne faut que quelques milliers de dollars pour le produire", selon un spécialiste libanais des mouvements jihadistes, interrogé dans un reportage d'Arte. Dans une enquête fouillée sur le Captagon, Time remarque que, "en terme de pur profit, il est difficile de battre les amphétamines. Contrairement à la cocaïne ou à l'héroïne, les ingrédients de base sont faciles à obtenir, et même légaux. Une pilule dont la production coûte quelques centimes au Liban se revend jusqu'à 20 dollars en Arabie saoudite."

Absence de contrôle de l'Etat, économie effondrée, frontières poreuses : il n'est pas étonnant que la production, hier située essentiellement dans le sud-est de l'Europe, en Turquie et au Liban, ait progressivement pris le chemin de la Syrie, où les trafiquants profitent du chaos. Reuters estime que la production syrienne a désormais dépassé celle des autres pays de la région, générant des "centaines de millions de dollars" chaque année. Elle pourrait permettre de financer des groupes armés.
 
Des officiers des douanes libanais devant une saisie de Captagon, dans le port de Beyrouth, le 26 novembre 2007. (AHMAD OMAR / AP / SIPA)

"Le trafic a explosé"

Selon le psychiatre et addictologue libanais Ramzi Haddad, joint par francetv info, "le produit est au Liban et en Syrie depuis très longtemps, mais le trafic a explosé. C'est fabriqué en Syrie, par des Syriens a priori. Il y a une certaine 'expertise' depuis longtemps dans la région. Du fait de la perméabilité des frontières, il en arrive beaucoup au Liban. Et beaucoup de Syriens sont touchés, mais des Libanais en consomment aussi."

Car toute la production ne part pas vers les pays du Golfe. Une partie est aussi destinée au marché local. Certains combattants s'en serviraient notamment pour "tenir". En effet, le produit ne provoque pas que l'euphorie. "Il augmente l'énergie, diminue le besoin de dormir et l'appétit", explique le psychiatre. "On cherche de l'énergie, du plaisir, à ne pas ressentir la fatigue et les douleurs." Dans le pire des cas, "il peut y avoir des symptômes de délire, d'agressivité, des troubles du comportement".

A Reuters, un officier du régime syrien de la brigade de stupéfiants à Homs dit avoir interrogé des manifestants et des combattants qui avaient consommé du Captagon : "Nous les frappions, mais ils ne ressentaient pas la douleur. Beaucoup riaient même alors que nous leur donnions des coups très forts". Il ajoute que, quarante-huit heures plus tard, une fois les effets dissipés, "les interrogatoires étaient plus faciles".

La drogue de Daech ?

Qui sont ces combattants qui consommeraient du Captagon ? Dans le reportage d'Arte, un trafiquant affirme en vendre à tous les combattants rebelles, de l'Armée syrienne libre aux jihadistes du Front Al-Nosra en passant par l'Etat islamique. Une affirmation qui fait tiquer le spécialiste de l'Etat islamique Romain Caillet : "Il est possible qu'il y ait des cas isolés, que des combattants de l'Etat islamique se droguent à tel ou tel moment, mais, partout, ça m'étonnerait". Il rappelle que ce serait contraire aux préceptes de l'organisation. "L'EI est contre l'usage des drogues. Certains ont été châtiés pour avoir fumé une simple cigarette". Il invite à se méfier de la "propagande et contre-propagande", chacun accusant son adversaire de lui être supérieur parce que "dopé".
 
Ramzi Haddad invite aussi à relativiser. Ce n'est probablement pas la "potion magique" de l'Etat islamique, mais un produit répandu chez les combattants comme chez les civils. "Dans toutes les guerres non régulières, il y a eu abus de substances. On consomme ce qui est disponible", estime-t-il. L'usage de drogues était ainsi répandu pendant la guerre du Liban. Mais "l'idée que tous les islamistes en prendraient est très certainement exagérée. Il peut y en avoir qui sont sous Captagon, mais dire que les combattants de Daech prennent tous du Captagon, c'est très probablement faux".
 

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